La photo de groupe
On était le 31 décembre, sur les hauteurs de Florence. Il faisait beau. Le photographe tentait, en vain, de nous faire tenir tranquille, mais pas moyen. Les jeunes riaient et les plus âgés pépiaient à qui mieux mieux.
Le photographe, monté sur un escabeau, dut faire preuve d’autorité.
- On fait une place aux retardataires et surtout on ne bouge plus d’un poil !
C’était sans compter sur la mauvaise volonté d’Angelo qui, revenu après avoir assouvi une envie pressante, a raconté une blague salace, et de Marta qui n’a rien trouvé de mieux à faire que de lancer une pique à Antonia qu’elle détestait de longue date. La photo a été prise juste avant qu’Antonia ne décide de répliquer.
La famille avait le sang chaud et deux secondes plus tard, les quatre rangées se sont transformées en deux groupes rivaux, les uns prenant le partie de Marta, les autres d’Antonia. Quant au photographe, il est parti en courant avec son escabeau sous le bras.
C'était il y a quarante ans. De ce groupe, seuls sont vivants ceux de la première rangée dont je faisais partie. Les autres sont morts les uns après les autres, de leur belle mort ou de maladies qui ont précipité leur entrée au paradis.
Parce que je suis sûre qu’ils sont tous au paradis, même Marta, cette peste qui ne pouvait voir une belle femme sans en être immédiatement jalouse.
Bientôt ce sera mon tour de mourir, bientôt, et cette sérénité avec laquelle je pensais aborder le passage des soixante ans, a disparu aussi vite que des pétales de fleurs de cerisier emportés par le vent.
Comment accepter de n’être plus ?
PS : photo prise à Florence il y a au moins 10 ans...