Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Presquevoix...
Archives
9 avril 2020

Les masques

On était le mardi deux juin 2020 et, depuis cette rentrée post-coronavirus, dans les salles de  classes, c’était masque obligatoire pour tout le monde. Sans parler du plexiglass qui faisait aussi son entrée au lycée. Elle avait l’impression d’être au tribunal, en prison ou dans une chambre funéraire, mais pas dans sa salle de classe.

Faire cours avec un masque sur la bouche la mettait à rude épreuve, d’autant plus qu’elle enseignait une langue étrangère. Quant aux élèves, non seulement ils ne comprenaient plus rien, mais ils évitaient de parler. Même les 5 % qui, d’ordinaire, donnaient un petit élan de vie au cours n’ouvraient plus la bouche. « Pas pratique », avaient-ils dit, « on préfère se taire ». Un monde de fous, pensa-t-elle, mais jusqu’à quand cette mascarade allait-elle durer ? Elle attendait les vacances avec impatience, mais des vacances pour aller où ?

7 avril 2020

Les deux jardins

En troisième semaine de confinement, elle avait décidé de mettre son lit devant la fenêtre pour voir le jardin. Au-dessus des arbres, des oiseaux d’inquiétude volaient dans un ciel aux couleurs de coronavirus.

Quand il entrait dans sa chambre – qui avait été la leur – il entendait souvent la chanson JARDIN_D'_HIVER. Elle occupait le lieu, tout comme les livres dont les piles formaient d’étranges cercles.  Pourquoi cette chanson ? Et pourquoi Simenon et Patricia Highsmith étaient-ils les seuls romanciers autorisés dans sa chambre ? Sans doute aurait-elle pu le lui dire s’il lui avait posé une question, une seule ; mais c’était un taiseux et jamais il ne mettait à la lueur du jour « les dentelles » de ses sentiments.  Son émotion ne sortait que  la nuit, dans le labyrinthe du jardin de ses rêves.

Pour tous deux, la vie n’était peut-être plus qu’un jardin d’hiver où les mots avaient tissé leur longs draps aux souvenirs bleutés...

 

PS : La chanson JARDIN_D'HIVER est interprétée par Gilda, une amie Brésilienne qui adore le français et vit à Belo Horizonte.

5 avril 2020

Un instant de folie

 

20150720_143526

 

La dernière fois que l’oeil lui était apparu, c’était sur les volets d’une maison qu’elle ne connaissait pas, et cette fois, il lui avait parlé.

-          Je suis l’œil, lui avait-il dit d’une voix grave.

Que lui répondre ? Elle s’était tue et il avait continué.

-          Je vois en toi quelque chose de violent qui demande à sortir. Raconte.

-          Raconter quoi ?

-          Ce qu’il y a là, maintenant, dans cette âme en train de bouillir.

Et à ce moment-là – dieu sait pour quelle raison – elle avait sorti sa colère, une colère qui datait d’avant… d’avant quoi, d’ailleurs ? Elle ne le savait même pas.

-          Je suis celle qui veut tuer la religion patriarcale. Je hais ces pseudos dieux vivants qui nous dominent, je hais ce Dieu qui délègue aux mâles ce pouvoir qui remplit leurs âmes vaines et délègue aux femmes les tâches subalternes. Je veux que règne le matriarcat, protecteur de l’égalité inconditionnelle.

Après ce pamphlet, elle s’arrêta, à bout de souffle. Était-ce l’intrusion du coronavirus en elle ? Elle eut peur.

L’œil lui répondit.

-          Repose-toi maintenant. Dès dimanche, tu tueras Dieu et le calme reviendra.

Elle n’en croyait pas ses oreilles, l’œil lui demandait de passer à l’acte ?

Et c’est ce qu’elle fit le dimanche suivant, dans l’Eglise du Sacré cœur, la seule église ouverte.  En ville, les rues étaient désertes, inutile de courir, il lui suffisait d’aller vers l’autre monde, celui du matriarcat…

 

PS : photo prise à Saint Prix,  95.

 

3 avril 2020

Rien

Il était assis au fond de la classe, le corps avachi sur sa chaise. Le week-end avait dû être difficile ! Au moment où le professeur commença à écrire au tableau, l’élève leva le doigt.

-          Monsieur, je vois rien.

Le professeur lui répondit.

-          Viens devant, Charles, il y a de la place au premier rang.

Charles réfléchit un instant puis conclut.

-          Ça y’est monsieur, je vois.

-          Quand je pense qu’il y en a qui recouvrent la vue avec moi ! Grâce à toi, je vais finir par me prendre pour Jésus !

Charles sourit et resta assis au dernier rang. Le cours continua.  Charles n’écrivit rien de rien et son cahier avait été fermé bien avant la sonnerie.

Avant de sortir, il dit au professeur.

-          C’est pas votre cours monsieur mais j’aime pas l’école.

-          Et qu’est-ce que tu aimes ?

-          Rêver.

-          A quoi ?

-          A rien. C’est pour ça que tout à l’heure je vous disais « Je vois rien ».

-          C’est pas banal, dit le professeur en souriant.

-          Rien est loin d’être banal, monsieur.

-          Ah. Eh bien si tu m’écrivais quelque chose sur Rien, ça me ferait plaisir Charles. Tu me rends ça demain ?

Il quitta le lycée à 16 h et rentra chez lui à 17 h, épuisé. Quand sa femme revint du travail à 18 h, le voyant rêveur assis sur le fauteuil, elle lui demanda.

-          Tu penses à quoi ?

-          A rien.

-          Et après rien ?

-          Je sais pas, je crois que ma vie est un long fleuve de rien que je dois suivre avant qu’il se jette dans la mer ; et il est long ce fleuve, très long ; je ne sais pas si je vais y arriver.

Ils se couchèrent à 23 heures, et sa dernière parole avant de s’endormir fut la suivante : « Pour ne pas être déçu par les gens, ne rien attendre d’eux ! »

Le visage de sa femme pâlit, et elle, rien ne lui fit fermer l’œil de la nuit !

1 avril 2020

Flamenco

A force de marteler le sol de ses bottines nerveuses, il était devenu fou. C’était comme si la tête de ses talons résonnait dans son cerveau, jour et nuit, ne lui laissant aucun repos.

Il avait consulté divers spécialistes, aucun n’avait pu atténuer son mal. Un seul lui conseilla d’arrêter le flamenco, en ajoutant.

- Consacrez-vous à la natation, votre équilibre personnel y gagnera.

Il répondit à ce médecin ignare qu’il ne savait pas nager, que le flamenco était toute sa vie, que son père, son grand-père et son arrière-grand-père étaient danseurs de flamenco et qu’il n’avait pas vocation à jouer au crapaud.

C’est le mardi qui suivit cette visite qu’il décida d’en finir. On était le 31 mars -   le jour de l’anniversaire de la mort de son père. A 23 h 30, revêtu de son costume noir, il monta sur le pont Flaubert, avança en martelant le macadam de son « zapateado » inquiet jusqu’à l’endroit choisi, enjamba la balustrade et se jeta dans la Seine.

Personne ne retrouva son corps, mais par moments, quand on s’approche tout près du fleuve gris, on entend des martèlements qui montent des flots.

 

<< < 1 2
Presquevoix...
Newsletter
9 abonnés