Amour
Ma femme me reproche toujours de ne pas lui dire que je l’aime. Pourtant, je le lui ai dit le jour de notre mariage, il y a 3 ans, allez comprendre les femmes…
Ma femme me reproche toujours de ne pas lui dire que je l’aime. Pourtant, je le lui ai dit le jour de notre mariage, il y a 3 ans, allez comprendre les femmes…
Végétarienne depuis 10 ans, elle avait toujours demandé aux hommes carnivores avec qui elle sortait de se brosser les dents avant de l’embrasser sur la bouche. « Je ne supporte pas les charniers », leur expliquait-elle en réponse à leur étonnement.
Hier matin, en regardant la maison du voisin par la fenêtre de ma chambre, j' ai eu l’étrange impression de voir un magnum de bordeaux en lieu et place de sa cheminée. Devrais-je arrêter de boire mon petit verre du soir, le verre thérapeutique - comme je l'appelle - celui qui me donne le petit coup de fouet nécessaire au maniement des poêles, casseroles et ingrédients divers ?
Elle avait grossi de trente kilos, pour lui. Seulement, un an plus tard, il la voulut mince. Elle essaya de maigrir, en vain. Il la quitta.
Par trois fois, elle tenta de se suicider ; peine perdue, la vie lui collait à la peau comme un vieux gant usé.
Elle se résigna à vivre, triste et grosse, jusqu’au jour où elle rencontra un lanceur de couteau. Chaque soir, il faisait le tour de son corps avec ses quarante couteaux et chaque soir, elle vivait le grand frisson qu’elle n’avait jamais connu avec l’autre.
Elle était allée chercher des places au théâtre des Arts, haut lieu de la culture rouennaise quand, sur le parvis, son regard a été attiré par un jeune « SDF » qui essayait, en vain, de « déloger » l’un de ses chiens monté sur l’autre… Il accompagnait ses gestes de hurlements pathétiques « Pas de pédés chez mes chiens ! Je veux pas de pédés chez mes chiens !!! »…
Deux jours avant la rentrée, c’était toujours la même chose, les rêves succédaient aux rêves. La veille, dans son premier rêve, elle était redevenue élève et séchait sur un problème de maths que le professeur – une femme à l’impeccable blouse blanche - avait donné en anglais afin de vérifier leur niveau de compétence dans les deux disciplines. Quant au rêve suivant, redevenue professeur, elle essayait de se présenter à la classe mais aucun son ne sortait et les élèves finissaient par se lasser de ce rôle muet. Elle se réveilla en sursaut à quatre heures du matin, et la première chose qu’elle fit ce fut de vérifier l’usage de sa voix en hurlant.
Son mari lui en voulut beaucoup…
Elle lui avait demandé de ranger sa chambre. Une hérésie. Demande-t-on à un adolescent de mettre de l’ordre dans sa chambre ? Le rangement dura une semaine. Le premier jour, il mit ses chaussettes au sale, le deuxième jour il changea la housse de couette, le troisième jour le drap du dessous, le quatrième jour il ramassa ses livres et les fourra dans son bureau, le cinquième jour il s’attaqua aux feuilles qui traînaient par terre et il les jeta en vrac dans un tiroir, le sixième jour il mit ses caleçons dans la machine et le septième jour… il se reposa.
Il avait griffonné plusieurs débuts d’histoire - celle de la femme qui se prenait pour un chien, celle du type qui racontait compulsivement des histoires drôles qui ne faisaient rire personne, celle de l’homme qui se faisait mettre à la porte de chez lui et qui se retrouvait nez à nez avec son voisin qui lui souhaitait de bonnes vacances, celle d’une femme qui faisait l’amour avec des dizaines d’hommes sauf son mari… - puis il les avait toutes fait disparaître les unes après les autres. Non, ce jour-là rien ne trouvait grâce à ses yeux. Il ferait mieux d’arrêter d’écrire. Et c’est ce qu’il fit.
Le lendemain, il s’acheta une canne à pêche et partit à vélo vers la Bouille. Il trouva un joli coin ombragé et installa son matériel. C’est en ramenant un soutien-gorge en lieu et place d’un gardon qu’il cria Euréka. Il délaissa sa canne, nota quelques lignes sur calepin apporté au cas où, rangea ses affaires et rentra chez lui.
Il écrivit 50 pages d’affilé ; son premier roman prenait forme…
Hier, pour la première fois depuis dix ans, il avait fait les courses avec elle. Ils avaient parcouru les rayons d’Intermarché et mis leurs produits ensemble dans le caddy ; le bonheur presque absolu.
A la caisse, il avait tout rangé dans les sacs bleus à une vitesse qu’elle avait jugée tout à fait raisonnable. Lorsqu’elle eut payé, elle lui déclara :
- Tu es reçu !
Il s’étonna :
- Je suis reçu ? Mais à quoi ?
- Tu as ton diplôme du CAC : « Certificat d’Aptitude aux Courses ». Avec 20 sur 20 dans toutes les disciplines : recherche des produits, choix des produits selon leur coût et leur qualité, rangement des produits.
Ce qu’il ne savait pas encore, c’est que les dix années à venir , il serait préposé aux courses, comme elle l’avait été les dix années précédentes.
Avant-hier, le directeur m’a convoquée dans son bureau, au vingtième étage de la Tour Breteuil, pour connaître mon avis sur l’entreprise COR. Je le lui ai donné sans mâcher mes mots, mais au moment où j’ai voulu sortir, il m’a coincée contre l’armoire en fer. Il m’a dit qu’il aimait mon côté rebelle et que ça l’excitait. Sa chemise était bleu pâle et il sentait le musc. J’ai gardé sur moi son odeur pendant toute la journée. En parfait gentleman, il n’a pas insisté quand je lui ai demandé d’arrêter et je suis sortie la tête haute.
Seulement voilà, maintenant, son odeur m'obsède...