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30 mars 2020

Duo

Voici notre nouveau duo avec Caro, du blog " les heures de coton ". Cette fois-ci nous nous sommes confinées de longs jours avec les deux citations suivantes :

« Moi, quand je n’ai rien à dire, je veux qu’on le sache » (Raymond Devos)

« N’importe qui peut assassiner, c’est une question de circonstances » (Patricia Highsmith)

Voici mon texte, après celui de  Caro, en ce lundi de confinement :

 

 Les deux voix

 

« Pauvre Joséphine, elle est folle à lier », c’est ce que tout le monde pensait. Seulement, elle était heureuse Joséphine, car elle disait ce qu’elle voulait quand elle voulait au contraire du commun des mortels. Une seule devise rythmait son quotidien : Moi, quand je n’ai rien à dire, je veux qu’on le sache.

Toute la famille cachait sa honte, noblesse oblige ; une noblesse tardive d'ailleurs, mais la famille était fière de ce nom récent qu’elle prononçait avec une articulation paroxystique : « Gan-ti-er D’-Où-tre-mont » !

En dehors de sa presque inquiétante folie, Joséphine possédait un pouvoir : sa beauté. Plus d’un homme avait été séduit par son visage long aux yeux verts, si verts, mais tous avaient fui, effrayés par son vocabulaire qui, en plein vol, pouvait atteindre des sommets de grossièreté et d’excentricité. 

Le dernier scandale – mais dans la noblesse tout est scandale – eut lieu lors de la dernière soirée au château de Bois Renard, propriété ancestrale des Gantier d’Outremont, le week-end qui précéda le confinement. Une quarantaine de personnes – des amis de la famille – étaient réunies dans la grande salle à manger quand soudain, revêtue d’une robe vert pâle, Joséphine monta sur la table et dit d’une voix théâtrale :  N’importe qui peut assassiner, c’est une question de circonstances ; et n’oubliez pas, même de tout petits virus peuvent assassiner !

Toute la tablée se tut, mais soudain, un homme grand et brun à la queue-de-pie noire, dit d’une voix de basse : " Je vous engage dans mon chœur séance tenante, madame. Quelle tessiture, quel lyrisme que le vôtre ! Madame, soyez mienne sur les chemins de la voix et assassinons ceux que la liberté dérange ! "

La tablée ne dit mot, Joséphine non plus mais, dans ce silence profond, de sa voix de mezzo, elle chantonna.

-           Monsieur, partons tous deux dans le labyrinthe de cet étrange jardin pour découvrir l’amour à deux voix !

Ils sortirent main dans la main et jamais on ne les revit. Sans doute sont-ils allés au pays des voix heureuses ?  

28 mars 2020

Duo

Voici notre nouveau duo avec Caro, du blog " les heures de coton ". Cette fois-ci nous nous sommes confinées de longs jours avec les deux citations suivantes :

« Moi, quand je n’ai rien à dire, je veux qu’on le sache » (Raymond Devos)

« N’importe qui peut assassiner, c’est une question de circonstances » (Patricia Highsmith)

Voici le texte de Caro, en ce samedi de confinement :

 

Au Chat qui penche

Je sirotais tranquillement ma pinte de Maredsous quand Bernard, juché sur son tabouret habituel, me souffla : « Moi, quand je n’ai rien à dire, je veux qu’on le sache ». Il rajouta : « C’est du bon, du Devos. » Je souris et levais ma chope. J’aimais bien Bernard. Il cachait sous sa face rubiconde une foule de citations et d’expressions qui ressuscitaient Alphonse Allais, Rabelais et Frédéric Dard. Distillés à bon escient, ces mots savoureux n’en étaient que meilleurs et ajoutaient au charme flamand de l’estaminet du Chat qui penche.

C’est après avoir dégusté la moitié de ma binouse que je me suis demandé pourquoi Bernard avait fait cette remarque. Il n’était généralement pas causant. Les habitués ne devenaient bruyants qu’à la fin des matchs retransmis sur le grand écran du bistrot, sacro-saint moment qui appelait les commentaires avertis des supporters : « Arbitre de mes deux. » « Ce petit con de Verr… » et évidemment des analyses techniques qui n’avaient rien à envier celles de Pierre Ménès. Parfois, rarement, une question d’actualité suscitait un débat houleux que calmait alors une tournée générale offerte par Dédé, le taulier. Le nez dans leurs mousses, les habitués redevenaient doux comme des agneaux.

Bref outre sa déco chaleureuse, la qualité de ses bières, sa proximité, j’aimais ce rade pour la discrétion de sa clientèle qui me laissait flotter confortablement dans mon vague-à l’âme de fin de journée. Ou de début de soirée.

Je retournais toujours dans ma tête les mots de Devos quand je les vis. Ou plutôt quand ils se firent entendre. Je devais être sacrément ailleurs pour ne pas avoir remarqué cette tribu de bobos friqués qui vociféraient au bout du comptoir. Ils avaient dû renifler l’endroit comme un possible repaire branché et s’étaient passé l’adresse, ces charognards. Ils avaient traîné jusqu’ici leur Lauboutin, leurs Weston et leurs fringues achetées lors de la dernière fashion week. Je tendis l’oreille, ça causait de Césars, de différencier l’homme de l’artiste, de ces foutues féministes et de ce monde qui partait en vrille. Je soupirai. Une discussion de comptoir drapée de sapes Gucci est toujours une discussion de comptoir. Je reconnaissais maintenant certains de ces  people. Chacun de leur cachet et les indemnités d’intermittents planqués qui suivaient devaient dépasser ce que les habitués du Chat qui penche touchaient en un an, moi comprise. Je constatais également que le talent de jouer pouvait être assorti à une unique pauvre paire de neurones. La connerie humaine n’a pas plus d’habit qu’un moine et, présentement, elle voulait à toute force qu’on lui serve du champagne et non une Gueuze. Au Chat qui penche. Le mauvais goût n’a jamais de limite.

Je commandais une seconde pinte pour moi et une énième pour Bernard. Je levais mon verre pour trinquer avec lui en repensant à cette citation que j’avais souligné au hasard de mes lectures. « N’importe qui peut assassiner, c’est une question de circonstances. » Je la répétais à Bernard qui cligna de l’œil. Le bon mot ferait le tour du bistrot d’ici la fermeture, j’en étais certaine.

Je n’ai pas encore fermé mes volets. L’estaminet du Chat qui penche est fermé depuis un mois. Et Bernard, Dédé, moi, et les autres, sommes confinés quelque part dans la ville. Je n’avais pas même eu le temps de trouver un moyen de nous défaire de la bande clinquante et arrogante qui avait envahi notre repaire, ni quiconque parmi nous d’ailleurs. Un virus venu de Chine avait changé notre donne quotidienne. L’ordre de confinement accompagné de la fermeture de tout bistrot de France et de Navarre était tombé comme un couperet. Là, accoudée à la fenêtre, j’entends les oiseaux qui vocalisent comme des fous avant que la nuit ne les fasse taire. Ma Maredsous est un peu solitaire, et je la préfère pression. Je ne sais pas quand je retournerai en boire une chez Dédé. Je sais juste qu’elle aura un goût inoubliable. Et qui sait si le virus, s’il traînait dans le coin ce soir-là, n’avait pas eu comme nous le goût des citations bien placées et si, contrairement à nous, il avait eu le temps de réfléchir

26 mars 2020

La boucle

 

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Elle était en boucle comme jamais elle ne l'avait été. Et lui était en colère, comme toujours il l'avait été.

Elle parlait beaucoup trop et répétait en permanence.

- Tu te souviens quand on marchait sur les chemins dans la campagne ?

ou

- Tu te souviens quand on se promenait sur la côte ?

ou

- Tu te souviens de nos vacances à vélo sur les routes de Bretagne ou d'Alsace ?

Oui, il se souvenait, mais il en avait marre. « Qu’elle la boucle », pensait-il.

Et plus elle parlait, plus sa colère montait et plus il soufflait comme un phoque. Seulement, à force de souffler, il allait faire un arrêt cardiaque, il le sentait, il le sentait, il le sentait...

 

PS : photo prise non loin de St Martin de Boscherville en 2015, du temps où le covid 19 n’existait pas…

 

 

 

24 mars 2020

L’inspecteur

-          Cette histoire est invraisemblable !

-          C’est justement là le problème.

Elle regardait l’inspecteur, attendant qu’il manifeste un désir, une volonté, un ordre, mais non, rien.

Le livre laissé ouvert à la page 199, sur la table du salon où le meurtre avait eu lieu, laissait à penser que l’assassin avait suivi la voix du narrateur à la virgule près. La fiction rejoignait la réalité et l’inspecteur était troublé.

-          Un fou ? Suggéra-t-elle pour le faire sortir de son silence.

-          Non, un malade de l’écriture, un type qui n’a jamais pu publier, répondit l’inspecteur dans un souffle.

Puis son regard erra tristement sur le corps lacéré qui avait servi de page d’écriture…

 

22 mars 2020

Hortense

- Hortense, ne me laisse pas seul. J’ai besoin de toi !

J’ai prononcé ces mots en pleurant et en criant ; je suis sûr que n’importe quelle personne normalement constituée aurait éprouvé de la compassion, mais pas elle. Dédaigneuse, elle a jeté un regard vers moi, du haut de sa fenêtre du premier étage, et elle a hurlé : « Confinement ! ».

Au moment où j’allais partir, un policier m’a demandé mon attestation. « J’en ai pas », ai-je dit le visage livide. Il m’a demandé où j’habitais et hélas, j’habite très loin de chez Hortense. J’ai dû payer 135 euros.

J’ai fait une poussée de fièvre juste en rentrant chez moi. J’ai pris le thermomètre. Il frôlait les 40° ! J’ai appelé le 116-117, comme on nous l’avait dit au journal de 20 h, mais rien, personne ne répondait.

Tout le monde m’abandonnait, tout le monde, et surtout Hortense car elle ne répondait pas aux SMS que je lui envoyais. Le dernier disait : Tu  t’appelles pas Hortense, car tu  viens pas d’un jardin ! Ta mère devait s’appeler Corona et peut-être que toi aussi.

J’ai ensuite regretté de lui avoir envoyé ce message.

Putain de vie, me suis-je dit à voix haute, que des regrets et jamais, jamais, une étincelle de bonheur.

Ensuite, je me suis mis au lit, j’ai dormi, et le monde a changé…

 

 

20 mars 2020

Le ciel

Avant, quand sa grand-mère voyait un ciel bleu  se dessiner derrière les vitres de la maison, elle disait toujours : quelle belle journée !

Maintenant, à chaque fois que sa grand-mère voit un ciel - bleu ou gris -  se dessiner derrière les vitres de la maison, elle dit toujours : Encore un ciel de coronavirus ! Puis elle ajoute systématiquement.

- Et quand je pense que si je meure, il y aura moins de 20 personnes à mon enterrement et même pas une messe !

 

18 mars 2020

La toux

C’était le type même de l’ « emmerdeur ». Du matin au soir, il égrenait ses reproches, parfois dès le petit déjeuner. La veille, quand elle lui avait apporté ses toasts à 9h 30, il lui avait dit :

-          C’est pas un toast grillé, ça, c’est un toast passé au four crématoire !

Elle avait eu une envie irrépressible de lui dire ce qu’elle pensait de lui en long, en large et en travers, mais elle s’était contentée de dire calmement.

-          Tiens, à propos de four crématoire, le voisin à qui tu as serré la main il y a trois jours, il est à l’hôpital à cause du corona virus.

Il l'avait regardé le visage blême et avait toussé un nombre incalculable de fois. Bien joué, s'était-elle dit intérieurement, puis elle avait mis son manteau et était sortie de l’appartement.

Il était dix heures. Son attestation dérogatoire - déplacements pour motifs de santé - était dans sa poche et elle priait Dieu - elle mettrait un cierge à l'église -  pour que l'hypocondrie éloigne cet homme du chemin de sa vie...

16 mars 2020

Confinement

Il lui avait envoyé un SMS qui disait : " Moi confinement pas possible. Besoin de toi."

Elle avait souri. Il ne se connaissait vraiment pas ; il faut dire qu'il n'avait jamais souhaité se lancer sur le chemin du  voyage  intérieur.

Elle lui avait donc répondu : " Moi confinement possible. Besoin de moi."

Aucune réponse de sa part. Tant mieux, pensa-t-elle, l’occasion de mettre un point final à cette relation  qu’elle n’osait conclure, compassion oblige.

Elle se répéta le mot « compassion » en boucle et se rendit compte que sa passion pour les « cons » devait absolument cesser. Il était temps.

Bienheureux confinement qui allait non seulement lui permettre de changer sa vie, mais peut-être aussi – qui sait ? – de changer le monde dans lequel elle vivait…

 

 

 

13 mars 2020

une étrange nouvelle

Hier soir, dès 20 heures,  un étranger qui dit s'appeler Emmanuel M est venu nous donner une bien étrange nouvelle  : les établissements scolaires fermeront dès lundi 16 mars. Ah bon ? Comme en Italie, mais bien après l'Italie ?

Il est aussi prévu - comme nous le signalent nos supérieurs hiérarchiques - d'établir un plan de continuité de l’activité pédagogique. Oui, nous vivons dans le meilleur des mondes.

Cela m'a rappelé ce que disait un élève de terminale hier matin quand il a appris que les élèves dont on fermait les collèges et les lycées devaient travailler à la maison : " Et ils croient qu'on va travailler chez nous ? Ils rêvent ! On n'écoute déjà pas en cours !"

J'avoue qu'il m' a fait rire ; pourtant, en période de pandémie, le rire n'est plus à l'ordre du jour  !

 

PS : prochain texte lundi

 

11 mars 2020

L’immeuble

Je hais mes voisins. La folle du quatrième continue de jeter ses croûtons de pain aux oiseaux du haut de sa fenêtre en visant systématiquement les gens qui passent dans la cour intérieure, dont moi ;  le vieux du rez-de-chaussée a recueilli un quatrième chien, il est vrai que les trois autres n’aboyaient pas assez fort ; le pachyderme du deuxième a remplacé les poteaux de l'étendage collectif par des perches gratuites en fer rouge qui n’ont  pas plu au parano du deuxième qui a voulu lui casser la gueule en l’accusant de choisir le rouge justement parce qu’il détestait cette couleur. Quant au voisin du troisième, celui qui « reçoit » en permanence des dames de toutes les couleurs, il a balancé par la fenêtre la nuisette de sa dernière copine en hurlant qu’il en avait marre de se faire « sucer » par des incapables. Depuis cette soirée historique, la nuisette de la fille est restée accrochée dans l’arbre dont la branche, ainsi habillée, s’est transformée en première œuvre éphémère de l’immeuble…

 

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