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Presquevoix...

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19 mai 2016

L’arrêt cardiaque

Pour leur anniversaire de mariage, il avait choisi un séjour dans un agréable petit hôtel deux étoiles de la côte Normande. Son plan était précis : il la tuerait juste après leur dîner. Bien sûr il aurait été  plus simple de se séparer ou de divorcer, mais elle ne voulait rien entendre.

Une fois remontés dans leur chambre, sa femme s’allongea sur le lit, un peu étourdie par la bouteille de Gevrey-Chambertin qu’ils avaient bue. C’est à ce moment-là qu’il décida de l’étrangler avec sa cravate. Il pensait que ce serait court, mais non, la diablesse se débâtit ; elle tenait à la vie.

Accablé par ses efforts répétés, il fit un arrêt cardiaque et mourut sur le champ. Marie survécut. Elle put ainsi faire disparaître l’une des nombreuses listes de souvenirs qu’elle classait consciencieusement : celle de ses déboires conjugaux…

 

 

17 mai 2016

L’amoureux

 

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Où que son amoureux se trouvât, il s’assoupissait et ce dimanche de mai, lors de leur déjeuner sur l’herbe, il fit de même. Lasse de l’appeler, elle décida de le laisser dormir ; il finirait bien par se réveiller.

Il ne revint ni le soir, ni le lendemain, ni le surlendemain, et les jours passèrent sans qu’elle se souciât de son absence.

Un an plus tard, jour pour jour, elle revint dans ce même parc, mais au bras d’un nouvel amoureux qui ressemblait au précédent comme deux gouttes d’eau. Adossé au pied de l’arbre où elle s’était assise un an plus tôt, elle vit un homme sans tête. Etait-ce le livre qu’il tenait à la main qui lui avait faire perdre la tête ? Troublée, elle saisit le roman et lut le titre : « Le livre du rêve et de l’oubli ».

Son nouvel amoureux, jusque-là silencieux, lui dit d’une voix étrange : «  Tiens, le même livre que celui que tu m’as offert hier. »

 

PS : photo prise dans le parc du lycée où je travaille

15 mai 2016

Les deux versants

Quand sa collègue lui parlait des « pépites » qu’elle avait en cours, elle se demandait toujours si celle-ci faisait preuve d’un optimisme excessif ou si elle-même faisait preuve d’un pessimisme excessif…

 

13 mai 2016

Le miroir brisé

 

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A la fin de repas bien arrosés, elle faisait un petit numéro que tout le monde connaissait par coeur : « Je suis un miroir brisé et chaque éclat manquant est une facette de moi que je cherche de par le monde. »

Ceux qui la voyaient pour la première fois la prenaient pour une folle, les autres attendaient avec impatience car ils savaient que les étapes suivantes seraient beaucoup plus exaltantes : elle se levait, montait sur la table, prenait des poses de nuages excentriques et racontaient de supposés épisodes de sa vie.

Elle faisait  preuve d’une imagination foisonnante et ses récits étaient dignes des contes les plus fous : elle pouvait être une princesse d’un harem  que son sultan de mari avait répudié ; une femme de guérillero livrée à la dictature par un compagnon jaloux ; un personnage de roman qu’un écrivain avait tenu à épouser mais qui voulait la renvoyer dans ses livres car elle l’avait trompé … que sais-je encore ? L’alcool débridait sa créativité et le public réclamait toujours d’autres histoires.

Jusqu’au soir où elle dépassa les limites autorisées par la bienséance. Après un repas trop arrosé, comme à son habitude, elle monta sur la table mais, brandissant deux énormes éclats de verre, elle annonça : « Aujourd’hui c’est fini, je sais que je ne recollerai plus jamais les morceaux. Alors je vais me tuer devant vous, sur cette scène. »

Elle joignit le geste à la parole et le sang coula  sur la nappe blanche. Elle ne dut son salut qu’à un interne en médecine, présent parmi les convives. Alors qu’il lui prodiguait les soins essentiels, il sut trouver les mots qui la ramenèrent à la vie : «  Je suis le prince chargé de réveiller la princesse endormie. Respirez calmement et le vent des désirs soufflera dans vos artères. »

 

PS : photo prise à Rouen en avril 2016

11 mai 2016

Le masque

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Il y a des jours où elle n’a qu’une envie, mettre son masque de mauvaise humeur, mais elle hésite,  toujours ce fond de « bonne éducation » qui l’empêche de montrer ses états d’âme.

Il n’y a eu qu’un jour, un seul, où elle s’est laissée aller, mais elle s’en mord encore les doigts, du fond de sa cellule 9B  de la prison de Fleury-Mérogis

9 mai 2016

Les maladies

Il cultivait les maladies comme d’autres cultivaient les fleurs et son corps était un terreau inestimable. Lorsqu’un « sage », croisé sur sa route, lui dit que le mot « maladie » pouvait aussi s’écrire « mal a dit » il en fut presque fâché.

-         C’est tout ce que vous avez à me dire ? Vous vous moquez de moi j' imagine !

-         C’est tout mais c’est déjà beaucoup, lui  répondit le sage. Le corps est un langage.

L’homme passa son chemin. Le sage, lui, ne bougea pas et consacra le reste de sa journée à méditer sur les humeurs humaines, ainsi va la vie des sages...

7 mai 2016

La serre

 

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C’est dans la vieille serre que le corps mutilé fut découvert, par un petit matin frileux, de ceux qui enserrent la Normandie dans un étau de brume. Il s’agissait d’une élève de première L dont le doux prénom – Ophélie - était sur toutes les lèvres.

L’enquête avait duré de longs mois. Interroger une communauté scolaire présente de nombreux inconvénients et les policiers – peu habitués aux adolescents versatiles - avaient essuyé revers sur revers. Ils n’avaient pas eu plus de chance avec les professeurs qui jugeaient qu’aucun des leurs n’aurait pu commettre ce crime crapuleux. Ils étaient là pour transmettre, non pour ôter la vie.

Les blessures commençaient à peine à se refermer lorsque des lettres anonymes se  mirent à circuler ; croustillantes, comme il se doit, et déposées dans les casiers de tous les professeurs ainsi que dans les bureaux du proviseur et du proviseur adjoint.  On y parlait d’événements que tout un chacun aurait préféré ignorer. Des noms surgissaient, les rumeurs enflaient et tout le corps enseignant se regardait avec méfiance. Quant aux parents, ils retiraient peu à peu leurs enfants de l’établissement et les classes étaient à moitié désertées, pour le plus grand plaisir de certains professeurs las de leur sacerdoce.

C’est le 2 mai que l’on sut qui était l’assassin et ce fut un nouveau choc. La coupable –  un jeune professeur de français - avait tous les attributs de l’innocence. C’était une  femme belle et appréciée des élèves que rien, à priori, n'aurait pu disposer au meurtre. Pourquoi  avait-elle tué ? Toute la communauté éducative résonnait de ces « pourquoi » et chacun y allait de ses hypothèses, toutes aussi saugrenues les unes que les autres.

La raison que la criminelle donna était si « pragmatique » que personne ne l’avait imaginée : « Je devais absolument me mettre dans la peau de l’assassin pour écrire mon livre : c’était une question de vie ou de mort. » avait-elle avoué lors de l’interrogatoire.

Comment pouvait-on être à ce point dépourvue d’humanité ? fut la question qui agita le lycée les jours qui suivirent…

 

PS : photo prise dans le parc du lycée où je travaille.

5 mai 2016

La fiche

En début d’année, elle donnait toujours une fiche à remplir à ses élèves. Elle demandait notamment le numéro de téléphone des parents, toujours utile en cas de problèmes répétés.

Cette année-là, à la question « formation souhaitée après le bac », un élève avait écrit « monastère », et à métier envisagé, il avait indiqué « évêque, voire pape ». Elle s’était dit que celui-ci, il faudrait qu’elle le tienne à l’œil et qu’elle prépare les cilices, au cas où…

 

3 mai 2016

Duo de mai

Duo de mai avec Caro du blog "les heures de coton". Comme point de départ, cette photo gentiment prêtée par Espiguette

Aujourd’hui je vous propose le texte de Caro.

 

 

                                         

39,8°                                                                                

espiguette

L‘épidémie de grippe est particulièrement virulente cette année. Alors, cloîtrée avec mes 39,8° de fièvre, je me suis mise à trier les vieilles photos. Des vieux polaroïds, des diapos laissées en héritage, des souvenirs entassés dans des cartons.

Je tombe sur cette photo, coincée dans les pages d’un album que je n’ai pas fini. À cet instant, je ressens la petite baisse de régime qui jalonne mes journées de malade depuis samedi dernier. Je me lève et pars m’allonger dans le sofa. Un peu de musique en fond. Je tiens la photo dans ma main.

Je l’ai prise en déménageant de Fontenay. Je m’en souviens parce qu’elle est en noir et blanc. Pour mes 32 ans, j’avais reçu un nouvel appareil-photo et j’avais décidé par pure fantaisie de ne plus utiliser la couleur pendant un temps indéfini. J’avais envie d’une autre atmosphère. Oui c’est bien ce jour-là. Loïc rageait parce qu’il pleuvait à verse. Finalement c’était mieux, j’ai été si heureuse dans cette maison que la quitter par beau temps m’aurait crevé le cœur.

Je ne sais pas pourquoi, je ne pense jamais à ces années-là, si souriantes. Un coup d’œil au passé et je me souviens distinctement de la maison, une bâtisse récemment construite que nous avions achetée à un couple en instance de divorce, d’un jardin encore jeune aux arbres déliés, d’une vigne légère reposant contre l’appentis. Je renoue sans peine avec un lieu biscornu, cerné par trois voisins, un bois, des champs et le mur d’un manoir en vieilles pierres blanches et mangé de lierre. Un îlot discrètement en retrait du village.

Je revois tout cela, et aussi cet indéfinissable sentiment d’insouciance et de légèreté. Une émotion qui n’était pas liée à une quelconque jeunesse ; jeune, je ne l’étais plus tout à fait, au sens on le proclame partout. Non, il s’agissait de ce frisson qui s’attache parfois à certaines années choisies, à la douceur qui les accompagne, l’amitié avec Mado, la jeunesse des enfants, un travail agréable. Et puis toi bien sûr, toi et cette folie qui nous avait embrasés.

Cette route que j’avais photographiée au moment de partir, cette lubie moquée par Loïc, je l’empruntais pour te retrouver. Et, entre tous ces moments partagés et remisés dans une mémoire muette, je me souviens l’avoir parcourue dans ma vieille bagnole, avec cette intensité que l’on ne connaît que quand on aime. Je vivais chaque instant avec une acuité si forte que je savais déjà qu’il ne me serait donné que peu de fois de ressentir cela à nouveau. Peut-être jamais.

Je me sens soudain moins fiévreuse, je me lève. Je glisse la photo dans un de mes livres de chevet, posé sur la table basse. Je n’ai pas eu de chagrin de partir, d’autres moments plus âpres allaient venir que j’ignorais alors. Je n’ai eu aucun regret de nous, notre histoire était finie presque depuis  un an déjà. Simplement, y repenser, effleurer à nouveau ces instants, par réflexe, par précaution, je m’y suis toujours refusée. Tu sais sans doute aussi que le présent envahit tout. Sauf cette photo, n’est-ce, qui me rappelle à voix basse, Ne pas oublier, ne pas me souvenir.

1 mai 2016

Duo de mai

Duo de mai avec Caro du blog "les heures de coton". Comme point de départ, cette photo gentiment prêtée par Espiguette

Aujourd’hui je vous propose mon texte. Mardi, vous pourrez lire celui de Caro.

 

espiguette

 

 

La fuite

 

Elle n’arrête pas de lui dire de regarder dans le rétro pour voir si la police n’est pas à leurs trousses, mais il ne semble pas l’écouter.

Il a tué une femme et elle est complice. Voilà pourquoi ils fuient.

Tout a commencé il y a deux ans. Elle l’a rencontré à la terrasse d’un café. Une belle gueule, de celles dont on se souvient.

-          Je peux m’asseoir ? lui a-t-il dit

-          Pourquoi pas ?  a-t-elle répondu.

Elle ne repoussait jamais ceux qui l’abordaient, sans doute parce qu’elle ne s’aimait pas. Et puis elle a été flattée qu’un type si beau s’adresse à elle.

Une fois à sa table, il n’a pas arrêté de parler, zigzagant entre les compliments les plus éhontés et les drames de sa vie. A l’époque, elle aimait soigner les bleus à l’âme.

Il la rappelle brusquement à la réalité.

-          Putain, tu conduis comme une merde ! T’as failli te taper le trottoir.

Elle se retient de lui dire de prendre le volant. Deux ans qu'elle se tait et qu'elle se  mord la langue. Pourtant,  à la terrasse de ce café, deux ans plus tôt, il lui avait joué le grand jeu de la Rencontre. Se faire prendre à un piège aussi grossier. Etait-elle sotte !

-          J’en ai ras le cul, maugrée-t-il. Ras le cul des connasses qui pètent  de trouille !

Pourquoi lui parle-t-il sur ce ton ?

-          Vas-y, dis quelque chose, s’agace-t-il.

Elle continue à se taire.

-          Cette fille, si je l’ai tuée, c’est qu’elle voulait ma peau : c’était moi ou elle !

-          Peut-être, mais moi, elle ne m’avait rien fait.

-         Bon, on arrive. Ma mère, c’est la cinquième maison à droite. Tu te gares dans la cour et tu m’attends. J’en ai pas pour longtemps. Un truc à régler avec elle.

Elle arrête le moteur et il sort. Il ne lui demande pas d’entrer chez sa mère. D’ailleurs elle n’en a pas envie, elle ne l'aime pas.

Dès qu’elle le voit disparaître, elle met le contact et démarre. Elle ne sait pas pourquoi, un instinct de survie, et elle roule sur la nationale jusqu’à ce que le soleil disparaisse à l’horizon. A la prochaine ville, elle larguera la voiture et elle prendra le premier train pour Paris. Ensuite, direction l’Espagne, pourquoi pas Séville ou Grenade ? Elle a toujours rêvé de l’Alhambra…

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