Voilà une heure qu’il observait sa femme. Que faisait-elle dans ce restaurant avec ce bellâtre de gondolier ? A les voir rire tous les deux, on aurait presque dit qu’ils se connaissaient depuis des siècles. Quand il pensait qu’avec lui elle n’esquissait que des sourires de convenance. Pourtant, n’avait-il pas de l’esprit ? N’était-ce pas ce que tout le monde disait ? De quoi pouvaient-ils donc parler ? Elle ne connaissait rien à l’italien et le gondolier n’était sûrement pas un amoureux de la langue française. Il devait avouer qu’elle n’avait pas pris le plus moche, c’est tout au moins ce qu’il lui semblait de loin.
Et si c’était un gigolo ? Quand il se rendit compte qu’il allait contribuer à leur folle journée avec leur compte commun il ne se contint plus. Il sortit de sa cachette, traversa le canal, entra comme un fou dans le restaurant et il se planta devant leur table tel un torero prêt à planter ses banderilles.
- Maintenant ça suffit ! tonna-t-il.
Elle le regarda surprise.
- Mais Michel, qu’est-ce que tu fais là ?
- Et toi ? Hurla-t-il, et avec un jeune con en plus !
Elle fit un signe au gondolier qui se leva immédiatement.
- Ah non, tu ne vas pas le faire sortir ce gigolo, ce serait trop facile !
La salle de restaurant n’avait d’yeux que pour eux. Elle finit par dire, le visage empourpré.
- Mais tu ne reconnais pas Tomaso, mon filleul ? Le fils de Catherine et Luigi. Tomaso a trouvé un job de gondolier pendant l’été.
Terrassé, il s’assit sur la première chaise venue et se servit un verre de vin. Au quatrième verre il buvait à la santé de Tomaso et au cinquième, sa femme et son filleul le prenaient par la taille pour le faire sortir du restaurant...
PS : Texte écrit à partir de cette photo prise par C.V. à Venise en 2007