Voici notre nouveau Duo d'août avec Caro du blog " les heures de coton ".
Caro a choisi cette citation de Françoise Sagan - extraite de Bonjour tristesse - que nous pourrons utiliser comme bon nous semble:
"Il n'y a pas d'âge pour réapprendre à vivre. On dirait même qu'on ne fait que ça, toute sa vie. Repartir. Recommencer. Respirer à nouveau. Comme si on n'apprenait jamais rien de l'existence, sauf parfois, une caractéristique de soi-même."
Lundi vous avez lu le texte de Caro, aujourd'hui voici le mien.
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Un cerveau, sinon rien
- Il n'y a pas d'âge pour réapprendre à vivre, lui avait-il dit aimable.
A ce moment précis, elle avait eu envie de le faire passer de vie à trépas, désinhibition oblige. Néanmoins, comme il devait avoir le même âge qu’elle, elle lui avait rendu son sourire et avait répondu.
- Repartir, recommencer, comme le disait Françoise Sagan.
- Mais oui, c’est ça. Je n’ai jamais lu de livres de Françoise Sagan. Je dois dire que je lis peu de romans, voire pas du tout.
Elle l’écoutait avec attention et se disait que certaines professions donnaient à la vie un bien étrange chemin.
Elle sortit de la consultation le cœur triste ; l’état de son cerveau la déprimait. N’était-il pas en train de battre la chamade, contrairement à ce que le neurologue affirmait.
Le soleil donnait à la ville des lueurs d’été et les goélands poursuivaient leurs vols bruyants dans des rues dont elle avait oublié le nom. Pourquoi son lobe frontal avait-il décidé que nommer, renommer, mémoriser, concentrer nécessitaient de si longues semaines de remise à niveau ? Lui en voulait-il ?
En passant devant la cathédrale, elle entendit une voix étrange - celle d'un homme - répéter en boucle : " On n'apprécie jamais rien de l'existence. On n'apprécie jamais rien de l'existence. On n'apprécie jamais rien de l'existence..."
Elle s'approcha de lui. Il tenait dans ses mains un carnet où une seule ligne semblait écrite.
- Il me semble, lui dit-elle, que Françoise Sagan disait plutôt qu’on n’apprenait jamais rien de l'existence.
- Françoise Sagan ? Je l'ai jamais lue et je la lirai jamais. Ce livre n’est pas le sien, c’est le mien.
- Un livre bien maigre, non ? Lui dit-elle.
Et elle ajouta aussitôt.
- Excusez-moi. Il vaut mieux se taire que dire n’importe quoi.
Elle s’éloigna à grandes enjambées mais c'était sans compter sur l’obstination du jeune homme.
- Il vaut mieux se taire, il vaut mieux se taire, drôle d'idée, pourquoi se taire ?
Elle n'avait aucune envie de lui parler - son visage long et glabre ne l'inspirait aucunement - mais il continua à la suivre. Agacée par son insistance elle ajouta.
- J’ai mal à la tête et ce que vous dites, ça me donne encore plus mal à la tête.
- Mal à la tête, mal à la tête ? Désolée. C’est vrai que je répète des choses qui donnent mal à la tête à tout le monde, mais moi ça me donne le moral.
Elle l’observa un instant. Ce type avait quelque chose d’anormal qui paraissait l’éloigner du monde. Elle lui dit, d’une voix qu’elle jugea bizarre.
- Se donner le moral, c’est bien. Continuer à écrire, c’est bien aussi. Au revoir.
Soudain les goélands prirent possession de la ville et leur vol inquiétant donna à la cathédrale un air d’opéra funèbre.
Le jeune homme conclut.
- On dirait que vous avez un drôle de cerveau, vous. Criez donc comme les goélands, ça vous fera du bien.
Elle sourit et lui fit un signe de la main avant de partir vers la Seine. Le long du fleuve, elle savait qu’elle pourrait marcher loin du monde et de son cerveau.