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Presquevoix...
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9 septembre 2020

Je ne suis pas…

Il commençait souvent ses phrases par « je ne suis pas… mais ». Ces derniers temps j’avais droit à « je ne suis pas médecin mais… », « je ne suis pas président mais… », je ne suis pas professeur mais… », « je ne suis pas voyant mais ». J’écoutais patiemment la litanie jusqu’à ce qu’un jour de mauvaise lune, je lui réponde.

-          Dix ans ou presque que je t’entends dire « je ne suis pas mais », alors bon : qu’est-ce que tu es, finalement ? J’aimerais bien le savoir, d’autant plus que je vis avec toi !

Il n’a rien répondu et  le repas a continué dans le plus grand des silences…

 

5 septembre 2020

C _ _ _ ARD !

Lorsqu’elle avait voulu entrer dans sa petite salle de classe – salle occupée depuis des années et décorées par ses bons soins pour en faire une salle où l’on peut lire, parler, réfléchir, rêver et dormir, son collègue lui avait dit.

-         C’est moi dans cette salle.

-         Quoi, c’est moi ? avait-elle répondu d’un ton agressif.

-         Eh bien c’est dans mon emploi du temps.

-         Désolée, c’est une erreur du proviseur. Je lui ai demandé cette salle en juin car j’y ai tout mon matériel et ce, depuis 15 ans. Par ailleurs, je sais que la salle d’à côté est libre. J’imagine que les citations en portugais sur les murs ne sont pas adaptées pour l’anglais et tu pourras parfaitement  mettre les tiennes dans la salle d’à côté si tu le souhaites. Tu pourras même y afficher des grossièretés en anglais comme « fuck you », par exemple, ça fera rire les élèves et améliorera leur connaissance de la langue.

Une fois le collègue sorti, elle a enlevé son masque et a répété  « connard » plusieurs fois. Il faut dire que depuis son traumatisme crânien et la désinhibition « extraordinaire » qui avait occupé son esprit et son corps, « connard » était devenu son cheval de course. Et quel bonheur ! Elle avait d’ailleurs fait quelques adeptes depuis, mais n’avait pas encore créé l’ ALCC ( Association de Lutte Contre les Connards ». Elle se demandait tout de même si elle n'allait pas sauter le pas…

 

PS : je recommence la parution de mes textes tous les deux jours. Bonne journée à vous !

25 juillet 2020

Le père

Moi, je me regarde souvent dans la glace, et jamais je me reconnais. Parfois je ressemble à un robot - l’un de ces robots que nous promet l’intelligence artificielle - ou à un berger allemand, ou alors à mon père, et ça, c’est peut-être le pire. Y a-t-il quelque chose de pire que de ressembler à son père, surtout quand on l’a jamais vu pour de vrai ?

Ce n’est pas que mon père n’existe pas, mais il n’a jamais vécu avec ma mère et il n’a jamais cherché à me connaître, ni à me reconnaître. C’est ce qu’on appelle un père-absent, ou presque, car j’ai toujours vu sa photo trôner dans la chambre de ma mère.

J’ai un petit frère – il a 19 ans et moi 26 - qui lui non plus n’a pas connu son père, mais on n’a pas le même père.

 Les photos de nos pères sont sur le mur en face du lit de ma mère ; celle de mon père à gauche – il paraît qu’il était communiste – et celle du père de mon frère à droite - il paraît qu’il était UMP.

Ma mère dit souvent.

-           A quoi ça sert de connaître son père si on a une mère ?

Je ne lui réponds jamais rien, mais je sais que ça fait mal car l’absence est à l’intérieur de mon cœur et elle ne partira jamais.

Dimanche dernier, avant d’aller à la messe, mon frère – qui veut être curé - lui a dit cette phrase qui est en moi jour et nuit.

-          Tu te prends peut-être pour Marie madeleine, mais tu n’es rien de rien, et nous non plus nous ne sommes rien, rien du tout, que des enfants perdus qui cherchent un chemin dans l’ombre…

 

PS : prochain texte, mercredi 29 juillet

 

 

15 mai 2020

La pharmacie

Chez le pharmacien, derrière la vieille dame sans masque, quatre personnes attendaient, le visage masqué. La vieille dame avait présenté son ordonnance et on lui avait empilé toutes les boîtes sur le comptoir. Elle n’avait pu s’empêcher de dire en souriant.

-          Il faut avoir la santé pour prendre tous ces médicaments ! Mais faut aussi avoir la santé pour mettre un masque avec lequel on ne peut même pas respirer, sans parler de la buée sur les lunettes.

Et elle avait ajouté.

- Quand la sécurité sociale remboursera les masques, j'en mettrai un. Mais peut-être que je serai déjà morte, qui sait ?

Personne n’avait ri, mais peut-on entendre le rire des gens sous un masque ?

 

13 mai 2020

Le ciel peut-il attendre ?

 

Soudain il entendit sa femme crier dans la cuisine.

-          Alors, tu viens !

Il répondit aussitôt.

-          Deux secondes, je regarde un ciel de Boudin !

Aussitôt elle enchaîna.

-          Tu te fiches de moi ? Les boudins t’attendent dans la cuisine, ceux qu’on mange à midi, bien sûr, avec la purée que tu es censée faire !

Il s’était toujours demandé – depuis 10 ans qu’il vivait avec Marianne – comment son esprit pratique avait englouti sa vie. Ils ne vivaient pas dans le même monde, mais comment lui dire qu’il se fichait de la purée et des boudins ?

Pour lui, regarder Boudin suffisait à le rendre heureux. Sa lumière, ses couleurs, la matière qu’il brossait, ses nuages, ses ciels. Un seul ciel et l’extase surgissait.

-          Bon, tu viens faire la purée, papa, dit sa fille qui venait juste d’arriver dans la chambre.

Il regarda l’enfant avec une certaine tristesse avant de quitter Boudin. Deviendrait-elle une Marianne bis ? Pourtant, il avait insisté pour qu’elle s’appelle Juliette….

 

 

 

3 mai 2020

Les aiguilles

Depuis qu'on l’avait placée en maison de retraite, Eléonore ne pensait qu’à fuir. Pourquoi voulait-on la retenir prisonnière dans cette bâtisse grisâtre au milieu d'un parc vert entouré de grilles noires, loin de la vie, loin de sa vie ?

Avant chaque fugue, elle ne manquait jamais de mettre l'un de ses nombreux chapeaux, ajusté soigneusement avec de précieuses aiguilles qu’elle gardait au fond de son sac à main.

A bout d’arguments, le personnel avait fini par lui confisquer tous ses chapeaux, mais pas ses aiguilles.

C’est avec elles qu’Eléonore signa la date de son passage dans l’au-delà, et ce fut exactement le jour de son anniversaire. 

En la découvrant morte dans le parc, l'infirmier - un bout en train qu'Eléonore aimait beaucoup - eut cette remarque que certains considérèrent comme cynique.

- Dommage Eléonore. Pourtant toi qui aimais le bordeaux,  tu savais que " le vin d'ici vaut mieux que l'eau de là " !

1 mai 2020

En ce premier mai... fête internationale des travailleurs...

Jean-Pierre Rosnay est le fondateur du Club des Poètes. Voici, ici, son poème ordre du jour qui, en cette période de confinement, peut donner matière à penser, à sourire, à imaginer, à s'égarer, à se rebeller, à s'amuser, à soupirer, à aimer, à voler peut-être...

Bon, je vous dis bonne journée. Moi, je pars, poème à la main, pour la manifestation virtuelle. L'un des mots d'ordre sera : tenons "tête à l'adversité" sans "épargner l'adversaire" !

 

 

Ordre du Jour

Tenir l'âme en état de marche

Tenir le contingent à distance

Tenir l'âme au-dessus de la mêlée

Tenir Dieu pour une idée comme une autre
un support, une éventualité,

une contrée sauvage de l'univers poétique

Tenir les promesses de son enfance

Tenir tête à l'adversité

Ne pas épargner l'adversaire

Tenir parole ouverte

Tenir la dragée haute à ses faiblesses

Ne pas se laisser emporter par le courant

Tenir son rang dans le rang de ceux qui sont décidés

à tenir l'homme en position estimable

Ne pas se laisser séduire par la facilité

sous le prétexte que les pires

se haussent commodément au plus haut niveau

et que les meilleurs ont peine à tenir la route

Etre digne du privilège d'être

sous la forme la plus réussie: l'homme.

Ou mieux encore, la femme.

Jean-Pierre Rosnay
Jean-Pierre Rosnay


23 avril 2020

Les deux amies

Ce jour-là, je me souviens, Isabelle m’avait dit d'une voix coupante.

- Je t'interdis de lui faire remarquer que je me suis fait couper les cheveux !

Un peu étonnée, je lui en avais demandé la raison. Elle m’avait répondu, agacée, qu'il devrait le découvrir tout seul.

- Mais pourquoi ? avais-je insisté.

Elle avait rétorqué.

- Pour que je sache à quel point il ne me regarde pas !

- Et ça te fait plaisir de le remarquer ?

Enervée, elle m’avait répondu.

-          Dis-moi, tu es l’amie de qui,  Bernard ou  moi ?

-          De toi, Isabelle, de toi. Mais ne crois-tu pas que tu en fais trop ?

-          Trop de quoi ?

J’avais respiré longuement avant de lui donner la phrase finale, celle qui, sans doute, provoquerait une rupture, la nôtre.

-          Eh bien trop de scènes, comme si nous étions au théâtre.

Isabelle ne m’a jamais pardonné cette réponse. C’était il y a 5 ans. Et aujourd’hui encore, quand elle me croise dans une réunion, elle m’ignore. Peu m’importe, d’ailleurs, car je me suis rendue compte qu’Isabelle n’aime qu’une seule personne : elle-même.

21 avril 2020

Le « con fini »

Ce n’était tout de même pas gentil de sa part de dire que son père était un « con fini », surtout en cette douloureuse période de confinement. D’ailleurs, non seulement Hélène le disait, mais elle le répétait à qui voulait l’entendre, sauf à son père, bien sûr.

Vous vous demandez sûrement pourquoi Hélène donnait ce petit "surnom" à son père. J’avoue que moi-même j’avais du mal à le comprendre et j’ai fini par le lui demander. Sa réponse m’a fait sourire, quoique…

-          Eh bien, tout simplement parce qu’il est en maison de retraite depuis février et qu’il veut en sortir dès la fin du confinement pour revenir chez lui ; il ne supporte pas les vieux. Eh puis, il veut aussi revoir son chien, chien qu’il a traumatisé et qui est mieux chez moi, je te le dis.  Sans parler du reste : mon père est incapable de prendre ses médicaments, incapable de faire ses courses, incapable de faire la cuisine, incapable de supporter une aide-ménagère, incapable de rester seul, incapable de tout, quoi. En plus, il va m’emmerder en permanence, tous les jours, sauf si je ne réponds pas au téléphone, mais ça, une « bonne fille », comme on dit, peut-elle le faire ?

Oui, maintenant elle comprenait pourquoi Hélène disait que son père était un « con fini ». Elle était heureuse de ne pas avoir le même père qu'elle. Mais bon, le sien était mort il y a longtemps, sa mère aussi d’ailleurs.

17 avril 2020

Confinement intérieur

Elle lui avait demandé de ranger sa chambre.  Une hérésie. Demande-t-on à un adolescent de presque 18 ans de mettre de l’ordre dans sa chambre et de changer les draps de son lit en période de confinement ?

Le rangement dura une semaine. Le premier jour, il mit ses chaussettes au sale, le deuxième jour il changea la housse de couette, le troisième jour le drap du dessous, le quatrième il ramassa ses livres et les fourra dans son bureau, le cinquième jour il s’attaqua aux feuilles qui traînaient par terre et il les jeta en vrac dans un tiroir, le sixième jour, il mit ses caleçons dans la machine et le septième jour… il se reposa.

C’est le huitième jour qu’elle prit la parole.

-          Très bien rangé, dit-elle.

-          N’est-ce pas, répondit-il.

-          Mais ranger, pour toi, c’est surtout cacher, non ?

-          On a tous des trucs à cacher, toi tu caches ton passé et moi je cache les objets.

-          Et tu crois que c’est la même chose ?

-          Idem.

Cinq minutes plus tard elle revenait dans la chambre de son fils pour lui dire.

-          Ok, j’ai compris : ton père n’est pas ton père.

Sans s'énerver, l'adolescent répondit.

-          Je m’en doutais. Maintenant reste à savoir qui est mon père.

-          Alors ça, je ne m’en souviens plus.

Elle était hors de sa chambre quand il cria.

-          T’as jusqu’à la fin du confinement pour me le dire, sinon je pars !

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