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26 novembre 2011

Les bonnets

Elle venait d’être embauchée au rayon lingerie d’un magasin à l’enseigne encore peu connue, mais qui promettait de l’être, vu l’innovation dont il faisait preuve en matière de recrutement. Sur son CV, elle avait dû décliner, outre ses diplômes, la taille de ses bonnets. Le 95 E avait dû leur plaire car on l’avait embauchée sur le champ, malgré sa relative incompétence dans le domaine de la vente.

Lors de l’entretien, le directeur s’était contenté de jeter un coup d’œil prolongé sur sa poitrine afin de vérifier que le E  n’était pas galvaudé. Il avait ensuite déclaré.

-    Eh bien je pense que vous serez une vendeuse parfaite. Sachez que sur votre badge, vous aurez votre prénom et, juste à côté, la taille et la profondeur de vos bonnets. Les clientes – ainsi que les clients – aiment bien savoir à qui ils ont affaire.

Elle avait acquiescé. Le Directeur lui avait serré énergiquement la main en jetant un nouveau regard peu équivoque sur sa poitrine avantageuse.


PS : texte écrit en m’inspirant de cet article dans Libération

25 novembre 2011

La mochophobie

Depuis deux semaines, il souffrait de   « mochophobie », une maladie diabolique qui l’avait terrassé du jour au lendemain, sans que rien ne puisse l’expliquer.  Il a tout de suite pris des mesures radicales. La première, supprimer tous les miroirs de la maison ;  la deuxième, prendre rendez-vous avec un chirurgien plasticien. Et pourquoi pas Ivo Pitanguy, grand ami de Carla Bruni ?

24 novembre 2011

Salle des pas-perdus

Il lui avait dit :

-    Rendez-vous salle des pas perdus.

Et elle l’attendait encore, perdant ses pas sur le dallage arpenté inlassablement.

Au matin du troisième jour, un homme l’a obligée à s'arrêter.

-    Vous n’êtes pas fatiguée de l’attendre ? Lui a-t-il dit d’une voix douce.

Elle a fait signe que non.

-     Et vous comptez l’attendre encore longtemps ?

La jeune femme n'a pas répondu. L’homme a soudain changé de ton.

-    Il ne viendra plus, il faut l’accepter.

Elle l’a regardé sans comprendre. Sur son visage, la fatigue avait laissé de longues trainées bleues pâles.

-    Ça ne sert plus à rien, a-t-il continué, venez, je vous offre un café.

Et elle l’a suivi, sans trop  savoir pourquoi…

 

22 novembre 2011

La crise

Depuis que, trois semaines plus tôt, il  était devenu ministre de l'économie de ce petit pays membre des PIGS,  les voisins le battaient froid.

Dimanche dernier, après la messe,  une mini-manifestation avait été improvisée sous ses fenêtres. Il avait clairement vu et entendu une trentaine d’hommes et de femmes, brandissant le poing et scandant des slogans hostiles : « Ce n’est pas une crise, c’est une escroquerie ! Dehors, dehors, les ministres et les banquiers ! ». Quelqu'un avait même cogné à sa porte d'un geste rageur et il s'était terré sous le lit en attendant que le calme revienne.

Il fallait absolument  qu’il déménage ou on lui ferait la peau…

21 novembre 2011

L’américain

Hier matin, je suis allé m'acheter un croissant à la boulangerie : " the french touch " comme on dit chez nous. La vendeuse avait des gants, ça lui donnait un air de " serial killer ". Elle a pris le croissant avec ses gants, a rendu la monnaie avec ces mêmes gants puis, toujours gantée, elle a continué à vaquer à l'organisation des gâteaux dans la vitrine, sans se poser de questions.

Etrange pays, me suis-je dit. Que font-ils d’autre avec leurs gants ?

18 novembre 2011

La danse du hibou

Ils avaient inventé un  jeu  secret  :  la " danse du hibou ". Pourquoi avaient-ils choisi ce nom ? Peut-être à cause de la gaucherie de l’enfant qu’ils faisaient danser contre son gré.

Eux riaient et lançaient leurs petites pierres assassines.  Lui sautait, bondissait,  se cabrait, jusqu’à parfois en perdre le souffle. Personne n’avait jamais voulu voir ses larmes.

Un jour,  on le retrouva  allongé dans l’herbe, immobile, le visage livide, le corps froid.  La “ danse du hibou ” avait fait sa première victime.

 

PS : ce guide - le harcèlement entre élèves : le reconnaître, le prévenir, le traiter - publié par le ministère de l'éducation nationale est particulièrement bien fait.



15 novembre 2011

L’encyclopédie

- Les encyclopédies, c’est nul !

C’est ce qu’il lui avait déclaré quand elle lui avait dit.

- Internet, niet ! Et tu sais très bien  pourquoi ! Son fils était un adepte de la secte du copier-coller.

Elle avait donc continué à vaquer à ses occupations comme si de rien n’était ; entamer  les hostilités n’aurait servi à rien !

- Ben je m’en fous, si j’ai un zéro ça sera de ta faute, y faudra pas te plaindre !

Il avait toujours su  quoi dire pour la faire rugir.

- Putain de merde, prends l’encyclopédie dans la bibliothèque je te dis, c’est pas difficile ça, non ? C’est ce que je faisais, moi, quand j’avais ton âge ! Je cherchais dans l’en-cy-clo-pé-die et j’en suis pas morte !

Pourquoi lui avait-elle dit « putain de merde » ? Ce n’était pas digne d’elle. Elle devait se reprendre, faire deux ou trois respirations ventrales et tout irait pour le mieux. Ensuite elle relaxerait ses épaules si tendues et elle pourrait peut-être lui adresser la parole sur un ton moins agressif.

Mais son fils ne l’entendait pas de cette oreille.

- Bon, c’est toi qui l’auras voulu, après faudra pas m’accuser ! Et il se planta devant la télévision.

Quand elle le vit avachi sur le canapé, la télécommande à la main,  elle hurla dans la cage d'escalier.

- MICHEL – EL- EL-El,  occupe-toi de ton fils ou je fais un malheur !!!

11 novembre 2011

Le crâne

Quand elle fut assise sur son strapontin, elle remarqua que devant elle, le type était chauve. Il avait un crâne parfait : blanc, lisse et  lustré à souhait. Elle faillit le toucher, l’air de rien, mais il se retourna juste au moment où elle s’apprêtait à  y poser un doigt. Le regard noir qu’il lui lança,  la découragea. Dommage, son crâne était si beau. Alors elle se plongea dans la lecture du programme qui annonçait le thème de la composition de cette compagnie de danse : « des héros ordinaires ».

Pendant une heure, elle subit les gesticulations pathétiques de ces héros ordinaires qui ne provoquèrent chez elles aucune émotion, alors que si elle avait touché ce crâne…

10 novembre 2011

La vie de bureau (3)

Quand j’arrivais au bureau, il était toujours là. On aurait dit qu’il m’attendait, exprès.

-    Bonjour Madame Duclos, me disait-il avec un sourire forcé, comment allez-vous ?

Et je lui répondais sur le même ton.

-    Très bien M. Michaux, merci, et vous-même ?

En réalité, nous nous détestions. Il faut dire que deux ans plus tôt, nous avions divorcé après un mariage passablement raté…

6 novembre 2011

La parisienne

P7230742C’est dans ce village qu’elle était venue s’enterrer et bien mal lui en avait pris : le curé ne venait même plus dire la messe. Il lui restait le bruit de la rivière et le grondement de l’orage dans la montagne.

Pour les gens du village, elle était l’étrangère, la parisienne, celle qui se levait tard et se couchait tard, celle qui ne parlait pas comme eux, celle qui ne faisait rien – pas même son jardin -, celle qui disait juste bonjour, celle après qui les chiens aboyaient, celle qui se promenait seule dans les bois, celle qui  avait eu une liaison avec le boucher de Castillon alors que sa femme venait juste de mourir…


PS : fiction écrite à partir de cette photo de C. V. prise en Ariège

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