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Presquevoix...
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30 décembre 2015

Bonne année

On l’appelle « bonne année », parce que quand il a commencé  à travailler il ne savait dire que ça.

Il est posté à la sortie de la boulangerie, tous les dimanches, et Il tend la main, debout, un  sourire inaltérable accroché aux lèvres. Chaque client a droit à un bonjour et une bonne journée, avec une intonation propre à celle de sa langue maternelle.

Je me demande combien il gagne. Les gens sont-ils plus généreux à la sortie de la boulangerie qu’à la sortie de la messe ? Un homme qui faisait la manche  à la sortie de l'église de la Madeleine, m'avait "avoué" que, si les catholiques étaient polis et souriants, ils étaient loin de desserrer facilement les cordons de leur bourse. Il est vrai que la théorie est toujours plus facile à mettre en place que la pratique...

PS : prochain texte le 2 janvier 2016 et... Bonne Année 2016, comme il se doit.

26 décembre 2015

Les harengs

Après avoir acheté des harengs au marché, elle était revenue sur le parvis de l’église et en avait lancé quelques-uns aux goélands dont les cris déchiraient l’espace. Ceux-ci ne s’étaient pas fait prier et avaient fondu sur les poissons. Un passant l’avait hélée, agacé.

-          Plutôt que de donner à bouffer aux goélands, vous feriez mieux de donner votre fric aux restos du cœur.

Elle répliqua.

-          Les gens n’ont qu’à aller travailler !

Le type lui fit un bras d’honneur et passa son chemin en bougonnant : Connasse, on voit bien que t'as pas à en chercher du boulot !

 

PS : prochain texte le 30 décembre

15 décembre 2015

L'élève

Elle entre en traînant les pieds, le visage fermé, bougonne, s’assied, sort son cahier parce que j’insiste vraiment et laisse son sac sur les genoux – c’est mieux pour consulter son portable. Quand je lui demande si son travail est fait, elle déclare ostensiblement  que non et s’étonne que je m’étonne, puisque je n’ai soit disant rien donné le cours précédent. Elle répond aux questions de façon renfrognée - quand elle daigne répondre - sinon elle bavarde avec son voisin ou regarde par la fenêtre.

« Il faut les faire rêver » – m’étais-je entendu dire il y a plusieurs années lors d’une inspection. Les faire rêver ? Ah oui ? Comment ? L’inspectrice n’avait pas osé me montrer comment faire ce jour-là. Sans doute n'était-elle pas encore tout à fait sûre de l'efficacité de ses "artifices" pédagogiques.

Hélas donc, je ne sais toujours pas les faire rêver. Je ne sais pas les faire rire non plus, mon humour n’est pas le leur. Ce qui me fait rire – je sais, je deviens sadique avec l’âge – ne déclencherait aucune hilarité chez eux, je le crains...

13 décembre 2015

Le prince charmant

Il était tellement fade que lorsqu’il lui avait proposé d’aller voir les tambours du Bronx, plutôt que de dîner au restaurant, elle avait sauté sur l’occasion. Pour une fois qu’il avait une idée qui sortait des plaines de l’ennui.

-          Ensuite on pourrait aller… avait-il tenté.

-          Impossible, répondit-elle immédiatement, je dois me coucher tôt. Le lendemain j’ai un train à 8 heures.

Mais quand arrêterait-elle de lui mentir ? Etait-il si difficile de lui dire que ce qu’elle voulait, elle, c’était un homme qui aurait la voix de Paolo Conto et qui l' emmènerait  au septième ciel, comme Fred Astaire…

 

 

 

 

 

21 novembre 2015

Les ossements

Mardi dernier, dans l’église  Notre Dame du St sacrement, elle a volé des ossements de saints dans deux reliquaires du XVIIIème. Pourquoi ? C’est la question que lui pose et repose le commissaire qui l’interroge depuis maintenant une heure.

-          Je ne sais pas, répond-elle invariablement.

-          Cherchez ! Répond le commissaire impitoyable.

Soudain, elle a une révélation.

-          Parce que je voulais me réparer et devenir sainte moi-même.

Le commissaire la regarde l’oeil amusé.

-          Eh bien vous voyez, c’était quand même pas sorcier ! Maintenant, si j’ai un conseil à vous donner, plutôt que de voler des ossements dans des reliquaires, ce qui peut vous couter très  cher, achetez-vous « La sainteté  pour les nuls », ils ont tout dans cette collection !

Et, d’un geste magnanime, il lui  montre la sortie.

 

16 octobre 2015

GDG Suez

17 heures, j’allais sortir. On sonne. J’ouvre. Ils sont deux à la porte, tout de bleu et de gris vêtus, un homme et une femme. J’ai cru qu’il s’agissait de témoins de Jéhovah, mais non, c’est GDF Suez Dolce vita.

Le monsieur tente de m’expliquer qu’ils sont là pour que je fasse des économies. Je réponds que GDF Suez Dolce vita frise le harcèlement avec ses clients. Nous les avions au  téléphone, par mail, par la poste et maintenant, le soir à 17 h ! 

L’homme insiste sur les économies à faire, je lui réponds – pensant que l’argument pourrait être salvateur -  que mon mari ne veut pas changer de contrat.  « Mais  votre mari n’a pas compris… », essaie-t-il de glisser. Je le coupe en soulignant que mon mari doit être bête, certainement, puisqu'il n'a rien compris. L’employé de GDF Suez s’excuse, ce n’était pas ce qu’il voulait dire.

-          On vous téléphonera si on change d’avis, dis-je en fermant la porte.

Je me demande si les employés de GDF Suez Dolce vita sont coachés par les témoins de Jéhovah…

26 septembre 2015

Gibert

Elle était au rayon philosophie, chez Gilbert et, par curiosité, elle fit un petit tour des étals pour prendre la mesure de tous les livres qu’elle ne lirait jamais. Un homme lui adressa la parole.

-          Je peux vous aider ?

Elle tourna la tête et vit un escogriffe d’une cinquantaine d’année, une coupe de cheveux au carré imparfait,  la mine étrange, et un costume d’un autre temps ; sans doute un professeur de philosophie. Qui d’autre ? En tout cas, ce n’était pas un vendeur.

-          Non, merci, répondit-elle poliment.

Il ajouta.

-          Alors vous faites un tour des rayons et ça vous suffit ?

Elle lui sourit et rétorqua.

-          Exactement, je tourne donc je suis.

Il hocha la tête, dubitatif, et marmonna quelque chose qu’elle ne comprit pas avant de partir à grandes enjambées. Elle remarqua qu'il avait fait tomber une petite feuille qui semblait arrachée d'un carnet. Curieuse elle la ramassa. Elle y lut, écrites en rouge, les phrases suivantes : " Deviens qui tu es! Fais ce que toi seul peut faire. F. Nietzsche "

Elle suivit le programme au doigt et à l'oeil.

10 septembre 2015

La chienne

Tous les jours, à 11 heures sonnantes, il est au comptoir du bar avec sa chienne Zeta. Il demande un demi, suivi d’un deuxième et d’un troisième, comme d'habitude. Ce jour-là, la chienne ne reste pas à côté de lui, elle est à un pas derrière, attentive. Après avoir vidé le dernier verre, il appelle sa chienne, énervé.

Son voisin de comptoir – encore lucide -  lui signale par deux fois que la chienne est juste derrière lui mais il ne la voit pas. Les trois bières avalées au « Terminus » - plus celles qu’il s’est enfilées ailleurs – lui ont tapé sur la tête et il  marmone quelque chose d'indistinct.

Son copain de comptoir ricanne.

-          C’est pas un labrador qu’il te faudrait toi, c’est un chien policier.

Lui ne relève pas, d’ailleurs il ne  releve plus rien  à cette heure-là. Il laisse un billet sur le comptoir et lorsqu’il part, sa chienne le suit,  sans zigzaguer.

6 septembre 2015

Le vieux couple

Ils s’asseyent l’un en face de l’autre. Elle, ratatinée, 1 m 55 maximum, un visage de  pomme ridée et une silhouette si fluette qu’on pourrait aisément la casser en deux ; lui, beaucoup plus jeune – sans doute son fils -  1 m 70, l’air d’un ours mal léché, le visage bouffi par l’alcool. Il veut commander un demi. Elle hésite un peu. Je vais peut-être commander un porto. Mais il est 11 h 30, c’est un peu tôt. « L’ours » répond : Dépêche-toi !. Et elle se hâte, en fourmi obéissante. Elle opte finalement pour une menthe à l’eau. Le porto ce sera pour plus tard.

 Ils parlent peu, pour quoi faire ? Ils se connaissent sur le bout des doigts ; cinquante ans de vie commune, ça laisse des traces. Elle essaie de lancer un sujet, mais il se lève pour commander quatre jeux -  un astro, un bingo, un solitaire, un cash.

Il revient s’asseoir en face d’elle et le grattage s’avère désastreux. Un putain, fait chier lui échappe à plusieurs reprises. Elle dit qu’il ferait mieux de s’arrêter vu ce que ça donne et il répond par un geste d’énervement.

La télé déverse ses catastrophes, elle sirote son jus, il enfile sa bière, et à midi tapantes, ils partent l’un derrière l’autre, comme un vieux couple qui ne peut plus se quitter.

2 septembre 2015

Le discours de rentrée

Un bourdonnement permanent couvre la voix du Proviseur, mais il est vrai qu’on connaît déjà la musique. Au programme, les résultats du bac, toujours meilleurs - forcément les évaluations sont de plus en plus bienveillantes -  l’accompagnement personnalisé - qui n’est personnalisé que de nom puisque les élèves sont à 30 par classe  – les consignes de rentrée du rectorat etc. L’ennui aidant, je me concentre sur les «  éléments de langage », c’est tout de même plus drôle.

Ce nouveau Proviseur, avec son faux air d'employé des postes à l'ancienne - costume bleu et ventre proéminent -   fait de son mieux pour mettre en application les mots clefs de la « novlangue ». Il « balaie le conducteur », avant d’« impacter » » et « d’élargir le périmètre » sur notre « mission d’éducateur », soudain surgit le « retour sur investissement », suivi des « cohortes d’élèves »  qui  me terrifient et m’évoquent les troupes d’invasion de Gengis Khan.

Au bout de 40 minutes, le  bourdonnement s’accentue et certains professeurs, distraits, auront raté – tant pis pour eux -  les plus belles envolées poétiques du discours, avec « les temps repérés de cette journée »,  " le retard que l'on avait peu à peu pris... pardon, le décalage temporel ". Emue, j’avais presque envie de me lever et d’applaudir.

Une année scolaire qui  s’annonce  plus mal que la précédente, mais ce n’est pas grave, l’essentiel c’est de participer, non ?

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