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Presquevoix...
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18 novembre 2013

Le geignard

Je le croise tous les jours - ou presque. Il  suffit que je lui serre la main pour qu’il s’épanche et me fasse part de l’état catastrophique du monde. A croire qu’une simple pression des doigts met sa machine à plaintes en route : la gauche – incapable ; la droite – à côté de la plaque ;  les chômeurs - feignants ; le respect – inexistant ; les transports – catastrophiques ; ses voisins - épouvantables ; sa famille – ingrate ; son médecin – incompétent ; sa femme – une emmerdeuse ; ses collègues de travail – des laxatifs ; son chef de bureau – un  médiocre !

Je me demande si, tout au fond de lui, il n’éprouverait pas une secrète jubilation à constater que tout va mal. Oui, tout va très mal, et tout ira de plus en plus mal, voilà d’où il tire sa force !

10 novembre 2013

Professeur...

Je voudrais être professeur de silence et transformer la salle de classe en aquarium où les bulles remplaceraient les mots. Je voudrais m’émerveiller de phrases qui ne s’entendraient pas et les imaginer flotter entre les élèves et moi. Je voudrais réveiller des répliques qui ne se diraient pas, rêver à des choses mystérieuses, bayer aux corneilles. Je voudrais que, suspendus aux branches d'arbres imaginaires, nous nous balancions au gré de minutes soufflées aux heures dans la presqu’immobilité d’un  livre sous-marin...

8 novembre 2013

Le conseil

Je savais que cette année la rentrée serait difficile, c’était écrit, mes intestins ne me trompent jamais. La liste de récriminations était longue, comme à l’habitude : Le boulot, les cons, les embouteillages, les factures, le stress de l’école – c’est mon fils qui y va mais c’est moi qui en ressens les symptômes – les voisins dont la connerie mitoyenne me donne des allergies, et j’en passe. Hier, j’ai eu le malheur de parler de tout ça à mon nouveau collègue de bureau qui a cru bon de me donner la solution à tous mes problèmes : « Toucher l’instant » ! Il l’a dit d’un ton tellement mystique que j’aurais pu en rire, mais j’ai choisi de m’énerver, comme souvent.

- Rien à foutre de l’instant, moi ce que je veux c’est la paix éternelle.

Il ne s’est pas démonté, m’a planté son regard gris acier dans les yeux et m’a dit froidement.

- Eh bien suicide-toi !

Je dois dire que là, il m’a pris de court. Personne ne m’avait encore jamais répondu ainsi. Depuis, étrangement, je vais mieux.

2 novembre 2013

La Toussaint

Le jour de la toussaint – avant d’aller au cimetière où ses parents avaient été enterrés –  elle disait à qui voulait l’entendre qu’elle allait prendre des nouvelles des morts. Elle emportait un panier en osier,  un siège pliant et, une fois  devant leur tombe, elle la recouvrait d’une nappe rouge. Ensuite, elle mettait le couvert : trois assiettes, trois verres, trois couteaux, trois fourchettes. Rien ne manquait sur la table improvisée. Parfois un voisin de tombe s’invitait, mais c’était rare.

Au milieu du repas, le vin aidant, le ton montait et les disputes succédaient aux disputes ; il n’était pas rare qu’elle parte sans leur dire aurevoir…

 PS : je vous conseille, à propos de cimetières, de voir ou revoir cette première scène d’ouverture de Volver, d’Almodovar.

 

 

25 octobre 2013

Reconversion

Après avoir été professeur de français - 25 ans de loyaux et fastidieux services dans un lycée public de la banlieue parisienne – elle était devenue « Maîtresse ».
 Sur le blog qu’elle avait créé, elle se décrivait ainsi : «  Maîtresse-femme -  mûre -  vous reçoit en son Donjon du lundi au vendredi, de 14 h à 17 h. Soyez le bienvenu au jardin des supplices !  ». S’en suivaient un mail, quelques photos, ainsi qu’une liste impressionnante d’instruments qu’elle avait placés dans son ancien bureau transformé pour l’occasion en scène sado-maso.
Sa petite affaire commençait à prendre tournure à raison de deux clients par jour, elle n’en souhaitait pas plus.
Tout en les fessant et fouettant – avec un sens de la mesure qu’elle calait sur une musique de Bach ou de Scarlatti -  elle repensait aux heures abominables passées à faire absorber aux élèves, rétifs pour la plupart, des notions qu’ils régurgitaient aussitôt.
Par contre, avec ses clients, rien de tel. Ils lui obéissaient au doigt et à l’œil et elle en ressentait un plaisir qui n’avait jamais été égalé sur la scène pédagogique…

 

 

15 octobre 2013

Le tricot

Elle tricotait devant la télévision, une bonne façon de diminuer ses angoisses, surtout lorsque la nuit tombait. Elle distribuait ensuite généreusement le fruit de son travail. Elle avait déjà donné 20 pulls et s’étonnait de n’avoir jamais vu quiconque en porter un seul. Il faut dire que, trop étroits ou trop larges, avec leurs mailles trop lâches et leurs manches trop longues ou trop courtes, ils n’allaient jamais à personne. Mais qui aurait pu le lui dire ?

13 octobre 2013

Le virage

Quand je lui ai dit « J’ai viré de bord ! », Christophe a cru que je votais FN ! L’imbécile ! Comme si on pouvait passer de l’extrême gauche au FN ! Comme il me connaît mal ! Rien que ça, ça m’a découragé d’aller plus loin. Ma confidence, je la ferais à quelqu’un d’autre.

L’après midi, j’ai téléphoné à Juliette, peut-être qu’avec elle, j’aurais une chance... J’ai commencé de la même façon « J’ai viré de bord ! ». Et elle s’est exclamée d’un ton désinvolte.

- Oh, ça arrive à tout le monde !

Comment ça ? Ça arrive à tout le monde ! Ça m’étonnerait bien que ça arrive à tout le monde ! J’ai préféré ne pas insister et je suis  passé à autre chose.

Le soir même, j’ai téléphoné à Jean, un copain que j’ai connu chez Manpower, une agence d’intérim. Quand je lui ai dit « J’ai viré de bord », il m’a demandé atterré.

- T’es devenu pédé ?

- Tout juste, lui ai-je répondu, content d’être compris.

Et il m’a raccroché au nez.

 

23 septembre 2013

Mensonge

« Je mens donc je suis », telle est ma devise. Mon dernier mensonge en date : j’ai dit à un collègue de travail que je l’aimais. Bien sûr rien ne m’y obligeait puisque je ne l’aimais pas ; seulement il me regardait d’une telle façon... J’avoue que j’ai dû y mettre du mien, il est tellement laid. Quand je lui ai fait ma déclaration, il m’a regardé l’air incrédule et a fini par répondre.

- Tu es sûre, vraiment ?

-  Mais oui, ai-je insisté.

Quand il a voulu m’embrasser, je l’ai laissé faire. L’espace d’un instant,  il est presque devenu beau.

Certains esprits chagrins me diront : on ne bâtit pas une vie sur des mensonges. Et alors ? Moi, je ne bâtis rien, je panse...

15 septembre 2013

Quelques notes…

Il lui avait juste dit.

- Si tu siffles les premières notes de notre chanson,  ça voudra dire que tu m'aimes.

Elle n’avait pas sifflé et il était parti. Longtemps elle l’avait attendu, blottie dans le silence de ses rêves, flottant au gré d’une partition inachevée.

Quand elle le revit par hasard, quinze ans plus tard, le pas énervé et la voix tranchante, elle remercia le ciel  de ne lui avoir jamais appris à siffler…

 

5 septembre 2013

Destin

Ils s’étaient mariés dans l’intimité : un mariage à l’église avec la famille proche et un repas dans une salle de restaurant banale, sans fleurs, où la nappe blanche préfigurait la page qu'il leur restait à écrire.

Quand elle avait regardé les photos du mariage de ses parents, vingt ans plus tard, elle avait eu l’impression qu’il s’agissait d’un enterrement ; le visage compassé de sa tante, celui, fermé, de sa grand-mère, les traits assombris de son père et le sourire contraint de sa mère laissaient  présager le pire.

Un an après le mariage - dans une partition tragique que le destin semblait avoir tracé au moment où leurs vies furent scellées sur l’autel du mariage - son père mourut dans un accident de voiture, sa mère lui survécut et, en elle, continua à vivre le fruit de leur union qui n’avait  que trois mois : elle.

 

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