Caramel le lapin
Silvia reste assise à son bureau,
le buste droit, les mains à plat sur le bois du meuble, réchauffé par les
rayons de soleil qui passent par la fenêtre entrouverte. Elle ne bouge pas,
elle regarde au loin perdue sans ses pensées. Devant elle, l’ordinateur qui a
remplacé les cahiers qu’elle choisissait avec soin. L’écran est en veille, il
fait beau, des papillons dansent d’un coin à l’autre du jardin qui s’offre par
la baie vitrée, la radio diffuse de la musique agrémentée par la voix rauque
d’une présentatrice.
Le chat saute sur le bureau et vient
frotter son museau à son menton. Elle incline sa tête pour offrir sa joue à la
petite langue râpeuse, elle touche le corps souple du petit félin et se
décidant, prend l’animal dans ses bras pour enfouir son visage dans le pelage
doux. Elle le serre dans un geste de possession et aimerait rester ainsi et
tout oublier. Oublier les mots qui refusent de venir, oublier cette inspiration
qui lui fait défaut, oublier que ses derniers textes ont été refusés, oublier
qu’elle est obligée d’aligner des phrases si elle veut manger ! Elle avait
cru ce job facile car elle aimait écrire. Elle écrivait tout le temps, sortait
son carnet dans le bus, à la table d’une terrasse, en attendant son tour et
c’était devenu une drogue. Ses petites histoires prenaient vie, tantôt drôles
et touchantes, tantôt tristes ou même effrayantes. Elle aimait varier,
surprendre, étonner. Quand le job lui avait été proposé, elle avait cru nager
dans le rêve absolu mais avait déchanté rapidement. « Pas assez percutant,
pas intéressant, trop spécial, pas assez littéraire, trop populaire, pas assez novateur, trop intellectuel, etc ». Elle avait tout entendu et son
optimiste avait fondu comme neige au soleil. Maintenant son moral était à ras
les chaussettes et elle doutait de tout, d’elle, de son talent si elle avait eu
un, de son avenir, de ses envies, de sa vie, de tout quoi !
- Maman !
Elle tourne le regard vers sa
fille qui s’avance, son doudou à la main, son pouce dans la bouche.
- Quoi mon trésor !
La petite veut se hisser sur les
genoux de sa maman et sitôt installée pose sa tête sur la poitrine maternelle.
- Tu me racontes l’histoire de
Caramel le lapin, celle où il aimait le chocolat ?
A cette demande, un frisson
parcourt Sivia. Cette histoire, elle l’avait inventée quand sa puce avait été
hospitalisée, quand elle avait si mal que les calmants ne faisaient aucun
effet. Pour lui faire oublier la douleur, elle avait alors inventé toute une
série d’histoires, les aventures de Caramel le lapin. Elles les avaient
oubliées celles-là, mais elles étaient bien rangées dans un coin de sa mémoire.
Et si Caramel allait lui sauver la mise, pourquoi ne pas essayer, ce qui avait
plu à sa fille allait peut-être trouver grâce auprès de son rédacteur ?
Elle serre sa fille, la berce un
instant et tout doucement commence à raconter pourquoi un lapin aimait le
chocolat…