L’aigle
Quand il lui avait dit, au creux des draps, qu’il pouvait se métamorphoser en aigle, Lise ne l’avait pas cru et elle avait eu tort.
Ils prenaient un petit déjeuner tardif sur la terrasse qui donnait plein sud, lui tout en noir, elle dans un déshabillé bleu ciel. Leur première nuit s’était passée entre gémissements et assoupissements. Elle ne se lassait pas de regarder ses yeux sombres soulignés de cernes bleus qui l’inquiétaient un peu. Mais elle aimait à se faire peur. Cette nuit-là, le sexe de cet homme avait su se plier à tous ses caprices. Elle se demandait combien de maîtresses il avait eues. Juste après l’amour, elle avait essayé de lui poser la question mais il avait esquivé la réponse.
- Les femmes ne se comptent pas, elles se dévorent toutes crues.
Maintenant, il l’observait en silence sur la terrasse inondée de soleil, son sourire énigmatique ne le quittait pas. Il finit par lui dire.
- Tu ne me croyais pas hier, pour l’aigle ?
- Je suis comme St Thomas, répondit-elle, je ne crois que ce que je vois.
- C’est étrange, les femmes ne me croient jamais avant. Après…
La menace qu’il laissa planer la mit soudain mal à l’aise, mais quand elle le regarda à nouveau, ses craintes se dissipèrent ; il avait l’air tellement serein.
Une semaine plus tard les parents de Lise déclarèrent sa disparition au poste de police le plus proche, mais l’enquête ne donna rien. L’homme chez qui elle avait passé la nuit fut interrogé, sa maison fouillée, sans résultat, si ce n’est trois plumes d’aigle, retrouvées sur la terrasse, qui furent versées au dossier.