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Presquevoix...

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19 avril 2014

La lettre

Mon amour,

Oui, c’est à toi que cette lettre est destinée.

Personne ne te connait mieux que moi. Je suis le vent qui agite les voiles de lin aux fenêtres de ta chambre. Combien de fois mes yeux ont parcouru ton corps. Tu ne me crois pas ? Pourtant je n’ai pas inventé ce grain de beauté blotti  au creux  de ton nombril, ni cette cicatrice scintillante que ma bouche parfois dessine dans la douceur de la nuit.

Je sens que tu as peur. Peut-être même as-tu déjà fermé ta porte à double tour et tiré les rideaux. Mais rassure-toi, jamais je ne te ferai de mal. Je me contenterai de te regarder en silence, comme je le fais depuis si longtemps.

Maintenant, chaque nuit, dans la blancheur de tes draps, tu penseras à moi, à ces mots qui ont souvent caressé ton corps avant que je ne les couche sur ce papier glissé sous ta porte. On dit souvent que les fantômes savent de l’amour des choses que les autres hommes ignorent. Il paraîtrait même que sous le souffle de leur désir les forêts virginales ruissellent de jouissance.

Surtout, ne cherche pas à savoir qui je suis ou le charme se romprait. J’attendrai dans le silence de l’ombre...

 Le fantôme anonyme

17 avril 2014

Le creux

Un jour, le monde sonne creux*  et on se tape la tête contre les murs. On tourne et retourne ce creux dans tous les sens mais un creux ne répond pas. On en a des vertiges, presque la nausée ; le creux nous frappe au plexus. Alors on se panse de mots pour colmater le creux, plein de mots. Au début, il ne se passe  rien. Puis les mots forment des phrases que l'on affiche partout ; et le creux sonne presque plein.

 *Claude Habib,  le goût de la vie commune

Livre connu grâce au blog du lorgnon mélancolique.

 

 

15 avril 2014

La gargouille

P1010109Elle se moquait ouvertement de lui et, depuis un certain temps, il ne la saluait plus. A chacun de ses passages, il se demandait ce qu’elle allait encore inventer. Une semaine plus tôt, elle avait hurlé qu’il avait fait le malheur de sa famille. Et la veille, elle avait répété en boucle : «  pauvre type, pauvre type, pauvre type, pauvre type, pauvre type…. ». Il n’avait  pu s’empêcher de lui envoyer un « salope » tonitruant, les yeux levés vers le ciel, puis il avait passé son chemin.

 

De toute façon, il n’attendait plus rien, ni d’elle, ni de personne. Il n’espérait qu’une seule chose : crever, et le plus vite possible. Avec trois  litres de rouge par jour, il savait qu’il tenait le bon bout…

 

PS : photo de C. V. prise à Dieppe.

13 avril 2014

Les ruines

Qu’est-ce qui fait une ruine ? C’est ce qu’il m’a demandé en me regardant avec insistance.

D’accord, j’avais passé la case des 50 ans et lui venait d'entrer dans celle des 30, mais cela justifiait-il de me parler ainsi ?

Je le lui ai fait remarquer. Moqueur, il  m’a traité de « parano ». Il a aussitôt rajouté.

-  Après tout, les ruines ont aussi leurs charmes !

 

11 avril 2014

La visite

Quand il allait voir sa mère, il glissait toujours une boîte de dolipranes dans sa poche, au cas où…

9 avril 2014

Voiture 45

Voiture 45, direction Bordeaux. Elle s’installe confortablement, retire son livre de son sac et se prépare à la lecture. Personne à côté d’elle.

Des allées et venues dans le couloir central, des voix s’interpellent, deux hommes s’installent derrière elle. Le train démarre. Elle reprend la page 29 pour la troisième fois parce que les deux hommes parlent fort, beaucoup trop fort pour qu’elle puisse passer à la page 30. Elle finit par intercaler les mots du livre et leurs mots ; ce charabia l’horripile.

L’un des hommes, le plus âgé sans doute, parle du ton coupant de celui qui sait. Elle est presque obligée de l’écouter. Tant pis, il l’aura cherché !

7 avril 2014

Duo

Pour notre nouveau duo, avec Caro, un nom - Anachronique (Anna Chronic / Ann Akronic /Anacro nique etc... – et la  photo qui inspire le texte, publiée sur inkulte

Vous pouvez lire; ci-dessous; le texte de Caro ; quant au mien, il est sur son blog : les heuresdecoton.

 

 

« Jours de pluie acide et après »

crazy tuesday inkulte fred lambert sylvie rouxElle attrape brusquement le bras de l’homme assis à ses côtés et serre de toutes ses forces. Sa tête s’affaisse jusqu’à se poser sur l’épaule voisine, écrasant l’œillet blanc qui orne la boutonnière. Les yeux du vieil homme quittent des yeux les funambules qui surplombent la scène. Il secoue précautionneusement la jeune femme évanouie alors que les flammes embrasent le tableau final.

Elle se réveille dans les coulisses de l’opéra. Elle rougit et cherche des yeux l’homme à qui elle a involontairement volé le tableau de fin de « Jours de pluie acide et après ». Étrange objet de théâtre et d’opéra mêlés. Une silhouette franchit l’ombre. Ce n’est aucunement ce vieillard voûté qui masquait sa toux derrière des gants blancs, l’inconnu est jeune.

Il sait qui elle est, elle sait qui il est. Il n’a pas eu besoin de lire la carte de visite avec son nom en lettres courbes qu’il tient dans sa main. Anna Chroniques. Elle aperçoit sur le plancher sa pochette noire qui ne contient ordinairement que quatre choses : son entrée, une carte bleue, un rouge à lèvres et aussi quelques rectangles ivoire identiques à celui que l’homme fait tourner nerveusement entre ses doigts.

Armand Attar. Anna Chroniques. Chronick dans les registres de l’état civil, mais il suffit de si peu, d’un souffle pour troquer l’anonymat contre un nom de plume.

Ces deux-là se croisent, se décroisent. Depuis qu’étudiante elle plaçait ses billets d’humeur sur le site de la fac. Lui, jeune auteur prometteur, semait dans les salles de troisième zone ses saynètes, pièces, vidéos et installations. Elle avait vite su que c’était lui qui envoyait sous pseudo les commentaires affûtés puis le courrier à chacune de ses chroniques. Il avait vite saisi que la jeune femme discrète et souriante qui apparaissait dans les avant-premières signait les articles qu’il attendait chaque semaine avec avidité.

Ils ne disent rien. Soudain, il se lève et ouvre un petit frigo d’où il tire une bouteille de champagne. Alors qu’il lui tend une coupe, il prononce une phrase. Leurs premiers mots.  « Votre sauveur anonyme vous a confiée à moi. Trinquons. À vos succès, à cette dernière représentation où je n’osais espérer vous rencontrer.»

Il s’est assis près d’elle. Anna n’ajoute aucun commentaire. Des jours à croiser leurs textes au point de savoir qu’au-delà de leurs mots, les uns scandés, les autres tracés, un long dialogue se nouait. Ils se taisent.

Anna se redresse. « J’ai raté le point d’orgue, j’avais rêvé de ces flammes. J’aurais aimé voir ce que vous avez pris du final de la Khovantchina . Une occasion peut-être unique ». Il lui sourit, ils lèvent tous deux leurs verres. Un instant, elle ferme les yeux et revoit tous ses funambules, ce ballet aérien délicat qui a hanté ses nuits, ses mots. Devant ses yeux stupéfaits, se tenait la réplique à l’identique de la conclusion d’un de ses articles. Elle se souvint alors de ces lignes où il lui expliquait à quel point cette image lui semblait vivante, éternelle.

Devant ce canevas de fils entrecroisés et de silhouettes légères baignés d’une lumière irréelle, elle avait compris, ce soir d’un vendredi 15 juin 2012 qu’ils s’étaient enfin trouvés. Elle se rappelle alors avoir poussé un cri et avoir sombré dans un grand trou noir qui engloutissait la scène, les rangées, les dorures et même cette ridicule fleur que son voisin portait à la boutonnière.

Elle sursaute et ouvre les yeux. Le visage d’Armand est si proche. Elle sent ses doigts glisser dans ses cheveux et y cueillir un œillet blanc.

5 avril 2014

Catherine

A chaque fois que Catherine nous invitait, je me surveillais étroitement, surtout à l’apéritif. Ses yeux, tels un écran radar, contrôlaient le tapis et la table basse. La pelle et la balayette attendaient sagement ses ordres dans un coin du salon et, à la moindre miette, Catherine s’avançait, une banderille dans chaque main, prête à donner l’estocade afin de faire disparaître sur le champ l’objet du délit. Je crois que je détestais Catherine.

 

3 avril 2014

Le restaurant

Enervée, elle avait exhibé le ticket de caisse du  restaurant et lui avait demandé.

- Alors, sympa ce repas au restau ? Au fait c'était avec qui ?

- Tout seul.

- Tout seul ? Avec "deux couverts" inscrit sur le ticket ? Je veux bien croire que tu aies  l'impression de manger avec quelqu'un d'autre quand tu manges en tête à tête avec toi-même, mais avoue que pour moi c'est un peu dur à avaler !

Il s'obstina.

- Je te le répète : j'ai mangé tout seul.

Elle préféra couper court - elle savait  qu'il ne changerait pas un mot de sa réplique apprise par coeur - et elle se rua sur l'aspirateur ; engloutir les poussières lui ferait le plus grand bien.

1 avril 2014

La statue

Elle lui avait souri. C’était la première fois depuis bien longtemps qu’une femme lui souriait. Certes, elle était de pierre, mais il s’en contentait. Que de légèreté et de grâce dans son attitude. Il s'assit non loin d'elle et la regarda presque avec passion. Avant de s'endormir - ces deux derniers mois passés à l’hôpital l’avaient épuisé - il sentit sur sa joue ensoleillée le frais baiser de la statue de pierre ; jamais plus il ne se réveilla.

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