Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Presquevoix...

Archives
18 décembre 2013

La douleur

 Marie claqua la porte de la maison et partit dans la nuit, emportant les derniers mots qu’elle venait de lui crier. Le vent, la pluie, peu lui importait, il  fallait aller ailleurs. Elle poussa la porte du café de la gare, s’installa à une table au fond de la salle. Le garçon ne tarda pas à arriver.

– Un martini rouge s’il vous plaît.

Il lui sembla qu’on la fixait mais elle l’oublia aussitôt. Quand le garçon lui apporta son verre et qu’elle en avala la première gorgée, elle put enfin regarder autour d’elle. Un café banal au comptoir sombre et des clients qui avalaient des gorgées de liquides brûlants qui pansaient des vies qu’elle imaginait  désespérées, comme la sienne.

– Vous êtes seule ?

Elle leva la tête vers l’homme qui lui parlait.

– Oui.

– Je peux m’asseoir ?

– Si vous voulez, mais je n’ai pas envie de parler.

– On n’a pas besoin de  parler.

L’homme resta un bon moment à l’observer, retournant dans ses mains un petit objet qui semblait lui tenir à cœur.

–  Vous voulez un autre verre ?

– Oui, la même chose.

Il appela le garçon pour passer commande. Elle hésita et ajouta.

– C’est une amulette ?

– Vous pouvez l’appeler comme ça, c’est mon porte-bonheur. Je l’ai toujours sur moi.

–  Moi je n’ai plus de bonheur à porter. Je m’appelle Marie.

– Moi c'est Michel. Je suis de passage, pour le travail, crut-il devoir ajouter.

– Vous passeriez la nuit avec moi ?

L’homme ne répondit rien mais s’absorba dans la contemplation de son porte-bonheur. Elle continua.

– Je ne veux pas rentrer chez moi et je ne veux pas dormir seule. Ma fille est morte.

Elle se cacha les yeux et mit la tête dans ses mains. Il lui posa doucement la main sur l'épaule.

– J’ai une chambre d’hôtel pas loin.

Ils quittèrent le café main dans la main. Elle n’était jamais partie avec un inconnu. Les frissons des rencontres de hasard ne l’avaient jamais tentée. Devant l’hôtel du Nord elle eut un instant de recul. Elle le suivit dans l’escalier à la moquette grise mais elle regrettait de l’avoir séduit par pitié. Une fois dans la chambre Marie s’assit sur le lit et commença à se déshabiller machinalement.

– C’est la première fois… avec un inconnu.

Il n’osait pas la questionner. Il regardait par la fenêtre, de peur de la gêner.

– Elle est morte il y a deux mois, un accident, elle allait avoir neuf ans. Elle rentrait de l’école comme d’habitude et elle a été fauchée par une voiture. Un accident, c’est ce qu’on m’a dit. On n’y peut rien, c’est comme ça. Une voiture fauche votre fille, elle disparaît mais la vie continue. Je n’en peux plus. Il ne comprend pas. Il ne voit pas que je n’en peux plus. Je crève à petit feu. Il faut que je me sente vivante. Tout de suite. Viens, je t’en prie, viens, j’ai besoin de sentir quelqu’un près de moi, ça fait deux mois que je suis morte. Il faut que tu me sauves !

Michel hésita un instant, puis il la rejoignit.

– Déshabille-toi et allonge-toi, j’ai besoin de sentir un corps vivant près de moi. Je veux que la mort me quitte. Elle est tout près de moi, je la sens. Si je m’écoutais, je lui tendrais la main pour lui dire de me prendre. Viens, toi tu peux la faire partir !

Il se déshabilla sans parler. Il eut pour elle des gestes tendres qu’il n’avait jamais eus. Il lui murmura « Marie » en lui caressant ses cheveux et enroula son corps autour du sien. Ils restèrent ainsi sans bouger de longues minutes, les jambes de Michel étaient ses jambes, les bras de Michel étaient les siens. L’espace d’un instant elle oublia sa fille puis le souvenir revint.

– Aime-moi, tout de suite, je sens la mort qui arrive !

Quand Michel se réveilla au petit matin, Marie avait disparu. Il ne restait qu’une odeur de parfum de femme qui flottait dans l’air confiné de la chambre. La fenêtre laissait filtrer la lumière du jour et le ciel colorait déjà la chambre. Il se demanda s’il n’avait pas rêvé mais il vit le mot sur la table de nuit : «  Merci de ce que tu m’as donné. Marie ».

 

 

16 décembre 2013

Le diagnosticoeur

Une annonce vue dans le parisien l’avait décidé à changer de vie : « Devenez diagnosticoeur, formation d’un an, facilités de paiement. »

Il avait sauté sur l’occasion, sans doute la poésie du mot, le désir de renaître et la certitude que rien ne serait jamais plus comme avant.

Seulement, quand il s’était présenté, la sentence était tombée, brutale : trop vieux !

Il n’avait rien osé dire mais, une fois la porte franchie, son cœur avait lâché.

14 décembre 2013

La chaise

Au moment de s’asseoir, elle eut un mouvement de recul car, sur la chaise, une élève au romantisme débridé avait gravé le sextasyllabe suivant : « Baise-moi Jonathan »

 

 

12 décembre 2013

Vous

Le soir tombait et vous buviez comme il pleuvait sur la ville. Les vitres dégoulinaient et vous aussi ; vous dégouliniez de cette mélancolie qui colle à la peau et au goulot. Vous  sanglotiez à perdre l’âme, assis sous un abribus, seul, et de temps à autre, vous maudissiez ces cons qui passaient sans vous voir, en brandissant votre litron.
Moi non plus, je ne me suis pas arrêtée.

10 décembre 2013

L’ami

Aujourd’hui, j’ai appelé un ami à son bureau. Cela faisait un an que je devais lui téléphoner et que je remettais toujours au lendemain.

-           Pourriez-vous me passer Arthur Dumont s’il vous plaît ? Ai-je demandé au standard.

La fille  a hésité un instant puis a fini par dire.

-           Il est mort.

Elle m’aurait planté un poignard en plein cœur que ce n’aurait pas été pire.

-           Mort, ai-je répété comme un idiot, mais ce n’est pas possible !

-           Oui, mort et on l’a même incinéré il y a une semaine, a-t-elle cru bon d’ajouter.

J’ai bêtement répondu « merci » et puis j’ai raccroché. Ensuite je me suis morigéné intérieurement, mais pourquoi avais-je attendu si longtemps pour  appeler Arthur ? J’ai passé ma journée à me morfondre et puis avant de m’endormir, je me suis souvenu de la raison de mon silence : non seulement il avait flirté avec ma femme lors de notre dernier repas chez lui, mais il m’avait traité d’enculé.

Oui, dans la vie, tout se paie ! Et je me suis endormi paisiblement.

 

8 décembre 2013

La rencontre

J’étais aux ressources humaines mais elles devenaient par trop inhumaines, alors j’ai quitté mon poste. Maintenant, je pointe à Pôle emploi. Parfois je fais des rencontres. Tiens, hier par exemple, j’ai rencontré un type qui travaillait dans la même boite que moi, sauf que lui, il faisait partie de l’équipe de nettoyage. D’ailleurs, il m’a dit avec un clin d’œil - sans doute pour me signifier que mon boulot était moins propre que le sien.

-          Alors, fini le nettoyage ? Vous avez viré combien de mecs depuis que vous êtes en poste ?

Ça m’a fait froid dans le dos. Il aurait pu y mettre les formes. Je lui ai répondu que j’étais parti à cause de ça, justement, et il a rétorqué, ironique.

-          Ah bon ?

J’ai accusé le choc mais je n’ai rien dit. Et il a conclu.

-          Allez, bon courage, hein ? Moi ça fait un an que je pointe  !

6 décembre 2013

Duo

Pour ce nouveau Duo avec Caro, du blog « les heures de coton », voici les ingrédients : écrire sur "L'aquarium", de Saint Saëns

Son texte est ci-dessous, le mien est sur son blog

__________________________________

 

En eaux dormantes

 

-          C’est quoi ton signe ?

Je lève la tête. Le regard de Catherine me scrute.

-          Louise, c’est bon, dis-moi ton signe astrologique.

Je la laisse digresser, clan des taureaux, des scorpions... Je pensais qu’un samedi à la piscine avec une session solarium aurait signifié doux farniente. C’est sans compter sur le nouveau dada de Catherine, l’astrologie.

-          Alors tu es quoi ?

Je hausse les épaules. Ma mère dans toute sa raideur religieuse avait supprimé toute allusion aux astres, divination, horoscope, etc. Et chez nous, la volonté maternelle faisait loi.

Je réponds « compliqué » et réenclenche mon iPod. Selon les astres, j’appartiens à des eaux dormantes. Naissance à une heure qui trace une ligne incertaine entre deux signes, deux éléments. Née donc de signe astrologique inconnu. Par réaction, j’ai banalement plongé dans l’ésotérisme et consulté une multitude d’astrologues, cartomanciennes… Sans succès.

Je me cale sur le transat, absorbée par les éclats chlorés d’un grand bassin étrangement tranquille. Un souvenir me toise brusquement dans mes songeries désordonnées : l’image d’un homme qui, un jour, m’a abordée dans un café. Il portait une cravate bleue très laide, ornée de constellations. Il s’était assis devant moi et le serveur lui avait aussitôt apporté aussitôt un café.

-          Je suis là pour le rendez-vous.

Je haussai les épaules ; je n’avais aucun rendez-vous.

-          Si, vous en avez un. Vous venez chez moi mardi prochain. Je préférais vous prévenir, boule de cristal, carte et thème, pendules resteront muets.

Je n’arrivai pas à détacher mon regard de sa ridicule cravate.

-          Ça ? – fit-il en agitant le bout de tissu - ça vous dérange. Il faut bien que je fasse un peu couleur locale, non ?

Et il se mit à rire. Il étala devant moi des tarots en un parfait arc de cercle. Je choisis une carte. Je la retournai, elle était vierge. L’homme me sourit, il ramassa le paquet et me laissa la carte que j’avais prise après avoir inscrit quelques mots dessus. Il se leva et disparut.

Je sortis après avoir payé les deux consommations. Au bout d’un moment, je pris la carte dans ma poche et lus « Ne cherche pas. Tu as déjà trouvé. » Je stoppai net. Je me tenais devant les bacs d’un bouquiniste qui soldait son arrière-boutique. Et des CD. J’en achetai un.

Ce soir-là, il faisait chaud. Je mis en marche ma chaîne et écoutai le disque inconnu. Dès que cette musique liquide envahit la pièce, je plongeai en eaux froides et reposantes. Dès lors, je sus, signe astrologique, réponses à mes questions usées et aussi à celles que je n’avais jamais formulées. Tout redevenait simple.

Simple oui. Sauf que je n’ai pas conscience d’un possible passé apaisé. Sauf que je ne parle pas de cela à quiconque, signe, ascendant, influence planétaire. Rien. Puisque l’on sait sans savoir. Pourquoi une question, pourquoi une réponse.

Catherine me montre une carte.

-          J’ai rendez-vous chez ce gars la semaine prochaine. Tu ne veux pas m’accompagner. Il a l’air un peu ridicule avec sa cravate, mais je ne sais pas, je le sens bien. Pas toi ?

Je souris en entendant une voix murmurer en souriant « Ne cherche pas. Tu as déjà trouvé. »  

4 décembre 2013

Le sens du travail

L’histoire se passe au moyen âge, sur le chantier d’une cathédrale. Un homme avise trois ouvriers tailleurs de pierre qui semblent effectuer la même tâche. Au premier il demande : « Que fais-tu ? » «  Je taille des pierres pour gagner ma vie », lui répond-il. S’écartant de quelques pas, il pose la même question au second « Je monte ce mur avec les ouvriers de mon équipe, ce qui consolidera l’édifice », assure-t-il. L’homme s’éloigne encore de quelques pas et repose la même question au troisième ouvrier. Ce dernier, enthousiaste, lui affirme : « Je construis une cathédrale. ».

Cette petite histoire, lue lundi dernier dans un quotidien, m’a démontré par A + B qu’il était temps pour moi de prendre une autre voie car je ne suis plus capable que de « tailler des pierres ». Bien sûr, je le sentais depuis longtemps, mais cette histoire en est la "brillante" illustration.

Reste la question suivante :  où pourrai-je construire des cathédrales ?

2 décembre 2013

Le rêve

Patrick

 

Le collage est de Patrick Cassagnes

                                                            ______________________________________

 

Le rêve

Cette fois, ce n’était pas le réveil qui l’avait sortie de sa torpeur  de la nuit, mais ce rêve poisseux qu’elle faisait de temps à autre. En ouvrant les volets, elle constata qu’il pleuvait, et la pluie lui rappela les larmes qui coulaient encore sur ses joues.

Le téléphone sonna. C’était son père. Elle n’avait pas entendu sa voix depuis  longtemps et n’avait nulle envie de l’entendre.

- Excuse-moi, je suis pressée, pas le temps de te parler maintenant.

Il insista.

- C’est à cause de ta mère.

Elle raccrocha.

La journée fut désagréable. A 10 heures, son chef de service la convoqua dans son bureau. Son eau de toilette lui en rappelait une autre et elle eut immédiatement envie de vomir.

- Je peux compter sur vous Sophie ? lui demanda-t-il à la fin de l’entretien.

Elle faillit lui dire non, mais elle hocha la tête. Empressé, il l’accompagna jusqu’à la porte.

Avant qu’elle ne s’éloigne il lui entoura les épaules, paternel, et murmura.

- Vous avez l’air un peu fatiguée ma petite Sophie, vous savez que si vous avez besoin de moi…

Elle se dégagea et partit à grands pas. Elle regrettait la seule et unique fois où elle avait couché avec lui.  Etait-ce juste après que le rêve avait fait son apparition ou au moment de sa séparation avec Pierre ? A cette époque,  elle avait eu l’impression qu’un arbre mort poussait en lieu et place de son corps et tout ce qu’elle touchait flétrissait ou trépassait. Après sa rupture avec Pierre, elle s’était d’ailleurs fâchée  avec sa mère qui ne s’était pas privée de lui dire.

- Aussi dure que ton père, il ne peut pas te renier !

Elle s’était contentée de répondre, cinglante : « C’est plutôt moi qui devrait le renier ! » Depuis, elle n’avait pas revu sa mère.

 

Elle ferma la porte de son bureau à 19 heures, comme souvent. Rien ne l’attendait chez elle. En passant devant les toilettes du cinquième, elle entendit un bruit bizarre.  Pourtant, à cette heure-là, à part les femmes de ménage, on ne croisait personne.

Elle poussa la porte et remarqua que les WC du milieu étaient occupés.

- Excusez-moi, dit-elle, tout va bien ?

Une voix gonflée de larmes répondit.

- Partez, laissez-moi tranquille !  

- Vous êtes sûre que ça va ?

-  Partez je vous dis, vous ne pouvez rien pour moi.

Elle n’insista pas et quitta le ministère. L’inconnue avait raison, personne ne pouvait rien pour personne. Sa mère elle-même n’avait rien pu pour elle.

Elle retrouva son appartement avec plaisir. La solitude lui semblait de moins en moins pesante et l’idée de se mettre devant la télé avec un plateau repas la réconforta.

La sonnerie du téléphone retentit. Elle laissa sonner longtemps avant de décrocher.

- Encore toi ?

- Désolé d’insister, mais je voulais te dire que ta mère va mal.

- Qu’est-ce qu’elle a ?

- Elle est à l’hôpital.

- C’est grave ?

- Oui, mais motus et bouche cousue, ne lui dis surtout pas !

" Motus et bouche cousue ! " ; c’est ce qu’il lui avait  intimé la première fois, lorsqu'il s'était glissé dans son lit pendant que sa mère prenait son bain. Elle se souvenait encore de son eau de toilette qui lui avait donné envie de vomir. Juste avant de l'embrasser, il avait chuchoté : « N’oublie pas mon coeur, motus et bouche cousue, c’est notre secret. »

 

Le lendemain matin, quand elle arriva  devant le ministère, elle vit le camion des pompiers. Elle comprit avant même que le concierge ne le lui explique.

- C’est une secrétaire, elle s’est suicidée dans les toilettes du quatrième. Peut-être que vous la connaissiez ? c’est Melle Rocher…

- Ah ! Fit elle livide, et elle alla vomir dans le caniveau.

Non, personne ne pouvait rien pour personne.

 

 

 

 

 

 

30 novembre 2013

La poussette

Nous parcourions le rayon « homme » du printemps, quand soudain mon mari s’est immobilisé devant un enfant tétant tranquillement sa sucette dans sa poussette, étranger à l’agitation du monde.

- Ah le bienheureux  - s’est-il extasié - parfois je me dis que j’aimerais bien être dans une poussette moi aussi !

Mais immédiatement il s’est repris, l’air inquiet, comme s’il avait oublié un détail important.

- Ah non, que je suis con, parce que celle qui me pousserait, ça serait ma mère !

Et il a traversé le magasin d’un pas rapide, comme si sa mère  le poursuivait pour le mettre dans la poussette.

 

 

Presquevoix...
Newsletter
9 abonnés