Duo
Voici notre nouveau duo avec Caro, du blog " les heures de coton ". Cette fois-ci nous nous sommes confinées de longs jours avec les deux citations suivantes :
« Moi, quand je n’ai rien à dire, je veux qu’on le sache » (Raymond Devos)
« N’importe qui peut assassiner, c’est une question de circonstances » (Patricia Highsmith)
Voici mon texte, après celui de Caro, en ce lundi de confinement :
Les deux voix
« Pauvre Joséphine, elle est folle à lier », c’est ce que tout le monde pensait. Seulement, elle était heureuse Joséphine, car elle disait ce qu’elle voulait quand elle voulait au contraire du commun des mortels. Une seule devise rythmait son quotidien : Moi, quand je n’ai rien à dire, je veux qu’on le sache.
Toute la famille cachait sa honte, noblesse oblige ; une noblesse tardive d'ailleurs, mais la famille était fière de ce nom récent qu’elle prononçait avec une articulation paroxystique : « Gan-ti-er D’-Où-tre-mont » !
En dehors de sa presque inquiétante folie, Joséphine possédait un pouvoir : sa beauté. Plus d’un homme avait été séduit par son visage long aux yeux verts, si verts, mais tous avaient fui, effrayés par son vocabulaire qui, en plein vol, pouvait atteindre des sommets de grossièreté et d’excentricité.
Le dernier scandale – mais dans la noblesse tout est scandale – eut lieu lors de la dernière soirée au château de Bois Renard, propriété ancestrale des Gantier d’Outremont, le week-end qui précéda le confinement. Une quarantaine de personnes – des amis de la famille – étaient réunies dans la grande salle à manger quand soudain, revêtue d’une robe vert pâle, Joséphine monta sur la table et dit d’une voix théâtrale : N’importe qui peut assassiner, c’est une question de circonstances ; et n’oubliez pas, même de tout petits virus peuvent assassiner !
Toute la tablée se tut, mais soudain, un homme grand et brun à la queue-de-pie noire, dit d’une voix de basse : " Je vous engage dans mon chœur séance tenante, madame. Quelle tessiture, quel lyrisme que le vôtre ! Madame, soyez mienne sur les chemins de la voix et assassinons ceux que la liberté dérange ! "
La tablée ne dit mot, Joséphine non plus mais, dans ce silence profond, de sa voix de mezzo, elle chantonna.
- Monsieur, partons tous deux dans le labyrinthe de cet étrange jardin pour découvrir l’amour à deux voix !
Ils sortirent main dans la main et jamais on ne les revit. Sans doute sont-ils allés au pays des voix heureuses ?