Nouveau duo avec caro-carito, du blog les heures de coton.
Le texte que vous allez lire est de caro-carito, quant à mon texte, il est sur son blog. Cette fois-ci, pour écrire notre texte, nous nous sommes laissées guider par la « little voice » de Janeczka et de Rich.
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Le pays bleu
Elle ne veut pas voir les chiffres blancs du réveil. Conjurer le sort, effrayer des fantômes auxquels on ne croit pas, ou si peu, c’est impossible, non ? Et puis, tout cela ne compte pas puisque c’est le pays bleu
Des années de rendez-vous sombres et de chants aussi mouvants que des prières. Même heure, elle le sait, chaque nuit. Chaque nuit depuis ses vingt ans. La première fois que l’enfant, la lune et la nuit avaient envahi ses rêves, elle s’était réveillée brusquement. Elle avait eu peur, surtout les yeux vides de la fillette ou de la poupée – elle ne savait pas - l’avaient terrorisée.
Il lui avait fallu du temps pour s’habituer, pour accepter, pour gommer colère et crainte, le désespoir. Ces matins troubles où un indicible chagrin l’accompagnait comme si ce pays entrevu ne la quittait plus.
Le pays bleu… un jour, elle s’y était perdue. Au milieu des arbres, les cordes doucement pincées, la main dans celle de l’enfant-poupée, elle avait exploré chaque arpent du rêve. Elle y était retournée, insomnie après insomnie. Promenade attendue qui la tirait du sommeil avec une pointe de tendresse. Elle basculait alors vers le jour, légère, joyeuse presque.
Elle n’en a jamais parlé à personne. Pas ouvertement. Une allusion à une amie de fac qui… avait conseillé à cette personne, visiblement très atteinte, d’aller voir un psy qui démêlerait les fils du passé et lui rendrait le sommeil ou l’espoir de nuits vides. Oui la liberté… une existence délivrée de pays bleu, visage de poupée et clair de lune.
Elle avait pris rendez-vous avec M. Thorette. À l’heure dite, elle s’était assise sur un banc, le numéro trois devant ces yeux et une porte close. Elle avait scruté la plaque couleur bronze, rassurante avec ses diplômes. Elle avait laissé filer l’heure minute après minute. Bien sûr, au début, elle s’était bien posé la question du pourquoi, elle n’était pas folle. Elle avait même demandé à ses parents s’ils avaient vécu ailleurs que dans le pavillon de Bry-sur-Marne. Elle avait feuilleté les albums de photos des vacances, mais n’avait trouvé que le souvenir perdu d’une poupée Barbie et d’un nounours en peluche et deux lapins. Pas d’arbre, ni de poupées aux cheveux blancs ou blonds.
Devant la porte close, une épaisse porte en bois, numéro trois de la rue Parmentier, elle avait épuisé son heure. « Jeudi à 17 heures, la séance finit à 18 heures. » Elle avait alors compris, elle n’avait pas envie de quitter le pays bleu. Un sourire, elle s’était levée et il lui avait semblé entendre une voix invisible la remercier. Elle n’avait pas rappelé le psy, inutile d’être polie. Il ne la connaissait pas, elle non plus. Elle avait eu un peu peur avant de s’endormir le soir même et si ?... Mais les yeux vides et la petite musique l’avaient cueillie dans son sommeil, même heure. Fidèles.
L’aube aveuglante va bientôt envahir sa chambre. Elle garde les yeux clos sur la lune ronde et le roulis de l’eau. Une seconde avant le fugitif départ vers le jour. Quitter le pays bleu. Y revenir.