Flamenco
A force de marteler le sol de ses bottines nerveuses, il était devenu fou. C’était comme si la tête de ses talons résonnait dans son cerveau, jour et nuit, ne lui laissant aucun repos.
Il avait consulté divers spécialistes, aucun n’avait pu atténuer son mal. Un seul lui conseilla d’arrêter le flamenco, en ajoutant.
- Consacrez-vous à la natation, votre équilibre personnel y gagnera.
Il répondit à ce médecin ignare qu’il ne savait pas nager, que le flamenco était toute sa vie, que son père, son grand-père et son arrière-grand-père étaient danseurs de flamenco et qu’il n’avait pas vocation à jouer au crapaud.
C’est le mardi qui suivit cette visite qu’il décida d’en finir. On était le 31 mars - le jour de l’anniversaire de la mort de son père. A 23 h 30, revêtu de son costume noir, il monta sur le pont Flaubert, avança en martelant le macadam de son « zapateado » inquiet jusqu’à l’endroit choisi, enjamba la balustrade et se jeta dans la Seine.
Personne ne retrouva son corps, mais par moments, quand on s’approche tout près du fleuve gris, on entend des martèlements qui montent des flots.