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Presquevoix...
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28 janvier 2022

Le chien

Cette nuit-là, elle a rêvé qu’elle accouchait de cinq chiots. Elle s’est réveillée en nage. Son mari, lui, dormait paisiblement et ronflait, comme souvent. Ce ronflement, même discret, l’énervait à un point ! Il faudrait absolument qu’elle change de chambre, mais allait-il accepter ? Cinq chiots, d’un seul coup, à 50 ans, c’est trop a-t-elle pensé, surtout pour moi qui n’ai jamais eu d’enfants.

En observant son mari qui, non seulement ronflait mais bavait, comme le dernier chien qu’ils avaient eu et qui avait disparu trois ans plus tôt, elle a compris. Bien sûr, il voulait un autre chien. Il avait dû le lui dire mais elle avait oublié. Vingt ans de mariage lui avait fait perdre une partie de son acuité auditive, et il était certain que le chiot allait lui faire perdre une partie de sa patience, mais cette nouvelle arrivée lui permettrait peut-être de changer de lit. Oui, c’est ça, elle changerait de lit et lui dirait qu’elle ne supportait pas l’arrivée d’un chien dans la chambre. Parfait.

Après cette longue réflexion, elle a fermé les yeux et s’est réveillée à l’heure habituelle : 6 h 30. Une demi-heure pour le déjeuner, une demi-heure pour se préparer, 5 minutes pour ranger ses affaires, et départ vers le bureau. Son mari, lui, le bienheureux, restait au lit. La retraite avait sonné il y a six mois. 

Oui, une bonne idée ce chien, comme ça il finirait par marcher ou à courir avec lui, il perdrait du poids et ne se plaindrait plus qu’il grossissait. Oui, elle avait tout à y gagner de l’arrivée de ce nouvel hôte…

PS : prochain texte, mardi.

25 janvier 2022

Les mots

La veille, dans leur mouvement politique qui ne réunissait que six personnes – et dont quatre étaient absentes ce jour-là, covid oblige – Marion lui avait dit une chose étrange, car l’étrangeté glissait en elle comme le soleil sur la mer.

-          Je me demande si, en dehors des fameuses 500 signatures obligatoires pour les futures candidates et les futurs candidats à la présidence, il ne faudrait pas faire entrer aussi un exercice d’écriture ; les mots sont si malmenés dans cette campagne présidentielle.

Il n’avait rien dit et attendait la suite, patiemment.

-          Pourquoi ne pas demander à chaque candidate et à chaque candidat, pendant une période de quinze minutes, de créer un tautogramme* avec une lettre qui correspondrait à celle choisie par un jury de 3 femmes et 3 hommes tirés au sort ?  Ce texte serait ensuite révélé à la France entière.

Il lui avait tout de même précisé que son idée était certes créative, mais trop complexe à mettre en place. Puis, ensuite, il avait ajouté qu’il ne voyait pas très bien ce qu’une telle initiative pouvait apporter à la campagne présidentielle. C’est à ce moment-là qu’elle s’était énervée.

-          Cesse d’être aveugle enfin ! Tu ne vois pas que les mots qui surgissent savent de nous des choses que nous ignorons d’eux ? Tu sais, ce n’est pas de moi cette phrase, c’est de René Char. Et c’est justement grâce à ces mots surgis dans l’immédiateté que nous connaîtrons vraiment les candidates et les candidats de l’intérieur.

Ne souhaitant pas perturber sa veine créative, il n’ajouta rien. Mais au fond de lui résonnait cette question : Marion est-elle à sa place dans notre parti ? Il faudrait qu’il en parle aux autres…

*Tautogramme : Phrase ou vers composé de mots commençant tous par la même lettre.

 

PS : prochain texte, vendredi.

21 janvier 2022

L’affabulateur tardif

Ce type était un affabulateur, Hélène l’avait déjà remarqué avant le COVID, mais la pandémie avait multiplié la dose de ses affabulations.

C’était – et la chose est rare – un affabulateur tardif, enfin c’est ce que lui avait dit son amie Laure qui l’avait connu alors qu’il avait quarante ans. Hélène se demandait comment il avait pu sombrer dans l’affabulation après quarante ans, mais le problème n’était pas là.

Donc, à cinquante-cinq ans bien tassés – s’il ne les avait pas, ce collègue les faisait et là non plus, le COVID n’avait pas arrangé les choses – il disait qu’il était non seulement professeur de mathématique, mais qu’il travaillait avec la police scientifique et que, en plus, il avait un cabinet de psychologie. Hélène avait failli ajouter qu’il aurait dû aller lui-même consulter le docteur Freud, mais elle n’avait pas osé ; il lui restait encore une petite dose de bienveillance, cette bienveillance que M. Blanquer – leur ministre détestée – prônait pour les autres mais non pour lui.

Elle avait ajouté.

-          Eh bien Patrice, tu bosses énormément ! Quand je pense que moi, j’ai déjà du mal à préparer mes cours alors que je suis à mi-temps ! Je me demande comment tu fais. En tout cas, bravo !

Patrice avait souri – le masque était rarement mis dans cette salle des profs où on ne voyait quasiment plus personne – et avait conclu.

-          Il y a ceux qui sont sur le front et les autres, comme toi.

-          Oui, ça doit être ça, répondit-elle. Mais méfie-toi, être sur le front, ça peut être dangereux, parfois !

Et elle était sortie rapidement de la salle des profs avec ses photocopies.

 

PS : prochain texte, mardi

18 janvier 2022

40 millions d’euros

Louise, son amie d’enfance – athée depuis la naissance - lui avait dit à lui, Paul, catholique depuis la naissance.

-          Tiens, tu sais que Darmanin a donné 4 millions d’euros pour la sécurisation des lieux de culte ?

-          Oui, le curé nous l’a dit à la paroisse.

-          C’est dingue, Alors Dieu existe, paraît-il, mais il ne sécurise pas les églises ? Mais à quoi il pense, Dieu ! Tu ne crois pas que ce serait mieux de donner ça aux ONG qui s’occupent des migrants ?  Dieu serait peut-être d'accord, d'ailleurs.

Il savait qu’avec elle, il fallait se taire ou tout au moins, rester calme, sinon elle était capable de grimper au rideau. Et elle grimpait depuis l’âge de six ans. Au début, dans les arbres, après, à la corde lisse, ensuite sur lui - mais son côté catho l’avait vite épuisée et désespérée - et depuis ses 18 ans, elle grimpait au rideau !

-          Tu ne m’écoutes pas, avait-elle fini par lui dire.

-          Mais si.

-          Donc t’en penses quoi de ces quarante millions pour les églises ?

-          Tu connais ma religion, non ? Alors je ne vais pas demander qu’on passe Dieu en tribunal !

Elle finit par sourire et lui embrassa la joue avant de lui dire.

-          Tu as raison, un peu d’humour ça apaise. Bon, au fait, quand est-ce qu’on couche ensemble, le jour de tes trente ans ? Ne me dis pas, Paul, que tu as l’intention de rester vierge avant le mariage. Moi, les cathos pratiquants, j’aurais  pas envie de vivre avec, mais coucher, par contre, c’est autre chose… envoie-moi un SMS quand tu seras prêt !

PS : prochain texte, vendredi.

14 janvier 2022

Le logiciel

Chaque jour, au petit déjeuner il lui disait : « Il faut que je change de logiciel ». Elle évitait de lui répondre sachant qu’il ne l’écoutait pas depuis longtemps ; jusqu’au jour où il a modifié légèrement sa phrase et a ajouté : » il faut que je change de logiciel ou je vais disparaître. »

Elle lui a répondu.

-          Eh bien qu’est-ce que tu préfères ?

-          Et toi ?

-          Moi, rien, avec ou sans logiciel ça reviendra au même.

-          Comment ça, au même ?

Elle a respiré profondément, une respiration longue et ventrale qui a  fait entrer en elle bien être et sérénité, puis elle a dit.

-          Présent ou absent ce sera la même chose pour moi, tu comprends ?

-          Non.

-          Je précise : même quand tu es présent tu es absent, alors peu m’importe.

C’est exactement trois heures après avoir entendu cette phrase là, qu’il est parti sur les routes de France avec un bâton et un sac à dos. Le plus étonnant, c’est qu’elle ne l’a toujours pas revu et trois ans ont passé.

 Peut-être marche-t-il encore car il n’a pas encore trouvé le bon logiciel ?

 

PS : prochain texte, mardi.

11 janvier 2022

L’application

Il avait installé sur son smartphone l’application qui donne l’heure de la prière. Aussitôt elle lui avait dit.

-          Tu m’avais assuré que tu avais divorcé avec Dieu

-          Il y a Dieu et Dieu avait-il répliqué en essayant d’être calme, comme lorsqu’il priait.

-          Arrête de te moquer de moi. Il n’y a qu’un seul Dieu et il faut choisir : c’est moi ou lui

Il n’avait pas osé répliquer qu’entre les deux, il préférait Dieu. Lui n’était pas hystérique, ou tout au moins, pas encore. Mais peut-être le deviendrait-il, un jour, le monde ne devenait-il pas fou ?

Certes, leur soirée hebdomadaire de « jambes en l’air » – il était incapable d’utiliser le mot sexe - lui manquerait au début, mais il ne tarderait pas à rencontrer une autre femme. Elles adoraient la barbe, surtout la sienne. Elles lui disaient toujours que sa barbe avait quelque chose de particulier que les autres n’avaient pas. Le prophète avait eu raison de dire « Laissez pousser vos barbes, et taillez-vous les moustaches, différenciez-vous des polythéistes ».

Il observait sa barbe chaque matin et l’entretenait afin qu’elle pousse de façon saine et robuste. Par ailleurs, cette barbe avait un autre avantage, elle lui faisait atteindre une plénitude physique inhabituelle, mais ça, il n’en parlait à personne, c’était un secret entre lui et sa barbe.

 

PS : prochain texte, vendredi.

7 janvier 2022

Les mots

Elle faisait partie de la police de la littérature. Son travail était complexe, mais son salaire était aussi bas que celui d’un professeur en début de carrière, je vous laisse imaginer…

 Elle aurait rêvé d’avoir le double. Mais peut-on rêver hors des mots qui nous font rêver ? La littérature a rarement fait manger à leur faim écrivaines et écrivains, poétesses et poètes, dessinatrices et dessinateurs de BD, libraires etc.

Quand je parle de police de la littérature, je vous entends déjà glousser. Encore une police ? Nous n’en avons déjà pas assez ainsi ? Non, semble-t-il.

Elles n’étaient que trois dans cette police-là, et que des femmes. Son poste dépendait du ministre de la culture qui avait décidé – une initiative très récente et surprenante - de mener des enquêtes « subtiles » sur le monde des mots de nos grandes et grands écrivains du vingt et unième siècle. Seuls les mots intéressaient le ministre qui, lui-même, pourtant, semblait ne rien lire à part deux ou trois journaux, et encore.  De mauvais esprits disaient qu’il cherchait les mots qui lui manquaient. Il faut dire qu’au ministère, les mauvais esprits ne manquaient pas.

Elle passait donc ses journées plongées dans les livres de 42 romancières et romanciers, enfin pas exactement 42, puisque la tâche était divisée par trois. 14 écrivains lui avaient donc été attribués.

Pourquoi 42 écrivains vous demanderez-vous ? Elle n’en savait rien. Pourquoi celles-ci et ceux-ci ? Elle n’en savait rien non plus. La seule consigne du ministre avait été : « Cherchez les mots les plus importants dans les trois dernières parutions de ces 14 écrivains qui vous ont été donnés, notez-les et envoyez-les-moi. Après, nous verrons. » Nous verrons quoi ? Avait-elle eu envie de lui dire, mais qui pose une question à un ministre ?

Elle en était donc au début de son travail. Chaque semaine elle envoyait au ministre les mots qu’il attendait sans jamais avoir aucune réponse de sa part.

Ce qu’elle apprit, en faisant une recherche sur internet, c’est que le ministre avait 42 ans. Est-ce pour cette raison qu’il avait donné une liste de 42 écrivains. Ce qu’elle imaginait aussi, c’est que le ministre souhaitait publier un livre quand il serait limogé, et ça, c’était fort possible, car on limogeait très vite dans ce gouvernement là…

 

PS : prochain texte, mardi.

4 janvier 2022

Le cercueil

En entrant dans le magasin de pompes funèbres, la cliente avait dit.

-          Je veux trouver la lumière après ma mort.

Le pauvre employé, en poste depuis une semaine, n’a pas trop su quoi dire. D’autant plus que la cliente avait tout au plus 65 ans. Son cerveau a repassé en mémoire les leçons de son patron mais rien n’est sorti, si ce n’est.

-          Euh, je vous écoute.

-          Eh bien, le grand jeu.

Mais de quel jeu parlait-elle cette cliente ? Voulait-elle parler des présentations du corps, des habillages, du cercueil, de la mise en bière ? Était-elle folle ?  Il a choisi de commencer simplement.

-          Vous avez une idée du cercueil, madame ?

A ce moment-là, la cliente s’est s’énervée en soulignant que la lumière c’était la musique, d’abord et avant tout, puis elle a ajouté.

-          Vous n’allez tout de même pas parler tout de suite d’argent avec moi ?

Décidément, il fallait qu’il appelle le patron, mais où était-il ? Il a essayé une dernière question.

-          Voulez-vous voir notre catalogue ?

-          Je les connais par cœur les cercueils, pas besoin de catalogue.

C’est à ce moment que le patron est entré en hurlant.

-          Maman, mais qu’est-ce que tu fous ici ? Décidément tu veux me faire chier jusqu’au bout ! Et tout ça pour quoi ? Pour dire que tu étais une excellente patronne, une excellente vendeuse, mais que moi, je ne t’arrive pas à la cheville ? Bravo.

Aussitôt, la dame est tombée en pâmoison dans les bras du vendeur. Enervé, le patron lui a dit.

-          C’est pas grave. Elle est hystérique. Aidez-moi à la mettre dans un cercueil ; tenez, le premier, et elle en ressortira toute seule si elle le veut.

Le vendeur est tout de suite passé à exécution en se demandant s’il allait rester dans ces pompes funèbres de fous…

 

PS : prochain texte, vendredi.

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