Tu me demandes ce que je fais de mes journées, à la retraite ? Eh bien, tu n’aurais pas dû me le demander car ça risque de te donner le bourdon. D’abord, depuis que je suis à la retraite, dès que je me réveille, je me demande ce que je vais faire pour ne pas m’emmerder. Ensuite, je fais des déductions. Non, pas fiscales – on voit bien que tu étais inspecteur des impôts - mais des déductions qui me viennent à l’esprit sur les gens que j’ai observés la veille. Tu sais, quand on s’emmerde, il n’y a plus que ça à faire, observer les autres. Tu as bien de la chance de ne jamais t’emmerder, toi. Non, je ne fais pas de mots croisés, je déteste ça. Par contre, tous les jours, vers 10 heures 30, s’il ne pleut pas, je sors et je joue dans les rues au poseur de questions. Et ça, ça me fait bien rire. C’est drôle comme jeu. Tu poses des questions bizarres aux gens – j’ai une liste que je me suis faite - et tu vois comment ils te répondent. Ça te plairait peut-être ce jeu, mais c’est vrai, toi, tu ne t’emmerdes jamais. Si les gens m’agressent, j’essaie de garder mon calme ; sinon, je souris. Tu veux connaître les questions que je pose ? Eh bien par exemple :
- Vous préférez sur-rire ou sous rire ?
- Qu’est-ce qui peut nous empêcher d’aimer ?
- Comment peut-on aller plus loin ?
- Est-ce que l’ennui porte conseil ?
- Qu’est-ce qu’on ne peut pas montrer ?
- Comment se brûle-t-on les ailes ?
- Connaissez-vous votre ange-gardien ?
Tu veux que je m’arrête ? Tu as raison, parfois ça peut nous troubler toutes ces questions. Ensuite, vers 13.30, je mange chez moi, souvent seul mais la solitude est bonne conseillère, tu le sais, toi qui vis seul. Et puis, je fais la sieste jusqu’à 16 heures, et là, je ressors pour faire les courses. Je peux te dire que le supermarché est un lieu étonnant où j’observe un par un les consommateurs à la recherche du prix le moins cher. Et je note tout ce que je vois ou j’entends. Parfois, quand je suis assis entre deux rayons, on me pose des questions ; certes, c’est rare, mais ça arrive. Comme cette fois où une femme m’a demandé si, assis par terre, j’écrivais le prix des produits sur mon calepin. Je lui ai répondu que non, mais que j’écrivais combien de jours il me restait à vivre. La pauvre, elle a frisé la crise cardiaque. Et puis, une fois que j’ai acheté mes quelques courses, je rentre chez moi et je retrouve Marie qui, elle, rentre du travail. Elle me demande si j’ai passé une bonne journée, je réponds que oui, pour ne pas l’emmerder, et elle s’allonge sur le divan pour me raconter sa journée à elle. Je peux te dire que sa journée à elle est bien moins légère que la mienne. D’ailleurs, je me demande comment elle fait pour tenir le choc, et si elle arrivera à travailler à Pôle emploi jusqu’à soixante-trois ans. Conclusion, la retraite, ça nous apprend à vivre… mieux.
PS : prochain texte, lundi.