L’homme sans nom
Souvent je prends l'air bête parce qu'on ne se méfie pas des cons. Oui, vous avez raison, je suis peut-être vraiment con. C'est peut-être un travers chez moi, la connerie. D'ailleurs je m'appelle Travers, Jean Travers. Et vous ? Vous ne vous appelez pas ? Etrange non ? Moi tous les gens que je connais ont un nom de famille, qu’il n’aime ou n’aime pas, mais ils en ont un. Et le prénom ? Pas de prénom non plus ? Bravo. Vous n’êtes personne, donc. Si vous saviez le nombre de plaisanteries auxquelles j’ai eu droit avec mon nom de famille ! La pire, je vous la laisse imaginer. Ouais, vous avez raison, c’est çelle des travers de porc. Je crois que c’est pour ça que j’ai arrêté d’en manger, du porc. L’avantage quand on a l’air bête, c’est qu’on n’imagine pas la violence qui est en vous. Vous ne me croyez pas ? Oui, je suis violent et je peux aller très très loin. Ah, je vois que vous avez peur. Rassurez-vous, dans un train en plein jour, je ne passe pas à l’acte, même quand on me dit que je suis peut-être vraiment con comme vous me l’avez dit tout à l’heure. Ne craigniez rien, je suis vraiment con et si con que le temps de latence est très long du stimulus à la réaction. Je ne vous rassure toujours pas ? Ecoutez, si je vous dis que mon père est un acteur, ça vous rassure ? Non, alors un homme politique ? Encore moins ? Bon, eh bien je passe à la vérité : mon père était curé. Non, pas un curé pédophile, un gentil curé qui avait des besoins sexuels comme tous les autres hommes et qui a eu une relation avec ma mère qui était une gentille femme qui a cru que s’il passait de la prière à l’acte sexuel, il quitterait l’église. Bon évidemment, il n’en a rien fait et ne m’a pas reconnu. C’est peut-être pour ça, d’ailleurs, que le premier homme que j’ai tué – avec l’air con qui est le mien – c’est mon père, et dans le confessionnal où je lui avais demandé de m'écouter. Ah, ça vous en bouche un coin, hein ? Bon, allez, j’arrête avec mon histoire. Passons à la vôtre, parce que si vous n’avez pas de nom et de prénom, vous avez au moins une histoire, non ? Pas d’histoire non plus, vraiment ? Eh bien, vous ne méritez même pas que je vous tue. Qui tuerait un monde sans passé ?
PS : prochain texte, mercredi