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30 novembre 2021

La baguette

Il s’appelait Testefort et avait une vie très rangée jusqu’au jour où il sortit du chemin habituel. Sa femme lui avait demandé d’acheter une baguette à la boulangerie. A la caisse, une jeune femme accorte.  Il n’avait l’habitude ni des jeunes femmes accortes – sa femme était un peu revêche – ni des boulangères.

Il fut donc troublé quand la jeune femme s’adressa à lui.

-          Que désirez-vous, lui dit-elle le sourire aux lèvres.

-          Une baguette s’il vous plaît.

Elle se retourna. Allez savoir pourquoi, c’est à ce moment là que Monsieur Testefort ouvrit sa braguette et... La jeune fille, en voyant la "chose", fit tomber la baguette de ses mains en hurlant. Quelle puissance vocale que la sienne. Monsieur Testefort revint à lui, rangea son matériel, ferma sa braguette et sortit immédiatement de la boulangerie.

En rentrant chez lui, sa femme lui dit.

-          Tu n’as pas oublié la baguette ?

Monsieur Testefort rougit et sa réponse surprit sa femme.

-          Excuse-moi. Une fois dans la boutique j’ai eu une envie terrible d’uriner et j’ai dû aller au café. Désolé. Vas-y toi-même, j’ai un dossier à terminer et des comptes à régler.

Bien sûr, il n’avait ni dossier, ni compte à consulter, mais il téléphona immédiatement à un psychiatre dont il trouva le numéro dans les pages jaunes. Quand celui-ci décrocha, il lui dit d’une voix basse.

-          Je vous téléphone car j’ai ouvert ma braguette dans une boulangerie…

Le psychiatre l’arrêta immédiatement et répondit.

-          Mardi prochain 17 h 30, ça vous va ? Vous tiendrez bien jusque-là. Votre nom ?

-          Testefort.

-          Très bien, c’est noté. Et ne vous inquiétez pas, avec un nom pareil, la force est avec vous. Et quand je dis la force, je veux dire la résistance, n’est-ce pas ?

Monsieur Testefort le remercia et se demanda si oui ou non il arriverait à résister. Peut-être pourrait-il demander à sa femme, le soir même si… mais avec elle, il y avait si longtemps que…

 

PS : prochain texte, vendredi.

 

26 novembre 2021

L’amitié

Juliette lui répétait en boucle qu’on n’était jamais mieux asservi que par soi-même et cette citation la faisait grincer des dents. Elle l’aurait acceptée si Juliette avait ouvert grand les yeux sur elle, mais non. Les soumises, c’était toujours les autres, celles qui se faisaient exploiter par leur compagnon.

Un jour, agacée, elle sortit un miroir et lui dit.

-          Excuse-moi de t’interrompre, Juliette, mais j’ai l’impression que tes yeux ne s’ouvrent que pour regarder les autres.

-          C’est-à-dire ?

-          Eh bien, voilà, je te sors un miroir, tu te regardes, et tu me dis ce que tu vois.

-          Je vois d’abord que je ne me fais pas chier à vivre avec un partenaire.

-          Certes, tu ne vis pas avec lui, mais il te téléphone en permanence pour savoir où tu es, donc ?

-          Donc, je ne suis pas exploitée.

-          Disons qu’il y a l’exploitation au domicile et l’exploitation hors domicile, alors !

Ce jour-là, Juliette la traita de conne. Une longue amitié de dix ans s’éteignit en 5 minutes. Elle se demanda, ce jour-là, si l’amitié entre femmes était si simple que ça…

 

PS : prochain texte, mardi.

 

23 novembre 2021

Scène ( lui/elle) – le pain

(lui)Tu  as pris mon pain. Attention à ce que tu fais !

(elle) Merde, désolée.

(lui) On peut être désolée après, mais il vaut mieux anticiper.

(elle) Merci pour ta leçon.

(lui) Ce n’est pas la première, ni la dernière.

(elle) Tu fais un peu père Fouettard, non ?

(lui) Peut-être, mais c’est épuisant de se retrouver le matin sans pain.

(elle) Tu as du quatre quart, regarde.

(lui) Je n’en mange jamais le matin. Ce n’est pas très dur d’être attentif aux autres.

(elle) Bon, j’ai compris, je m’en souviendrai. Tu peux arrêter la liste car là je vais partir au travail et ça me stresse.

(lui) Bon, si je comprends bien, quoi qu’il arrive tu as raison et j’ai tort ?

(elle) Ecoute, on dirait une scène de théâtre. Je n’ai pas dit que j’avais raison.

(lui) Oui, mais tu n’as pas dit que tu avais tort.

(elle) Bon, jusqu’à présent, cela me faisait sourire, mais plus maintenant. J’ai tort, OK. Ça te va ?

(lui) On va dire que ça va. Je te demande juste de faire attention à ce que tu fais. Dans la vie, cela pourrait te jouer des tours, tu sais ?

(elle) J’ai compris. Ne m’en parle plus s’il te plaît.

(lui) J’ai dit ce que j’avais à te dire.

(elle) Parfait. Alors je vais travailler et l’affaire est close. Au fait, ce soir, avant de rentrer, je vais acheter du pain, donc j’arriverai en retard.

 

PS : prochain texte, vendredi prochain.

 

19 novembre 2021

Le matelas de compétition

Christophe s’était acheté un matelas de compétition où il pouvait se mettre dans n’importe quelle position : en long, en large ou en travers. Pour dormir, la position qu’il préférait, c’était celle du Christ sur la croix ; parfois il la transformait légèrement, en écartant les jambes. Et chaque fois il se disait : qu’est-ce qu’il a dû souffrir le Christ ; s’il avait eu la même position que moi, sur ce merveilleux matelas, sa fin aurait été moins triste.

Le seul moment où il avait parlé de sa position sur  son matelas de compétition, c’était à une fille qui faisait des études de psychologie avec lui. Il ne ressentait rien de profond pour elle, juste une douce amitié, maintenant brisée, pensait-il, puisqu’il l’avait traitée d’idiote après qu’elle eut dit la phrase suivante.

-          Tu serais pas un peu maso, Christophe ? Tu me diras, il y en a qui aiment ça les masos. En tout cas,  compte pas sur moi pour essayer ton matelas de compétition !

Quand il était rentré chez lui, il avait fait une sieste de deux heures sur son matelas et Jésus Christ lui était apparu en rêve. Sa seule phrase avait été  "Celui qui cherche trouvera", et il lui avait souri. Oui, il fallait qu’il cherche pourquoi Jéus Christ l’obsédait…

PS : prochain texte, mardi.

16 novembre 2021

Les couples

Ils étaient arrivés au café à l’heure habituelle et étaient restés en terrasse car le soleil avait décidé d’être à l’écoute de ces pauvres humains que l’arrivée de l’hiver terrifiait.

Journal et mots croisés étaient sortis et ils avaient commencé leur activité du dimanche matin quand deux femmes – l’une avec un chien minuscule, l’autre sans – s’étaient installées derrière leur table. Bien évidemment, le « roquet » aboya et continua d’aboyer. Son mari, irrité, dit assez fort.

-          Je crois que moi aussi je vais aboyer, je sens que ça monte !

Au bout de deux minutes, la propriétaire, catastrophée par ces aboiements qui l’empêchaient d’écouter son amie fini par dire à son chien.

-          Fidji  arrête. Tais toi. Tais toi. Arrête je te dis, écoute-moi !

Bien évidemment le roquet n’avait aucune intention de se taire. Son mari grommela à plusieurs reprises que dans deux minutes il égorgerait Fidji s’il ne la bouclait pas. Quant à la propriétaire de ce doux chien elle dit, exaspérée.

-          Mais qu’est-ce qu’il me fatigue, qu’est-ce qu’il m’énerve. Il se fait remarquer. On va reprendre les choses en main, on va les reprendre oui, car ça ne va pas Fidji, pas du tout.

Elle avait laissé son journal de côté afin d’observer les choses. Elle s’amusait de voir ce « couple » infernal. A un moment elle rit fort et son mari, agacé, lui demanda ce qu’elle trouvait drôle dans ces aboiements.

Elle ne répondit pas et reprit un visage sérieux, tout en se disant, que elle aussi, parfois, elle aurait bien aimé dire à son mari qu’il la fatiguait et qu’elle allait reprendre les choses en main. Mais son mari ne s’appelait pas Fidji, et ce n’était pas un chien !

 

PS : prochain texte, vendredi.

 

12 novembre 2021

Les délateurs

Au boulot, les journées succédaient aux journées. J’avoue que ça me faisait « grave chier » d’être technicienne de surface trois jours par semaine, tout ça parce que la collocation où nous étions quatre devenait une collocation à trois, et que mes parents ne voulaient pas me donner les 150 euros qui manquaient chaque mois. Ils avaient l’impression, disaient-ils, que  mes études ne s’arrêteraient jamais.

Au boulot, dans notre « équipe de techniciens de surface », je ne connaissais personne. On n’avait pas tout à fait les mêmes centres d’intérêt : moi j’étais en doctorat de sociologie et eux avaient terminé leurs études il y a bien longtemps. Ce qui m’a étonnée, au bout de deux semaines de travail, c’est la délation dont certains faisaient preuve et, pour ça, ils  se servaient du téléphone « intelligent ».

 Un téléphone « intelligent », donc, pouvait être très « con » quand il était dans les mains de cons. Je vous donne un petit exemple. Pendant deux jours, Cynthia n’avait pas vidé les poubelles du deuxième étage. Résultat : des photos des poubelles non vidées avaient été envoyées au responsable du service poubelles.

J’avoue que moi, je n’ai pas l’habitude de la délation. A la fac, il n’y a jamais eu de délateurs, même pour les tricheurs ou les glandeurs. Alors, quand j’ai vu ça, j’ai essayé de tracer  les délateurs afin de comprendre ; un réflexe de future sociologue, peut-être. J’ai fini par les trouver ; ils étaient deux et formaient un joli couple ! Je leur ai clairement dit ce que je pensais de leur duo. Je n’aurais pas dû. Sonia m’a asséné.

-          Les bourgeoises à la con, comme toi, moi je les emmerde. Si tu fais une connerie, photo au chef. T’as compris connasse ?

La « connasse » avait compris. Je suis allée voir l’agence intérim et j’ai  donné ma démission. Ensuite, je me suis payée le luxe de laisser au duo de délateurs  une petite lettre sous enveloppe rouge qui disait :

« Adieu les cons  », je vous conseille d’aller voir ce film de Dupontel. Vous vous y retrouverez à coup sûr, cherchez bien !

Sophie

Et je suis partie le sourire aux lèvres, chercher un nouveau travail de technicienne de surface...

 

PS : prochain texte, mardi.

9 novembre 2021

Le médium

Monsieur Bomba était un médium étoilé, compétent de père en fils et extralucide. C’est lui qui avait reçu Monsieur Morzemu, un an auparavant, pour un retour de l’être aimé. Il n’avait bien sûr pas demandé de détails mais il savaient – le bouche à oreille est aussi une pratique efficace pour les marabouts -  que l’ « amie » de M. Morzemu avait trente ans de moins que lui. Succès pour M. Bomba, la jeune femme était retournée auprès du vieil homme. Il en fut lui-même étonné.

Sept mois plus tard, M. Bomba avait à nouveau reçu le petit homme blanc. La jeune femme l’avait-elle à nouveau quitté ? Mais non, M. Morzemu  avait une nouvelle demande :  être président de la République.

Monsieur Bomba avait écouté le petit homme blanc avec bienveillance, comme à son habitude, et il avait conclu par les mots suivants.

-          Ta demande est inhabituelle, frère blanc. Tu  as un projet ?

Monsieur Bomba avait vite compris que M. Morzemu était hostile à la couleur noire et à tout ce qui venait d’autres continents. Il lui avait tout de même demandé.

-          Et que  donneras-tu au médium étoilé s’il t’aide à devenir président ?

-          Des papiers et de l’argent, avait dit le petit homme blanc en souriant.

Monsieur Bomba avait éclaté de rire.

-          Mais les papiers je les ai frère blanc ; l’argent aussi.

-          Alors tu seras ministre.

-          De quoi frère blanc ?

-          Ministre délégué chargé des sports

-          Je ne fais pas de sport frère blanc.

-          Alors tu veux quoi ?

-          Eh bien,  je veux soit être ministre de l’intérieur, soit  ministre des Outre-mer, parce que la mer, ça, je connais. Mon grand-père était sénégalais, frère blanc, et mes frères migrants voyagent beaucoup en bâteau.

Monsieur Morzemu n’a rien répondu et n’est jamais revenu voir M. Bomba. Après le départ de celui-ci, le médium a immédiatement convoqué  les sorciers de France et du Sénégal afin d’éloigner le petit homme blanc de la présidence. Maintenant, il attend le compte rendu du sommet de la CFMG ( comité des féticheurs, marabouts, guérisseurs ) de novembre 2021 pour savoir quelles mesures prendre…

PS : prochain texte, vendredi.

 

5 novembre 2021

L’anti-tout

Louis n’était pas un auteur que l’on pouvait appeler comique, ni original. Par ailleurs, ses livres dépassaient rarement les 2000 exemplaires. Noëlle – sa mère -  ne savait pas pourquoi, pour son dernier livre, il avait décidé que sur la couverture, il serait écrit : « Pour un livre acheté, une corde offerte ». L’éditeur avait accepté, « pour l’originalité ». Et, de fait, à chaque achat de livre, une petite corde rouge  était donnée. Les acheteurs préféraient-ils la corde, le titre du livre – «  l’anti-tout »  - l’auteur ou le tout ?

Elle était entrée dans la librairie « le grand nulle part » le jour de la sortie du livre de son fils, par curiosité. Elle souhaitait poser quelques questions aux acheteurs. Peut-être qu’eux sauraient pourquoi Louis avait voulu ajouter cette corde rouge. La première personne qu’elle interrogea fut une jeune femme de l’âge de son fils, une trentaine d’années. Une grande rousse dont la tenue très colorée l’intrigua.

-          Vous achetez ce livre pour le titre ou pour l’auteur ? lui dit-elle.

La jeune femme répondit.

-          L’écrivain, je m’en fiche, le titre aussi, moi c’est la corde qui m’intéresse. Figurez-vous que j’ai couché avec lui, et qu’il est même anti-sexe, ce connard. Rien à en tirer. Par contre, lui exige, ça oui. Alors cette corde, je lui passerai bien autour de son petit cou.

Noëlle la remercia et choisit, pour sa deuxième question du jour, un homme d’une quarantaine d’années qui se précipita sur le livre de son fils aussitôt entré dans la librairie. Elle lui posa la même question et l’homme répliqua.

-          Ah, madame ! Eh bien je l’achète pour cette petite corde rouge. J’ai hâte de m’en servir pour égorger ce connard d’auteur qui, s’il est anti-tout, comme il le déclare, n’a aucun scrupule à sucer la bonne volonté des autres !

Noëlle faillit dire qu’elle était la mère de l’auteur et que son fils était un être d’une grande délicatesse mais elle se tut. Entra dans la boutique une dame d’une soixantaine d’année qui se saisit immédiatement du livre. Elle se dit que ce serait la dernière personne qu’elle interrogerait car elle était épuisée.  La dame la regarda en souriant et rétorqua.

-          Vous connaissez vous-même l’auteur peut-être ? Je vais être sincère  avec vous madame. Louis Dubord n’écrit pas merveilleusement, mais il a quelques bonnes idées, parfois. Dans ce livre, d’ailleurs, je pense y trouver toutes les idées que je lui ai sussurées sous la couette. Il faut dire que Louis manque un peu d’imagination, et pas seulement pour l’écriture. Si c’est le cas, je lui passerai la corde au cou car moi, je suis anti-plagiat !

Noël la remercia et se garda de lui dire que Louis était son fils. En remontant la rue des martyrs, elle le rencontra, par hasard. Elle préféra l’éviter et tourner à droite mais il arriva vers elle en courant.

-          Tu sais maman qu’aujourd’hui c’est la sortie de mon roman.

-          Ah oui, dit-elle, très bien, très bien.

-          Viens avec moi à la librairie, juste pour voir s’il part comme des petits pains.

-          Moi, tu sais, je suis anti-librairie, alors je préfère rentrer. Excuse-moi, je ne vais pas très bien car je viens de m’apercevoir, que finalement, ce sont les gens les plus proches que l’on connaît le moins.

-          Tu parles de papa ?

-          Euh… je parle en général, Louis, en général. Aurevoir, et surtout, ne m’appelle pas ajourd’hui, car je crois que la petite corde que tu offres à tes lecteurs, j’aurais envie de te la passer autour du cou.

Louis se dit que sa mère déraillait, comme souvent, et il marcha à grands pas vers la librairie pour analyser les ventes de son livre…

 

PS : prochain texte, mardi.

2 novembre 2021

Maria

Elle avait une femme de ménage, non pour faire le ménage, mais pour soulager sa conscience. Elle trouvait que son mari et elle gagnaient beaucoup trop d’argent et qu’elle devait aider « la classe ouvrière », comme elle le disait à certaines de ses amies. Alors, quand la femme de ménage arrivait, elle lui donnait ses chaussons et lui disait.

-          Bon, Maria, asseyez-vous et je vous apporte votre thé habituel ou un chocolat, si vous voulez.

Maria trouvait ça très étrange, mais elle ne se plaignait pas ; trois heures à bavarder dans la cuisine avec Madame, c’était une aubaine que nulle patronne ne lui avait accordé jusqu’à présent.

Et toutes les deux parlaient et parlaient, surtout Maria à qui il arrivait tellement d’histoires invraisemblables chez ces autres patronnes que Madame  se faisait un plaisir de l’écouter et de lui donner des conseils. Car en matière de « patronnes », elle en connaissait un rayon, Madame. La plupart de ses amies avaient des femmes de ménage qu’elles n’hésitaient pas à exploiter. Madame pouvait ainsi se dire qu’elle, au moins, elle travaillait pour en finir avec l’exploitation des travailleurs.

Et quand Maria partait avec son chèque, après trois heures de conversation avec thé et petits gâteaux, elle disait à Madame.

-          Ah Madame, vous êtes une bonne patronne, vous.

Et Madame souriait, disait «  à la semaine prochaine Maria », et elle allait gaillardement faire les trois heures de ménage que Maria auraient dû faire elle-même.

 

PS : prochain texte, vendredi.

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