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Presquevoix...
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7 octobre 2018

T’as vu ta chambre ?

-          Non, mais t’as vu ta chambre ?

Elle commençait toujours ses phrases comme ça quand elle entrait dans ma chambre, c’était plus fort qu’elle. Moi, je répondais invariablement.

-          Ben quoi, qu’est-ce qu’elle a ma chambre ?

Je jetais un coup d’œil rapide aux vêtements qui jonchaient le sol, aux livres éparpillés, au lit défait, et je souriais intérieurement. Après, elle démarrait  au quart de tour. Sa collection de reproches était monstrueusement longue. Ma mère a toujours élevé le conflit en art, un art qu’elle pratiquait aussi avec mon père, jusqu’au jour où il a failli la tuer. Je me souviens qu’il lui serrait le cou avec son foulard en soie verte et qu’il gueulait. 

-          Tu me cherches depuis 15 ans avec tes conneries de merde, ben maintenant tu vas me trouver !

J’ai eu du mal à les séparer ; mon père montrait une énergie que je ne lui avais jamais vue, lui d’habitude si mou. Finalement, il a desserré l’étreinte et il est monté dans leur chambre. Je l’ai vu retourner le contenu de tous les tiroirs avec des gestes d’une violence inouïe. Ma mère assistait à la scène, hébétée. Puis mon père a mis quelques vêtements dans un sac et il est parti en hurlant : « Tu m’as toujours fait chier avec ton ordre à la con, vive le bordel ! »  Il n’est jamais revenu, ça fait trois ans maintenant. Je me demande où il est.

Aujourd’hui, quand ma mère est entrée dans ma chambre en lançant son classique « Non, mais t’as vu ta chambre ? », j’ai repensé à tout ça, et j’ai presque eu envie de lui serrer le cou, une bonne fois pour toutes.

3 septembre 2018

Attente

Je vous parle comme à une amie, je ne vois pas beaucoup de monde, je suis seule, je regarde le monde vivre. Les vieux dérangent ; ils sentent la mort. Ils perdent la tête et laissent le corps prendre la place de l’esprit.

Je vous parle comme à une amie,  vos yeux surpris lisent la vieillesse de votre jeunesse. Vous ravalez votre orgueil, vous m’observez, vous déchargez votre jeune pitié compatissante, vous parlez lentement, vous prenez le temps, vous vous adaptez,  vous êtes mes yeux,  vous êtes mon esprit réincarné, vous êtes mes oreilles, vous êtes le temps retrouvé. 

Je vous laisse partir pourtant, vous avez votre vie mais votre absence m’est douleur ; plus d’ouïe, plus de vue, plus de goût, plus rien, juste le souvenir disparu, l’espace momifiée. La télévision branchée crache ses images sonores. Je n’ai plus de désirs, je suis fatiguée des souvenirs.

Je vous parle comme à une amie, mais je ne vous vois plus, je sens le fil se casser, je respire à peine surtout ne pas le couper…Je suis le blanc  aimé…

16 août 2018

Le couple

20170323_113019Elle avait gardé sa robe de mariée, mais pas son poids : 57 kilos trente-cinq ans plus tôt, 75 kilos trente-cinq ans plus tard.

La vie n’épargnait personne, et surtout pas elle.

Sa vie de couple l’avait épuisée, pourtant elle n’avait pas eu d’enfants. Dommage, peut-être lui auraient-ils permis de comprendre pourquoi elle était restée avec son mari jusqu’à ce qu’il meure.

Souvent, elle avait l'habitude de dire à son amie d'enfance.

- Maintenant qu’il est mort, je vais enfin pouvoir  vivre !

Et elle n'avait pas tort. Depuis son enterrement, sa vie prenait un nouveau cap, si nouveau d'ailleurs que les mauvaises langues du village laissaient entendre que cette mort soudaine leur paraissait bien étrange.

Sans doute avaient-ils raison, mais qui aurait pu imaginer comment il était mort ?

19 juillet 2018

L’acteur

Cela faisait trente minutes qu'elle supportait ce spectacle avant-gardiste et elle était à bout de nerfs. Soudain, un spectateur du cinquième rang se leva et cria.

- C'est nul à chier ! Suivi par deux autres du quatrième et du troisième rang.

Contre toute attente, l'un des deux acteurs interrompit son texte, se tourna vers eux et cria.

-          Et moi, vous croyez que ça m'amuse de dire ce texte ? Maintenant si ça vous emmerde, vous pouvez sortir.

Puis, comme si de rien n'était, il reprit son dialogue avec son partenaire alors que des spectateurs commençaient à quitter la salle...

15 juillet 2018

La campagne

Le lundi, la boucherie était fermée, alors parfois ils partaient à la campagne. Ce lundi-là, lui  contemplait le paysage et respirait la beauté des lieux alors que sa femme feuilletait Gala, assise sur son siège pliant en toile bleue et rouge.

Pendant un long moment il resta silencieux et son regard vogua sur l’onde paisible ; soudain, mû par une veine lyrique, il déclama presque exalté.

- Je suis l’eau, le ciel, le baiser bleu-vert de l’herbe couchée, l’arbre gorgé de sève...

-  Arrête tes sornettes, je lis ! répliqua sa femme agacée.

A chaque fois qu’il improvisait un poème,  elle l’humiliait. Comme si ça la dérangeait de voir que derrière son tablier de boucher et ses mains rouges-sang il y avait aussi un poète !

Il faudrait pourtant qu’elle s’y habitue : dans sa vie, la viande et la poésie occupaient la même place. 

Et si elle s’obstinait à ne voir que le boucher en lui, il ne faudrait pas qu’elle s’étonne si un jour, il lui plaçait la pointe de son couteau affûté  sous la gorge...

11 juillet 2018

à bicyclette

Il n’y a jamais eu de vélo sans toi. Souvent, nos guidons se frôlaient  dans les virages et nos cœurs se blessaient  dans les orages. 

Te rappelles-tu ta sonnette qui hurlait sans crier gare et affolait les passants sur les trottoirs ? Et cette chaîne qui sur tes mains laissait ressasser le noir chemin de ton enfance ; t’en souviens-tu ?  

Je me rappelle aussi les prés qui abritaient nos corps fourbus et les herbes folles qui caressaient la moiteur de nos peaux brunies par le soleil.

Aujourd’hui ton vélo est au grenier  -  pourquoi l’aurais-je jeté ? -  et je  voyage seule sur les routes de mes rêves.

 

18 mai 2018

Evidence

Un matin, au petit déjeuner, elle lui avait dit, comme si c’était une évidence.

-  Ce qui nous sépare, tu vois, c’est nous. Et j’ajouterais même : si nous n’étions pas nous, nous pourrions parfaitement vivre ensemble, sans ressentiments.

Il en avait noyé sa tartine dans son immense bol de café au lait.

3 mai 2018

Le principe de réalité

Elle essaya de lui expliquer : « Quand je n’étais pas morte, j’étais comme vous, je me croyais immortelle. Maintenant je sais l’effet que ça fait. »

Il répondit l’air las : « Et alors ? »

Elle tenta le tout pour le tout : « Alors ? Alors allez-y, dites-lui que vous l’aimez, sinon elle va vous laisser tomber et vous l'aurez bien cherché ! »

Il s’énerva : « Mais qui vous êtes pour me dire ça ? »

Elle s’étonna de sa naïveté : «  Je suis votre ange-gardien, mai j'aurais mieux fait d'aller au purgatoire plutôt que d'accepter cette mission ! »

Il feignit l'indifférence et continua à se ronger les ongles. Soudain, elle se rendit compte que ce type lui rappelait un ancien amoureux. N'était-ce pas ça, justement, qui rendait leurs relations difficiles ?

 

 

1 mai 2018

Les cours de piano

20180501_164804Je me souviens de mes non-cours de piano. J’avais 9 ans et, le jeudi matin – jour des enfants – j’allais  chez mon professeur qui habitait une grande maison au fond d’un parc. Au milieu du parc,  un cèdre singulier étendait ses branches  jusqu’au deuxième étage de la maison. Je rêvais d’y élire domicile.

J’aurais voulu savoir jouer sans travailler. Mon professeur - une dame  dotée d’un certain humour  - sans doute lassée de me répéter les mêmes choses, finit par se plier aux règles que ma « paresse » lui avait fixées : elle jouait et je l’écoutais.

50 ans plus tard, j’ai repris le piano, c'est moi qui paie les cours, et je ne demande plus au professeur  - qui a 20 ans de moins que moi - de jouer à ma place…

 

PS : photo du lieu en question, prise aujourd'hui même.

16 avril 2018

Le chien

Dans ce café tranquille du centre de Rouen, quand le chien est arrivé à la table de l’homme à moustache installé près de la fenêtre, il a tout de suite remué la queue, sans parler des larges coups de langue qu’il lui a prodigués.

L’homme, loin de se montrer indisposé par ces « léchouilles » a dit aux dames qui accompagnaient le chien : «  Ah, c’est pas ma femme qui me manifesterait autant d’attentions. »

L’une des dames, sans doute agacée par cette réplique, a ajouté.

-          Madame n’a peut-être pas ce qu’elle attend…

-          Ma femme est morte, madame.

-          Désolée, a immédiatement répondu l’intéressée, gênée.

Et l’homme s’est replongé dans la lecture de Paris Normandie.

 

PS : prochain texte le 20 avril

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