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30 août 2018

Le maillot

 

-          Putain, t’as vu à quoi tu ressembles ?

J’étais nue dans la cabine d’essayage quand j’ai entendu la voix, on aurait dit ma mère, sauf qu’elle n’aurait pas dit « putain ». Je me suis rhabillée illico, j’ai laissé le maillot de bain noir à l’intérieur et je suis sortie en pleurs du magasin. Après je suis entrée dans la première boulangerie venue, j’ai acheté un pain au chocolat, un pain aux raisins, un chausson aux pommes, et j’ai tout bouffé : le stress.

Je suis complètement déglinguée ; mes hormones s’affolent, la graisse déborde, les plis s’accumulent. Je ressemble à un matelas pneumatique aux boudins mal dégonflés. Je me donne envie de vomir. Tiens, si je m’écoutais, je me dégueulerais sur le trottoir. Comment j’ai pu en arriver là ? Je crois que c’est à cause de lui. Quand il est parti j’ai bouffé, et voilà.

Il ne me supportait plus. Il faut dire que je le trouvais trop gros et que je ne me gênais pas pour le lui faire remarquer. Quand il ahanait sur moi au moment de l’amour, j’étouffais et j’avais l’impression que ça n’en finirait jamais. J’avais beau lui dire « Jean Pierre tu vas finir par y laisser ta peau ! ». Lui ne m’écoutait pas et continuait son affaire.

Un jour il en a eu marre et il m’a dit que je lui coupais tous ses effets. Au début, ça ne m’a pas gênée – il ne me faisait plus beaucoup d’effet  – mais après, il y a eu comme un vide.

Voilà, si je bouffe, c’est à cause du vide. Maintenant, il y a deux solutions : le régime ou le suicide...

 

 

28 août 2018

Souvenir

20180817_172731La boutique Vaudran, à droite et au coin de la rue, a été  photographiée cet été dans la rue du village qui était le mien, enfant et adolescente. Robert Vaudran, tel était le nom du boucher. Un homme farceur et bon vivant - mort bien sûr -  qui choyait les enfants et faisait rire les parents.
Un  séducteur, à sa façon. Je me suis toujours demandée comment il avait pu épouser la femme qui était la sienne, aussi ennuyeuse et bien-pensante qu'il était drôle et facétieux. Mais, qui sait comment ces choix se font ?
Tant de saucissons à l'ail mangés dans cette boutique, tant de fou-rires, tant de conversations d'adultes à voix hautes et tonitruantes.
Je m'aperçois, étrangement, que depuis ma triste chute  à vélo du 25 mai, les morts sont chez moi, de temps en temps.
Je n'ai pas peur d'eux, bien sûr, je me contente de leur rendre hommage, à ma façon. Je leur rappelle ces moments heureux que nous avons vécus, ces moments qui me semblent lointains mais si proches, si proches, et peut-être qu'un jour...

26 août 2018

Mère et fille

Mère et fille

 

Ce repas a signé  le début de la guerre des tranchés.

Juste après l’entrée, sa mère lui avait laissé entendre que  sa robe ne lui allait pas du tout. Elle lui avait répliqué vertement.

-           C’est l’hôpital qui se moque de la charité !

Le rire déplacé de sa mère l’a piquée au vif, sans parler de ce verre de vin qu’elle avait levé en répliquant, ironique.

-           A ton âge, ma petite fille, il faudrait peut-être que tu en finisses avec ta crise d’adolescence !

La phrase de trop. Elle a pris le temps de boire  son verre puis a asséné.

-           Et toi, à ton âge, il faudrait peut-être que tu arrêtes de séduire tout ce qui a un sexe d'homme entre les jambes !

La  tablée s’est immobilisée. Le père a fermé les yeux et Les femmes ont  regardé leur assiette alors que leurs époux respectifs faisaient de même. Seules mère et fille se mesuraient du regard, telles deux béliers prêts à s’encorner.

La mère a fini par rompre le silence d’une voix légèrement tremblante.

-           Ce serait trop bête de gâcher ce repas du jour de l’An pour une broutille. A ta santé ma petite fille.

Le repas a continué comme si de rien n’était, mais toutes deux savaient pertinemment  que rien ne serait jamais oublié.

 

24 août 2018

La créature

20150706_153834Mais que lui avait-elle trouvé à ce corps qui ne méritait nullement le nom de corps ? Certes, il  avait un visage au profil parfait, mais aucune voix, aucun son, aucun cerveau  ne vivait en ces lieux.

Impavide, cette créature devait sans doute apporter à chaque être qui la regardait la nourriture dont il avait besoin,  et que jamais il n’avait pu trouver en dehors de la quiétude de ces lieux…

 

PS : photo prise non loin de Bruxelles au jardin botanique de Meise

22 août 2018

Duo d'août

Voici notre nouveau Duo d'août avec Caro du blog " les heures de coton ".

Caro a choisi cette citation de Françoise Sagan - extraite de Bonjour tristesse -  que nous  pourrons utiliser comme bon nous semble:

"Il n'y a pas d'âge pour réapprendre à vivre. On dirait même qu'on ne fait que ça, toute sa vie. Repartir. Recommencer. Respirer à nouveau. Comme si on n'apprenait jamais rien de l'existence, sauf parfois, une caractéristique de soi-même."

 Lundi vous avez lu le texte de Caro, aujourd'hui voici le mien.

 

                                                                 ______________________________

 

Un cerveau, sinon rien

 

- Il n'y a pas d'âge pour réapprendre à vivre, lui avait-il dit aimable.

A ce moment précis, elle avait eu envie de le faire passer de vie à trépas, désinhibition oblige. Néanmoins, comme il devait avoir le même âge qu’elle, elle lui avait rendu son sourire et avait répondu.

- Repartir, recommencer, comme le disait Françoise Sagan.

- Mais oui, c’est ça. Je n’ai jamais lu de livres de Françoise Sagan. Je dois dire que je lis peu de romans, voire pas du tout.  

Elle l’écoutait avec attention et se disait que certaines professions donnaient à la vie un bien étrange chemin.

Elle sortit de la consultation le cœur triste ; l’état de son cerveau la déprimait. N’était-il pas en train de battre  la chamade, contrairement à ce que le neurologue affirmait.

Le soleil donnait à la ville des lueurs d’été et les goélands poursuivaient leurs vols bruyants   dans des rues dont elle avait oublié le nom. Pourquoi son lobe frontal avait-il décidé que nommer, renommer, mémoriser, concentrer nécessitaient de si longues semaines de remise à niveau ? Lui en voulait-il ?

En passant devant la cathédrale, elle entendit une voix étrange  - celle d'un homme - répéter en boucle : " On n'apprécie jamais rien de l'existence. On n'apprécie jamais rien de l'existence. On n'apprécie jamais rien de l'existence..."

Elle s'approcha de lui. Il tenait dans ses mains un carnet où une seule ligne semblait écrite.

-  Il me semble, lui dit-elle, que Françoise Sagan disait plutôt qu’on n’apprenait jamais rien de l'existence.

- Françoise Sagan ? Je l'ai jamais lue et je la lirai jamais. Ce livre n’est pas le sien, c’est  le mien.

- Un livre bien maigre, non ? Lui dit-elle.

Et elle ajouta aussitôt.

-  Excusez-moi. Il vaut mieux se taire que dire n’importe quoi.

Elle s’éloigna à grandes enjambées mais c'était sans compter sur l’obstination du jeune homme.

- Il vaut mieux se taire, il vaut mieux se taire, drôle d'idée, pourquoi se taire ?

Elle n'avait aucune envie de lui parler - son visage long et glabre ne l'inspirait aucunement - mais il continua à la suivre. Agacée par son insistance elle ajouta.

-          J’ai mal à la tête et ce que vous dites, ça me donne encore plus mal à la tête.

-          Mal à la tête, mal à la tête ? Désolée. C’est vrai que je répète des choses qui donnent mal à la tête à tout le monde, mais moi ça me donne le moral.

Elle l’observa un instant. Ce type avait quelque chose d’anormal qui paraissait l’éloigner du monde. Elle lui dit, d’une voix qu’elle jugea bizarre.

-          Se donner le moral, c’est bien. Continuer à écrire, c’est bien aussi. Au revoir.

Soudain les goélands prirent possession de la ville et leur vol inquiétant donna à la cathédrale un air d’opéra funèbre.

Le jeune homme conclut.

-          On dirait que vous avez un drôle de cerveau, vous. Criez donc comme les goélands, ça vous fera du bien.

Elle sourit et lui fit un signe de la main avant de partir vers la Seine. Le long du fleuve, elle savait qu’elle pourrait marcher loin du monde et de son cerveau.

 

 

20 août 2018

Duo d'août

Voici notre nouveau Duo d'août avec Caro du blog " les heures de coton ".

Caro a choisi cette citation de Françoise Sagan - extraite de Bonjour tristesse -  que nous  pourrons utiliser comme bon nous semble:

"Il n'y a pas d'âge pour réapprendre à vivre. On dirait même qu'on ne fait que ça, toute sa vie. Repartir. Recommencer. Respirer à nouveau. Comme si on n'apprenait jamais rien de l'existence, sauf parfois, une caractéristique de soi-même."

 Aujourd'hui, voici le texte de Caro, le mien sera publié le 22 aout.

 

                                                      _____________________________________________

 

Fin de partie

Il est assez moche ce café, le genre vintage défraîchi. Pas érigé en style assumé comme dans certains quartiers de Paris. Non ici ça penche plutôt vers le vieillot. Parce que l’on n’a pas jugé bon de changer les tables en formica et les chaises rouge orangé. Ou parce qu’il n’y avait pas assez d’argent et que payer l’étudiant qui fait office de serveur le soir, au black, c’est déjà raide.

J’ai choisi le coin qui donne sur le trottoir ou plutôt ce qui fait office de terrasse avec vue directe sur la rue. Heureusement c’est août, année de canicule. La ville compte ses touristes puisque ses habitants se sont exilés derrière leurs volets clos ou sur une plage brûlante, la mer toute proche.

Je pose devant moi le bristol avec l’adresse et l’heure du rendez-vous. Au dos une citation de Sagan recopiée à l’encre bleue « Il n'y a pas d'âge pour réapprendre à vivre. On dirait même qu'on ne fait que ça toute sa vie : repartir, recommencer, respirer à nouveau. Comme si on n'apprenait jamais rien sur l'existence, sauf parfois une caractéristique de soi-même, une endurance, une vaillance, une légèreté, quand ce n'est pas une impuissance, une lâcheté. »

J’avais trouvé l’invitation dans ma boîte aux lettres le lendemain du 15 août. C’était lui bien sûr, quinze ans sans se voir, sans la moindre nouvelle d’ailleurs. Sans même un écho sur les réseaux sociaux. Même pas une fausse rumeur chez d’anciennes connaissances communes.

Comment avait-il pu avoir mon adresse…

Je commande une limonade. Je m’étonne de la présence d’un portrait à la sanguine d’une enfant avec un gros nœud dans les cheveux. Croyait-on vraiment amadouer avec cette mièvrerie les gamines de l’institution Sainte-Solange toute proche ? Qu’elles viendraient en joyeuses bandes déguster leurs sodas dans une pénombre bon marché ? Pourquoi pas puisque certain y invite le passé.

Il sera là dans quelques minutes. Nous nous sommes aimés, de loin, sur la pointe des pieds, comme un interdit. Du bout des yeux et à pleins cœurs. Une étrange danse, d’amitié et de passion retenue, de non-dits, de mots absents.

Pendant nos pauses-déjeuner au boulot, nous jouions aux échecs ; nous avons ensuite fréquenté le même club, avons participé à bon nombre de tournois de plus en plus éloignés. Le soir, dans ces villes dont nous ne connaîtrions que les hôtels F1 et les salles des fêtes, nous faussions compagnie à nos camarades de chambrée et parlions des heures. Se frôler sans se mettre en danger. Se faire mal. S’écorcher le cœur.

Finalement, nous n’étions que deux pions noir et blanc sur nos échiquiers respectifs. Quelques coups donnés par nos vies professionnelles et la fin de partie devint évidente. Un lundi, il me prévint qu’il allait quitter la ville ; sa copine le suivait. Je ne regimbai pas, cela aurait pu être moi. Ensuite, il connut le sort réservé à ceux qui partent : un oubli rapide. A une exception près ; nous pouvions nous quitter, nous ne pourrions arracher à nos vies ce qui nous liait. C’est avec ces paroles que je le laissai partir.

Il est là devant moi. Il s’assoit, commande. Evidemment, nous avons changé, physiquement en tout cas. Je me moque gentiment, alors qu’il se penche pour m’embrasser : « C’est pas un peu ado, d’envoyer à de vieilles copines des citations comme ouverture ! » Son visage s’approche du mien. Il porte encore ce parfum avec ce soupçon d’essence de citron que j’ai toujours aimé. Je lui en fais la remarque, il acquiesce. Nous rions et cette légèreté transparente que nous n’avions jamais connue me désarçonne.

Il pousse sa tasse et ouvre devant moi un échiquier de voyage. « Tu joues toujours ? » Je secoue la tête. Les échecs, c’était nous. C’était repenser à lui et mesurer ce que nous nous étions interdit. Impossible. « Tant mieux, parce que j’ai potassé tous nos classiques. J’ai vu ce que j’avais raté, par lâcheté. Je me croyais un héros romantique ! Je n’étais que stupide. »

Il cherche un instant ses mots comme s’il allait prononcer un serment scellé dans le sang. Le symbolisme pointe le bout de son nez. Sa voix enjouée se fait presque grave. « Les blancs sont pour toi. Mais je te préviens, aujourd’hui je viens reprendre ma dame. Parce que, dans la réalité, il n’y a qu’une seule partie, une seule chance, et qu’il faut savoir bien la jouer. » Nous plaçons nos pièces sur les cases noires et blanches. Je me concentre quelques minutes. Je me rappelle vaguement l’ouverture anglaise. Je pose le pion blanc ; la fin de partie me semble évidente.

637 mots

18 août 2018

Le bulletin

Il était entré sans faire de bruit, mais son père l’avait entendu et il allait devoir lui parler du bulletin.

-          Alors, tes notes ?

-          Tiens, dit le presque adolescent, puis il  s'éloigna ; l’instinct de survie.

Après avoir parcouru le bulletin, son père manqua de s’étouffer.

- Tu te fous de moi ?  

Le fils préféra se taire. Soudain, le père froissa le bulletin, se  préciipita vers l'enfant, ouvrit sa bouche  et lui fourra le bulletin à l’intérieur en hurlant.

-          Et maintenant tu vas me le bouffer ton   bulletin de merde ! Depuis le temps que je te dis de bosser et que tu fous rien !

L’enfant se débattait, mais la main de fer du père l’enserrait. Celui-ci continuait à hurler.

-          Tu veux en chier toute ta vie avec un travail de merde comme le mien, c’est ça que tu veux ?

L’enfant était au bord de l’apoplexie.

Son père finit par le relâcher. Il lui mit un coup de pied aux fesses et lui dit d’aller dans sa chambre avant qu’il ne le massacre.

Une fois l’enfant parti, le père sanglota sur le canapé. Pourquoi la vie ne l’épargnait-elle pas ? Pourquoi son fils refusait-il de travailler ? Pourquoi s'obliger à vivre dans ce monde sans pitié ?

16 août 2018

Le couple

20170323_113019Elle avait gardé sa robe de mariée, mais pas son poids : 57 kilos trente-cinq ans plus tôt, 75 kilos trente-cinq ans plus tard.

La vie n’épargnait personne, et surtout pas elle.

Sa vie de couple l’avait épuisée, pourtant elle n’avait pas eu d’enfants. Dommage, peut-être lui auraient-ils permis de comprendre pourquoi elle était restée avec son mari jusqu’à ce qu’il meure.

Souvent, elle avait l'habitude de dire à son amie d'enfance.

- Maintenant qu’il est mort, je vais enfin pouvoir  vivre !

Et elle n'avait pas tort. Depuis son enterrement, sa vie prenait un nouveau cap, si nouveau d'ailleurs que les mauvaises langues du village laissaient entendre que cette mort soudaine leur paraissait bien étrange.

Sans doute avaient-ils raison, mais qui aurait pu imaginer comment il était mort ?

14 août 2018

Madona

« Accrochez-vous les gars !»  Quand Gérard commençait ses phrases comme ça, ça voulait dire qu’il nous raconterait un gros craque et là, franchement, il n’y était pas allé de main morte !

Les langues allaient déjà bon train au bar PMU.

-           Allez, arrête de déconner Gérard ! S’énervait Jean Luc.

Mais Gérard était intarissable.

-           Je te dis que Madonna,  quand elle m’a vu, elle m’a dit  «  Baise-moi Gérard ! »

-           Mais comment elle savait que tu t’appelais Gérard ? Risqua Marcel.

-           Et puis elle cause pas français Madonna, répliqua Momo.

Gérard n’avait pas un physique de jeune premier. L’âge, la couperose, une bedaine comme un ballon de foot, un crâne dégarni et une femme qui était partie avec l’avant-centre de l’équipe réserve du Paris St Germain l’avaient fait vieillir prématurément.

-           Putain les mecs, si je vous dis que j’ai baisé Madonna, c’est que j’ai baisé Madonna, merde !

-           Putain Gérard, t’as pas dû lui faire grand-chose à Madonna avec la forme que tu tiens !

Gérard sortit de ses gonds.

-           Madonna je l’ai baisée comme t’as jamais baisé ta femme, connard ! Et ils l’ont entendue crier jusqu’à New York. Elle disait « Vas-y Gérard, vas-y, encore Gérard, encore ! »

-           Et tout ça en Français ? Coupa Momo.

-           Momo tu fais chier, c’est la jalousie qui te fait parler. D’ailleurs, la preuve !

Et Gérard exhuma  de la poche de devant de sa salopette bleue une vieille photo de Madonna où il avait tracé d’une écriture maladroite.

« A Gérard,  souvenire d’une nuit d’amour, ta Madonna »

La photo circula de main en main. Soudain on entendit la voix de Momo.

-           Souvenir sans E à la fin Gérard ! Tu le diras à Madonna.

Tout le comptoir éclata de rire, sauf Gérard qui  leur envoya une salve de grossieretés. 

Et, avant de partir, il envoya un coup de poing au pauvre Momo qui continuait à rire. C'est lui qui paya pour les autres, lui seul, il faut dire que Momo avait tendance à le faire passer pour un imbécile et ça, Gérard ne le supportait pas.

7 août 2018

So what ?

 

 

J'avais atterri dans ce bar parce qu’il fallait que je m’égoutte. la pluie n’en finissait pas de battre le pavé parisien.

Je n'aimais pas le Jazz, en tout cas pas celui qui se jouait là, mais au moins j’étais à l’abri.

La petite salle exhalait une vague odeur de transpiration et  les gens saluaient les improvisations des musiciens en sirotant leurs verres. L’homme à côté de moi, un américain aux dents blanches, n'arrêtait pas de ponctuer les phrases qu’il adressait à son voisin de " So what ? (1) " et son souffle chargé d'alcool m’arrivait par vagues.

Je n'avais jamais aimé les Américains, peut-être parce que je croyais qu’ils affichaient sur leur visage le masque des conquérants. A un moment, le type s’est aperçu de ma présence et m’a glissé d’un air entendu.

-          Vous  entendre l’accord so special ?

J’ai  hoché la tête, sans doute par politesse, et j’ai senti le  battement de son pied contre le mien. Dehors la pluie continuait sa lessive de printemps et le saxo jouait comme si le monde n’existait plus. L’Américain s’est approché de moi et  m’a chuchoté d’une voix de contrebasse.

-          So what ?

Comme je ne répondais pas il a ajouté.

- Vous, moi, Paris, la pluie, le clavier des corps…

J’ai répété bêtement «  Le clavier des corps » et l’homme m’a souri. Ce type avait du vocabulaire, un poète peut-être, mais cela suffisait-il ?  J’ai commandé un deuxième whisky et il a éclaté de rire  en disant.

-          Good ! The more you drink, the more you feel in the mood  ! (2)

Il n’avait pas tort. Quand nous sommes partis en taxi, une heure plus tard, je lui trouvais presque du charme. Et quand il a fredonné au creux de mon oreille un blues que je ne connaissais pas alors que la pluie martelait la fenêtre de sa chambre d’hôtel,  j’ai collé mon corps contre le sien et je lui ai dit.

-          So what ?

 

 (1) Et alors ?

(2) Parfait ! Plus vous buvez, plus vous êtes dans l'ambiance

 

PS : Prochain texte le 14 août, en principe... So what ?

 

 

 

 

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