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29 avril 2022

L’atrabilaire

Il disait toujours « J’ai pas de bol ». Sa femme souriait – c’était devenu un tic chez elle – et répondait immanquablement : « Je te plains ! »

Le problème c’est qu’à force d’être plaint, il ne plaignait plus personne. Elle aurait dû s’en douter dès le départ car, le premier jour de leur rencontre, il avait dit : « J’ai pas de bol ». D’ailleurs pourquoi l’avait-il dit ? Oui, elle s’en souvenait - pourtant c’était il y a des siècles et des siècles -, c’était parce qu’il avait reçu une amende pour excès de vitesse.

La vitesse, il adorait ça. En voiture, surtout, pas dans d’autres domaines, mais ça, au début, elle ne le savait pas. Elle aurait aimé qu’ils voyagent loin, mais le loin ne l’intéressait pas, il préférait le rien. Un jour, alors qu’elle lui avait parlé de son désir d’aller au Pérou, il lui avait même répondu, renfrogné.

-          Moi, je préfère le rien au loin. Et je mets un écrou sur le Pérou. Pourquoi pas Tahiti aussi ?

Elle s’était donc résignée au rien plutôt que de voyager loin. Et, à force de se résigner, elle avait failli tomber dans l’abîme. Seul le rire l’avait sauvée et maintenant, quand elle voulait sortir et qu’il lui répondait, acariâtre.

-          Sortir, pourquoi ? Ne me dis pas que tu vas encore sortir ?

Elle ne manquait pas de lui répondre en souriant, prudente.

-          Je suis une fille de l’air, moi. Ouvrir ses poumons et son esprit ne fait de mal à personne, non ?

-          Ah, parce que tu penses maintenant ? Eh bien moi,  je pense tout en collectionnant les riens du quotidien, et je peux te dire que ça demande beaucoup d’attention. Moi, c’est ça qui m’épanouit.

En général, après avoir écouté sa longue tirade, elle fermait la porte et partait en ville s’asseoir à la terrasse d’un café où là, au moins, les gens, s’ils cultivaient aussi le rien du quotidien, avaient la politesse de parler et de s’entendre.

PS : prochain texte, mardi.

26 avril 2022

La sirène

 

Mado

Elle regardait la sirène, lui parlait, allait de droite et de gauche. Le tout avait duré 5 minutes. Ce fut si long que son mari est revenu sur place et lui a dit.

-          Bon, alors, c’est fini ?

-          Non, je fais un repérage.

-          Elle te fait penser à quelqu’un ? Pas à Marine Lepen quand même ?

Comment pouvait-elle vivre avec un homme si bas de plafond ? Aucune réflexion, un désert de la pensée à lui tout seul. Elle a fini par ajouter.

-          C’est une sirène au long cours, de celle qui ne s’en laisse pas compter. Elle me fait penser à Brigitte.

-          Laquelle ?

-          Brigitte Macron bien sûr, pas ta mère !

Il a éclaté d’un rire tonitruant, comme d’habitude, mais il a tout de même fait l’effort de l’observer, cette sirène.

-          Ton esprit s’évade souvent ma chérie,  mais je reconnais qu’il y a matière à penser, c’est vrai.

-          Ah, tu vois ! Ça pourrait être elle, non ? Une créature avenante qui se glisse comme un poisson dans la vie politique et économique française et qui observe la nation d’en haut.

-          Tu ne vas tout de même pas me dire que Macron, c’est Ulysse ?

-          Eh bien non, crétin, si c’était Ulysse, il aurait résisté à son pouvoir de séduction !  Ou alors, c’est un Ulysse raté parce qu’il est resté avec elle.

-          Bon, s’il te plaît, on y va, parce que moi j’en ai marre de cette sirène. Dommage que tu n’en sois pas une toi, et que tu ne connaisses pas les oligarques qu’elle connait. Comme ça, moi aussi je pourrais être président plutôt que d’avoir un poste de petit cadre à la Métropole.

Elle n’a rien répondu et a laissé la sirène suivre son cours sur son promontoire maritime. Quant à elle, loin du royaume des sirènes, elle a préféré ne pas lui dire qu’elle n’aurait pas voulu l’avoir comme président de la République, déjà comme conjoint ; mais ça, c’était une autre histoire…

 

PS : photo de Mado. La « sirène des St Marcouf » m’a-t-elle dit. Prochain texte, vendredi.

 

22 avril 2022

Peut-on faire durer les choses ?

Hier, j’ai passé une petite heure à chercher une housse pour mon téléphone portable, un Samsung 2 m’a-t-on dit. Je suis allée dans une petite boutique près du palais de justice. Le vendeur a regardé « la chose ».

-          Ouf, il a au moins 10 ans celui-là. Trop vieux, mais je vais tout de même téléphoner à ma femme pour qu’elle voie si à la cave…- ce qu’il a fait et deux minutes plus tard il a dit - elle cherche et elle remontera avec la bête, si elle la trouve.

J’ai attendu donc dans sa petite boutique en observant les milles housses merveilleuses que les vitrines proposaient. Je lui ai demandé.

-          Ce sont des housses pour des portables récents ?

-          Oui, trois mois, quatre mois, 9 mois parfois…

Quel monde étrange que celui où l’on vit, ai-je pensé. Le COVID n’a rien changé au royaume des consommateurs. Soudain, une femme d’une quarantaine année est apparue avec une housse noire et m’a dit.

-          Voilà. Donnez-moi votre portable. Cette housse va marcher.

Dieu, dans sa grande bonté, était avec moi. La housse lui allait comme un gant, non pas à Dieu, mais au Samsung. Et – étrange - le prix était aussi cher que celui des housses des portables en vitrine. J’ai précisé.

-          J’espère que je pourrai la garder longtemps et même, si j’ose dire, jusque dans ma tombe.

La dame a souri et a ajouté.

-          Il y aura juste à changer la batterie, c’est tout.

Je l’ai remerciée et je suis sortie. Je me suis tout de même demandée ensuite, en marchant jusqu’à ma fidèle bicyclette, si elle ne pensait pas que j’étais sur le chemin des quatre-vingts ans alors que…

Dès demain je m’achèterai une  crème anti-rides, anti âge et haute nutrition ; peut-être que ce « trois en un » existe pour les crèmes ? Mais j’y pense, peut-on annuler ce qui est déjà « en marche »* ?

 

* "en marche", allusion à LREM

PS : prochain texte, mardi.

 

19 avril 2022

Les idées

Il avait toujours eu des idées courtes, mais là il les avait rallongées, deuxième tour des élections oblige. Et il n’avait pas lésiné. Maintenant, il voulait un ministère de l’intelligence, un ministère de la vérité, un ministère du chômage, un ministère des frontières ouvertes, qu’il fermerait rapidement bien sûr, et il avait bien d’autres idées dans sa petite tête mal faite.

Sa femme souriait et, quand il parlait de ses nouveaux ministères, elle n’arrêtait pas de lui dire : « Bien, très bien, tu vois quand tu veux, tu sais innover ! ». Seulement, la dernière fois qu’il lui avait parlé de ses nouveautés ministérielles, elle avait ajouté.

-          Eh moi, tu me mettrais dans quel ministère ?

Il avait hésité un instant – pourtant son cerveau, en cette période électorale, répondait du tac au tac – puis il avait conclu.

-          Au ministère de la retraite active.

Elle resta silencieuse, puis répondit.

-          L’âge est un naufrage, c’est ça ?

-          Mais non, s’était-il empressé de dire, « L’amour n’a point d’âge/Il est toujours naissant/ les poètes l’ont dit. »

-          Bravo, Blaise Pascal ! quel bon élève tu fais. Seulement, moi, mon ami, je voulais être une identité remarquable, et je vois que je suis loin d’en être une. J’espère que Marine ne te laminera pas mercredi prochain.

-          Tu plaisantes ? Je n’en ai fait qu’une bouchée en 2017, alors en 2022 ce sera la même chose.

-          Fat que tu es, mon garçon. Je n’aurais qu’un conseil à te donner, si tu m’y autorises, bien sûr.

-          Je t’en prie.

-          Eh bien, comme le dit le peuple, parfois : « arrête de ramener ta fraise. »

Et elle sortit sur ses talons hauts qui l’empêchaient de marcher à une allure raisonnable. D’ailleurs, lors de sa dernière visite – elle ne savait plus où car elle en faisait tellement – elle s’était dit que la prochaine fois elle mettrait des baskets. Elle en avait vu de forts jolis en vitrine, chez Bimba y Lola. Tiens, elle achèterait les verts et elle les mettrait après les résultats du deuxième tour en l’accompagnant sur scène. Sans doute cela ne lui plairait-il pas mais diantre, au point où ils en étaient, un peu de surprise…

 

PS : prochain texte, vendredi.

15 avril 2022

Une biographie imaginaire de M. L.

A sa naissance, on l’avait appelé Marine. Dès qu’elle avait pu parler, elle avait demandé.

-          Pourquoi Marine ?

Et jamais de réponse ni d’un côté, ni de l’autre. Alors, dès qu’elle avait pu tenir une petite conversation, elle avait dit à ses parents.

-           Moi, plus tard, je serai marin et je travaillerai dans la marine de guerre.

-          Une fille de caractère, avait souri son père.

Il ajouta aussitôt.

-          Une seule chose à retenir Marine, PAPA : Patrie, Autorité, Patrimoine, Acculer.

Enfant, Marine rentrait souvent chez elle les genoux écorchés et les mains noires. Parfois même, son visage était rouge écarlate. Sa mère lui demandait.

-          C’est quoi, ce rouge et ce noir, Marine ?

-          Ben, on jouait à la guerre entre les noirs, les blancs et les peaux rouges.

Son père concluait toujours par : Elle a du caractère Marine., elle est comme PAPA !

Marine avait ainsi grandi entre guerres et batailles, perdues ou gagnées. A quatorze ans, elle dit à son père qu’elle voulait entrer dans l’armée. Son père répondit.

-          Ton armée ce sera mon armée, et tu iras au front avec PAPA.

Sa mère avait juste souligné.

-          Tu ferais mieux de faire d’abord du droit, Marine.

-          Le droit pourquoi pas - avait dit son père - mais après, droit au Front.

Et c’est droite comme un I – pas celui du mot Immigré, bien sûr – et la « bible » de PAPA dans son sac, qu’elle avait travaillé avec lui, jusqu’à sa « disparition » en 2015.

Le 25 décembre 2014 – le dernier Noël familial avant la disparition du père - il lui avait craché, colérique.

-          Tuer ton père, c’est ça que tu veux Marine ?

Et elle lui avait répondu.

-          Papa, tu es déjà mort depuis longtemps mais j’avais oublié de te le dire. Allez, relève-toi, tu es un homme de courage papa. Ne gâchons pas ce Noël. Tiens, voici ton cadeau.

Et elle lui tendit deux livres : « Foutez-vous la paix » et « l’avenir d’une illusion ». Lui n’avait aucun cadeau pour elle.

En ce 15 avril 2022, son père n’avait encore lu ni le premier, ni le deuxième livre et ce, pour une raison très simple : quand il était revenu de chez sa fille le 26 décembre 2014 il avait hurlé : « Je vais les mettre sur le bûcher ses putains de livres, et elle aussi ! »

 

PS : prochain texte, mardi.

 

 

 

 

 

12 avril 2022

Le mauvais réflexe

« Je l’ai tuée, oui.  C’est vrai, j’ai eu un mauvais réflexe, mais bon, elle n’était pas facile non plus. Après, j’ai eu des remords ; alors j’ai dispersé ses cendres dans la forêt qu’elle aimait. Ce qu’elle préférait, c’était les hêtres. Moi aussi je suis un être, mais elle ne me voyait pas comme ça. Voilà pourquoi je l’ai tuée. Pour elle, je n’’étais rien, ni un hêtre, ni un être. Si elle avait réfléchi, elle aurait compris que la situation était grave. Mais elle ne réfléchissait pas et elle ne pensait qu’à elle. Elle était narcissique jusqu’aux bouts des ongles qu’elle avait toujours rouges. C’est un signe ça, non ? »

Voilà ce qu’il se disait en marchant dans sa cellule de deux mètres sur trois. Le procès avait lieu le lendemain. Le juge le comprendrait-il ? Et les jurés ? Non, bien sûr. Quand un homme tue une femme, on entend un seul cri dans la foule : ASSASSIN ! Parce qu’un homme est toujours coupable. Pourtant, si elle l’avait écouté une fois, une seule, si une seule fois elle lui avait dit que lui aussi était un être humain, il ne l’aurait pas tuée, c’est certain.

Maintenant, il erre dans cette cellule comme il erre dans la cour de la prison, comme il erre dans son cœur fermé, sans visite, ou plutôt une seule visite, une fois par semaine, cette visiteuse qui s’appelle Solène et qui, faute de le comprendre, l’apaise. Elle est si solennelle, Solène ; elle lui rappelle qu’au IIIème siècle, une certaine Soline serait morte en martyre après un pèlerinage à Chartres.  Oui, il l’admire Solène, elle aussi fait son pèlerinage, mais en prison.

Non, Solène ne mourra pas, il en est sûr. Solène est sa sauveuse et si elle veut se marier avec lui, un jour, il dira oui. Oui Solène, nous pouvons nous marier, et avec toi, je n’aurai pas de mauvais réflexe.

PS : prochain texte, vendredi.

8 avril 2022

Les croquettes

C’est bon les croquettes, ça craque sous les dents et dans la vie. Les croquettes font le chien et le chien mange à pleines dents les croquettes qui le rendent heureux. Parce qu’un poilu qui se régale, c’est un maître qui se régale. Et un poilu heureux, c’est une famille heureuse.

Antoine essayait de mettre en place les « éléments de langage » pour chien qui pourraient faire la promotion les distributeurs de croquettes qui allaient « inonder » Rouen. Pourquoi Rouen ? il n’en savait rien, mais les distributeurs automatiques étaient prévus pour le mois prochain et la publicité devait être envoyée à la marque « Animalique » dès demain.

Cela faisait deux heures qu’il croquait son chocolat et rien ne sortait de son esprit anémié par les croquettes. Que dire pour appâter le maître et le chien ? Ce n’est pas qu’il manquait de mots, mais les phrases se refusaient à ses neurones.

Non, rien d’exaltant et rien de convainquant. De toutes façons, il n’arrivait plus à convaincre personne, ni au boulot, ni chez lui, ni chez ses amis alors… Mais pourquoi convaincre ? Et le désir ? Pourquoi ne pas atteindre le désir des maîtres qui espéraient un chien qui ressemblerait à ce qu’ils étaient ou plutôt, à ce qu’ils pensaient ou voulaient être ?

Et c’est là que lui vint à l’esprit ce slogan : « Animalique, le fantasme assouvi du chien et du maître ».  Génial, il le tenait, ou presque, mais soudain, se rendant compte qu’Animalique lui avait fichu son dimanche en l’air, il cria : « J’en ai marre de ses projets de merde pour des distributeurs de merde qui serviront à des clébards de merde ».

C’est à ce moment-là que sa compagne ouvrit la porte de son bureau-cagibi et lui dit.

-          Ça ne va pas Antoine, j’appelle le SAMU ?

Et il répondit très calme.

-          Si si, ça va très bien, je travaille, je travaille, c’est tout, rien que le travail, rien que les croquettes, tu peux fermer la porte et continuer ton yoga Marion.

Au moment où elle partit, le chien aboya, quel connard ce chien ! Oui, il détestait ce clébard que sa maîtresse avait appelé Néron. Quelle connerie de nom. Oui, ça en disait long, long sur elle, bien sûr, et long sur lui qui en était réduit à s’enfermer dans son cagibi pour travailler sur des distributeurs de croquettes de merde !

PS : prochain texte, mardi.

5 avril 2022

La coach

Elle lui avait pourtant dit d’arrêter les ritournelles et les phrases creuses - sans parler des discours à rallonge - mais rien n’y avait fait. Elle n’aurait jamais dû accepter ce remplacement pendant un mois, remplacement qu’elle avait obtenu car elle avait été la coach de François Hollande en des temps anciens.

Avant le show, le chef lui avait dit.

-          Vous me trouvez mieux au naturel ou en photo ?

Et elle lui avait répondu.

-          Je préfère quand vous arrêtez de vous gargariser !

Il lui avait juste dit.

-          Vous êtes virée demain. En attendant, pendant l’allocution, notez et voyez les propositions à me faire.

Et il était entré sur scène avec son costume de Narcisse et son faux sourire. Elle avait bien essayé de noter des trucs, mais quoi ? Ce type était creux, suffisant et n’écoutait que lui et son reflet.

La purge a duré deux heures. Il avait dû se droguer à lui-même avant le spectacle, comme  à l’habitude. Elle a juste noté trois choses : « retrouver le goût de bien faire », « le combat du progrès contre le repli », « l’argent magique ». Même pas deux lignes.

Le soir elle lui a tendu la feuille, et il a dit.

-          C’est tout ? Heureusement que je vous vire demain.

-          Vous ne trouvez pas que vous exagérez ? Si vous rêvez dans votre palais, vous êtes bien le seul à encore rêver en France. Quant à l’argent magique que vous associez à l’Etat providence, vous êtes gonflé ! Et le combat du progrès ? Progrès pour qui ? Et le goût de bien faire, en parlant des gens qui touchent le RSA ? Alors là, excusez-moi, on atteint les sommets de la connerie !

Si son garde du corps ne s’était pas précipité sur lui, le showman aurait passé ses petites mains longues et fines autour du cou de sa coach.

Elle l’a fixé, le visage blanc puis, tel un robot, elle a prononcé le refrain de la chanson de Brassens :  Il y a peu de chance qu’on détrône le roi des cons. A la fin, elle a ajouté HELAS. Ensuite, elle est partie dans un autre monde, celui des gens qui vivent dans la vraie vie, celui des gens qui prennent les transports en commun, celui des gens qui vont à Pôle emploi et celui des gens qui luttent pour un autre monde, mais pas celui des imposteurs !

 

PS : prochain texte, vendredi.

 

1 avril 2022

Le jardin extraordinaire

Elle avait choisi un homme qui avait le même prénom que son ex-mari ; et elle avait toujours procédé ainsi. Pourquoi aurait-elle changé à 50 ans, pour son quatrième mariage ?

Ses trois premiers époux étaient enterrés dans le « jardin aux souvenirs » de la maison dont elle avait hérité. Ils avaient droit à une visite et une prière par semaine. Bien sûr, personne ne savait qu’ils reposaient là, au fond du jardin, mais aussi au fond de son cœur…

PS : prochain texte, mardi.

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