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Presquevoix...
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25 février 2022

Le chasseur

Il était devenu chasseur de chat dès l’âge de 10 ans. Mais au fil des années – il avait 19 ans - chasser était devenu égorger, mais jamais les chats de sa rue - celle des corbeaux - ceux-ci étaient protégés ; en lui, la colère s’acharnait et ses pulsions marchaient sur le chemin de la vengeance en un défilé implacable.

En général, il agissait de nuit, mais les nuits étaient courtes et les journées trop longues pour un être que les pulsions dominaient. Une vie de dominé, c’était ça, sa vie. Il le savait. Pourtant, il y avait Lise. Ah, elle était belle Lise avec ses cheveux roux et ses yeux marrons. Il avait cru l’aimer, mais peut-on aimer quand on ne sait que détruire ?

Lise habitait trois maisons plus loin que la sienne, dans la rue des corbeaux ; c’est elle qui l’avait dénoncé. Elle l’avait vu au moment exact où il avait donné un violent coup de pelle sur la tête du chat roux. Le chat avait miaulé, faiblement, et elle avait couru en hurlant.

-          Assassin ! On va te foutre en taule !

Maintenant il est en garde à vue, sans vue aucune, ni sur l’extérieur, ni sur l’intérieur ; et c’est Lise qui l’a mis là. Mais Lise n’est pas un chat et elle, il ne la tuera pas et il ne l’égorgera pas, à moins que…

 

PS : prochain texte, mardi.

22 février 2022

Le café du coin

Ce matin, à leur café habituel, celui qu'ils fréquentaient avant de commencer leur journée à la préfecture, il lui avait dit, sobre.

-     Ma mère est dans un sale état. La preuve : elle ne sort plus de son lit et ne mange plus. Tu sais pourquoi elle ne meurt pas ma mère ?

-     Non, avait-elle répondu.

-    Eh bien elle n’a pas d’argent pour payer son enterrement. Tu en as une mère comme ça, toi ?

Elle avait préféré se taire plutôt que de dire n’importe quoi ; mais elle n’avait pu s’empêcher de sourire malgré tout.

-     Oui, c’est ça la vie, c’est sourire, même des merdes qui arrivent à tes copains. Tu sais, ma mère, je préfèrerais qu’elle meure tout de suite. Je suis même prêt à payer son enterrement sur le champ si elle veut. J’ai mis beaucoup d’argent de côté, beaucoup. Seulement elle, elle préfère attendre !

Elle se demanda – son esprit perfide était sans doute en marche – ce que souhaitait cette mère-là...

11 février 2022

Le dernier repas

Paul et Jean sont installés à la table de la brasserie dans laquelle ils mangent ensemble trois fois par semaine.

-           Comment tu vas ?

-          Comme tous les jours à la même heure quand on mange ici. Et toi ?

-          Plutôt bien. Tu sais que j’ai envie de me lancer dans le tourisme spatial ?

-          T’es con ou quoi Paul ?

-          Pourquoi tu m’insultes ?

-          Encore une lubie, la dixième depuis un an, alors que tu sais que tu es vieux et que ta prochaine conquête spatiale, c’est le paradis.

La serveuse arrive et leur conversation s’arrête.

-            Comme d’habitude Messieurs ?

Jean répond.

-          Comme d’habitude. Et mettez- nous un côte du Rhône de la maison s’il vous plaît, ça, c’est pas comme d’habitude !

-          Parfait. La commande arrive dans dix minutes messieurs, comme d’habitude.

La serveuse s’éloigne.

-          T’es gonflé de me parler comme ça, Jean. Moi Je réfléchis ; j’ai des plans sur la comète.

-          Tant mieux pour toi. Tu t’appelles Jef Bezos, peut-être ?

-          C’est qui ?

-          Le Type d’Amazon.

-          Je le connais  pas ce type.

-          Pas grave. Eh bien moi, je vais me lancer dans les jeux radiophoniques, avec la culture qui est la mienne, je pourrai améliorer ma retraite et partir aux Antilles avant d’aller au Paradis.

-          Bonne idée. Tu vois, je t’encourage moi.

-          Merci. Tu es bon toi. Moi non. Quand je suis seul, je m’entraîne à être aimable. Avec moi ça marche, avec les autres, jamais. Je me demande pourquoi.

-          Je ne t’en veux pas ; tu sais, « l’homme fait des plans et Dieu dispose »

-          Dis-moi, tu sors ça d’où ?

-          C’est pas de moi, c’est un proverbe yiddish. D’ailleurs, je sais même pas qui sait les yiddish.

La serveuse revient avec le plat pour deux.

-          ¨Pas grave, c’est des gens comme toi et moi. Tiens, passe-moi de la viande s’il te plaît, et des légumes aussi. Aujourd’hui j’ai faim, plus que d’habitude. Etrange.

-          Tu sais, parfois je pense à ma femme et…

-          Et ?

-          Eh bien, elle me manque et je me dis que les couples, ça devrait commencer par la fin, car le début dure court.

-          Tiens, verse-moi du vin s’il te plaît. Eh bien moi, je me dis que plus on vieillit en couple et plus les récriminations prennent le dessus. Les femmes deviennent aigres, mais pas aigre douces.

-          Question aigreur…

-          Quoi question aigreur ?

-          Eh bien toi tu as beaucoup d’aigreurs d’estomac, non ?

-          Et alors ?

-          Peut-être que ton humeur changeante, ça doit pas arranger ton estomac. Tu ne serais pas un peu du genre morose, d’ailleurs ?

-          Moi j’aime bien les mots roses, mais pas avec tout le monde. Par exemple, avec ma femme, à la fin – et même dix ans après notre mariage qui a duré quarante ans - tout était noir même les mots.

-          Pourquoi ?

-          Bon, arrête avec tes questions, tu me fatigues. Ensuite je ne suis pas morose, je suis lucide. C’est marrant parce que ma femme aussi elle disait que j’étais morose. Toi, par contre, tu es  trop optimiste.

-          Moi, je suis comme je suis.

-          Prévert.

-          C’est qui ?

-          Un poète. Il a fait un recueil qui s’appelle « Paroles ». Certes, nous aussi on dit des paroles, mais on ne les écrit pas.

-          On devrait.

-          Il ne vaut mieux pas, ça pourrait me filer des aigreurs d’estomac tes paroles écrites. Tiens, sers-moi un autre verre s’il te plaît. Comme on dit, quand le vin est tiré, il faut le boire.

-          Tu bois trop.

-          Je m’en fous, moi je bois maintenant et à l’heure de notre mort, Amen.

-          Pour la mort, parle de la tienne, mais pas de la mienne s’il te plaît. Je préfère ne pas y penser tout de suite. Tiens, sers-moi un fond de verre, juste un fond, s’il te plaît.

-          Tu vois, toi aussi. Bravo. Il faut être toujours ivre. Tout est là, c’est l’unique question.

-          C’est de toi ?

-          Non, c’est Dieu qui a dit ça, un Dieu qui s’appelle Baudelaire. Parfois je l’écoute Dieu, mais je ne lui parle pas. Peut-être que j’ai peur de ce qu’il va me dire.

-          Qui sait ?  Allez, à la tienne Jean, et à celle de Dieu.

-          A la tienne Paul. Et si Dieu le veut, on aura peut-être encore cinq ans à vivre. 77 + 5 = 82 ans. Un bel âge pour des hommes, tu ne trouves pas ?

-          Allez, à la santé de nos femmes qui sont mortes avant nous et qui pensent à nous, j’en suis sûr.

-          A leur santé. Parfois, il faut savoir penser aux autres.

Soudain Jean s’écroule sur la table, la tête dans l’assiette. Paul crie.

-          Jean ! Jean ! Merde, réponds Jean ! Putain, putain. Tu avais dit qu’il nous restait cinq ans à vivre ! Tu ne vas pas me laisser tout seul quand même !  AU SECOURS, A l’AIDE !

Mais Jean ne répond plus.

 

PS : prochain texte, mardi 22 février.

8 février 2022

Le calendrier

Début novembre, à la maison de retraite « les pervenches », Julia, l’animatrice, avait suggéré aux résidentes et résidents de « l’atelier création » qu’ils pourraient faire une petite activité qui leur permettraient non seulement de passer ensemble un bon moment, de faire connaître le lieu aux habitants de Rogeville, mais aussi de pouvoir mettre en place un petit fond financier pour une éventuelle sortie avec les résidents qui le souhaiteraient.

Branle-bas de combats chez les 7 résidents et 9 résidentes valides sur les cinquante que la maison hébergeait. Lors de la réunion, les conversations allaient bon train. Femmes et hommes planchaient jusqu’à ce que Julia dise.

-          Et pourquoi pas un calendrier avec les résidents, enfin les valides, de préférence.

Une vielle dame au crâne presque rasée – perte de cheveux oblige - ajouta.

-          Et pourquoi pas un calendrier avec nos hommes ?

-          Pourquoi que les hommes ? répondit une voix de femme acerbe.

-          Parce qu’ils sont en meilleur état physique que nous, répondit la première.

-          Et alors ? dit une troisième voix de femme, énervée.

-          Alors, pour le calendrier c’est mieux, conclut la première.

Les messieurs ne disaient rien et regardaient ces dames qui se crêpaient un peu le chignon, un chignon qu’aucune n’avait, d’ailleurs. Julia relança le débat.

-          Alors messieurs, qu’en dites-vous ?

Le premier à parler, ce fut Victor, le « gentleman », comme elles l’appelaient toutes. Il était arrivé il y a deux ans, après la mort de sa femme, avec ses 86 printemps.

-          Moi mesdames, je ne crois pas que nous soyons en meilleur état que vous, mais je veux bien me mettre en slip kangourou pour le plaisir de ces dames, et pour le calendrier, bien sûr. Tu en penses quoi Marcel ?

Marcel faisait partie de ces résidents qui parlaient peu, mais Victor et lui allaient de pair depuis que la femme de Marcel était partie sept mois plus tôt.

-          Je pense comme Victor, mais moi avec un slip kangourou et un Marcel, forcément, si ces dames sont d’accord.

Intervint un troisième homme, discret et misogyne, mais non dépourvu d’humour.

-          Moi je veux bien, mais je reste assis, j’ai mal aux jambes et des varices, comme ces dames. Par contre d’accord pour le slip kangourou et le Marcel. Quant aux dames, elles ne peuvent qu’être d’accord, hein mesdames ?

Julia s’adressa aux dames de l’assemblée.

-          Donc, mesdames, qu’en dites-vous ?

Certaines gloussaient déjà à l’idée de voir ces messieurs en slip kangourou, à leur âge. L’une qui était là avec son mari atteint de la maladie d’Alzheimer sourit.

-          Alors on va un peu s’amuser, c’est ça ? Tant mieux, mais ne comptez pas sur mon mari, le pauvre, il ne peut pas tenir en place et il perd la tête.

-          Tu peux le remplacer Colette, dit une nôtre. Tu seras notre star féminine. T’es encore pas mal pour tes 89 ans.

-          Si vous voulez, mais en jupon par-dessus le slip et le soutien-gorge, pas autrement.

Et le projet prit forme. Julia à la chorégraphie et à l’écriture ; Victor, le gentleman, à la photo car il en avait fait pendant toute sa jeunesse et Colette, aux effets spéciaux – même s’il n’y en avait pas. C’était bien la première fois, à la résidence des pervenches, qu’on entendait des rires et des gloussements…

PS : prochain texte, vendredi.

 

4 février 2022

Le bac blanc de philosophie

Mardi dernier, bac blanc de philo des terminales STMG (sciences et technologie du management et de la gestion) et j’étais de surveillance. 24 élèves dans la salle, loin de leur portable – resté dans leur sac près du bureau du professeur – et avec un masque qui, dès les premières minutes, a suivi un chemin différent du chemin prévu puisque, parfois, il était au-dessous de leur nez.

Masquer des adolescents de dix sept ou dix huit ans, c’est épuisant. Bien sûr, il suffit d’être bienveillant - comme le dit notre ministre de l’éducation qui lui-même ne l’est pas avec le personnel – et de leur chuchoter dans l’oreille – ou presque en raison des « gestes barrières » - que le masque doit se mettre sur le nez et pas dessous. Par ailleurs, certains élèves sont arrivés sans copie et même un, sans stylo. Etonnant. Et là, la bienveillance, toujours : demander si des élèves seraient assez généreux pour prêter une copie à leur « camarade » qui n’en avait pas.

Une feuille simple, d’ailleurs, aurait été amplement suffisante pour la moitié des élèves car, après 45 minutes, certains étaient déjà épuisés : les mots ne venaient pas. Rapidement, nous avons su que la durée de l’épreuve étant de 4 heures, les élèves pourraient sortir au bout de deux heures. Ouf ! Au bout d’une heure et demie, le nombre d’élèves dormant sur la table a augmenté. Certains avaient un masque qui avait quitté leur nez mais là, bienveillance oblige, j’ai préféré les laisser dormir.  Au bout de deux heures, 12 élèves voulaient sortir, heureux de retrouver leur addiction favorite : le téléphone portable.

En regardant les copies défiler, je me suis dit qu’au moins, les 4 professeurs de philo de l’établissement seraient heureux, une feuille recto ou recto verso à corriger, c’est simple. Après tout, c’est un cadeau que leur font les élèves. Sachant qu’un salaire de prof en France est tellement bas ; il est généreux de leur part de leur donner un peu de temps libre pendant les vacances de février.

En regardant les 12 élèves restés assis sur leur chaise, j’ai imaginé qu’avec un peu de chance, les autres sortiraient bien avant les quatre heures de l’épreuve. J’avais raison ou presque. Au bout de trois heures, il ne restait plus que trois élèves. Et, la dernière demi-heure, seule une élève continuait à écrire. Elle est sortie 15 minutes avant la fin. Je lui ai demandé si elle aimait la philo, et elle m’a répondu.

-          Un peu, moi j’aime bien comprendre.

J’ai enchaîné en lui disant.

-          En tout cas, vous avez gagné le premier prix du nombre de minutes passées dans la salle et du nombre de pages écrites. Bravo.

-          J’espère que ma note sera meilleure que celle des autres, a-t-elle ajouté.

Après lui avoir souhaité une bonne journée, je suis allée donner les copies au secrétariat des élèves. Sur le trajet, je me suis souvenue que moi-même, élève, je détestais la philosophie et surtout, le professeur de philo. Quel âge aurait-il ce prof ? Peut-être est-il mort ? Qui sait ? J’ai oublié son nom, bien sûr, mais je me souviens que ma note au bac avait été exécrable, même si j’avais essayé de remplir une copie double pendant tout le temps imparti ! Heureusement, je n'étais pas en section littéraire.

 

PS : prochain texte, mardi.

1 février 2022

La boulangerie

A chaque fois que son mari revenait de la boulangerie, le même mur de lamentations. Au début, elle avait ri aux éclats, elle était bon public, mais cette répétition insatiable des aventures boulangères lui donnait mal à l’estomac, comme un croissant mal maché. Elle lui avait même dit.

-          Si tu veux, j’irai à ta place.

Mais non, il n’avait pas cédé car c’était l’une des rares aventures de sa première année de retraité. En général, l’histoire commençait   par « yen a marre des vieux » et se terminait par « moi, mon fric je le cherche dans la queue ».

Voici la litanie des questions/réponses entre la boulangère, les clients, et les réponses imaginées par son mari :

La boulangère : « Vous la voulez sur plaque ou sur pavé votre baguette ? »

Le ou la cliente : sur plaque, ah non, sur pavé.

L’imagination créative de son mari : je m’en tape !

La boulangère : je vous tranche le pain ou pas ?

L’imagination créative de son mari : allez-y qu’on en finisse. !

Le client : je ne sais pas, mais bon, oui, tranchez-le !

L’imagination créative de son mari : et moi, si je pouvais te le trancher, connard, je le ferais tout de suite.

La cliente : ah, j’oubliais un croissant, enfin non, deux… et un pain au chocolat s’il vous plaît.

L’imagination créative de son mari : Tu sais que tu me fais chier avec ta bible incomplète des achats. Tu devrais être interdite de boulangerie à vie !

Vers la fin de l’histoire, en général, l’exaspération de son mari était à son comble, mais il y avait encore la dernière étape à raconter : le paiement. Hélas les vieux ne sortaient jamais leur porte-monnaie avant que ce ne soit leur tour. Trouver le porte-monnaie et les pièces – les bonnes – était pour eux d’une difficulté phénoménale, mais une obligation. Là, systématiquement, son mari disait.

-          Pourquoi ils ne prennent pas la somme exacte dans leurs mains, les cons, au lieu de faire la queue sans penser à rien et faire chier les autres au moment du paiement !

En général, elle finissait par dire à son mari.

-          « Adieu les cons ». On devrait revoir ce film, tu ne crois pas ? Ou si tu veux, je te l’achète pour ton anniversaire ?

 

PS : prochain texte, vendredi.

 

 

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