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21 décembre 2017

Duo de décembre

Pour ce Duo de décembre, deux accroches, l'une étant le baise-en-ville, la deuxième étant ce site

Après le texte de Caro, voici le mien.

 

Confusion

 

On était le 5 janvier et l’année commençait bien mal.

Dans l’entrée, posés sur le guéridon, son sac d’écrivain  et son kit de survie, qu’elle répugnait à appeler baise-en-ville.

-          Tu vas chez ton éditeur ou à l’hôpital ? a-t-elle demandé à son mari.

Il a continué ses préparatifs sans lui  prêter la moindre attention.

Entre eux, les problèmes avaient commencé deux mois plus tôt. Au départ, rien de grave, mais ses distractions fréquentes et son regard absent l’avaient conduite à vouloir mener une enquête ; ce n’était pas pour rien qu’elle était commissaire dans le dixième arrondissement de Paris.

Elle avait d’abord demandé l’aide d’une adjointe à qui elle avait autrefois rendu de menus services, notamment quand il s’était agi de filer en douce  son mari, un infidèle notoire.

Au cours de ses investigations, son adjointe avait noté les choses suivantes : les rendez-vous de son mari chez son éditeur mais aussi – et elle le lui avait  annoncé avec un certain trouble -  des visites quotidiennes à l’hôpital Sainte Anne.

-          Mais il y fait quoi ? avait-elle demandé, surprise.

-          Je ne sais pas, je ne peux pas t’en dire plus.

Elle avait fini par prendre  elle-même les choses en main.

A Sainte Anne, son mari errait d’abord dans les jardins, puis il entrait dans le pavillon du secteur 16, un secteur inaccessible aux personnes qui ne montraient pas patte blanche.

Elle avait essayé de le questionner habilement pour faire avancer l’enquête, mais rien ; à chaque conversation, c’était comme si un écran se dressait entre elle et lui.

Le 21 décembre, lors de leur dîner d’anniversaire de mariage, il lui avait glissé qu’il s’inquiétait pour sa santé ; il trouvait qu’elle avait mauvaise mine. Ne devrait-elle pas prendre rendez-vous chez le médecin ? Ne devrait-elle pas travailler moins ? Elle se demandait s’il n’avait pas découvert le pot aux roses.

Ce même soir ils avaient fait deux fois l’amour et, sa quasi-obsession  à être à l'écoute de  ses moindres sensations physiques  lui avait semblé étrange. Non, ce n’était décidément plus le même homme. Avant, il n’aurait jamais mis un point d'honneur à la faire jouir. Elle avait d'ailleurs failli le remercier, mais elle s’était retenue.

Le lendemain de cette nuit particulière, il lui avait apporté des fleurs.

-          Pour toi, avait-il dit simplement alors qu’il ne lui avait jamais encore offert un seul bouquet depuis cinq ans qu’ils étaient mariés.

Elle avait placé les roses rouges dans un vase blanc dont il lui avait fait cadeau deux ans auparavant.

-          Il est beau ce vase, avait-il dit.

-          C’est toi qui me l’as offert, mais jamais tu ne m’avais offert de fleurs. Oubli réparé, merci.

-          Ah bon ? Je ne m'en souvenais même plus.

Son air absent et ses yeux fixes  l’avaient troublée, mais ce qu’elle avait découvert par la suite l’avait conduite à prendre conseil auprès d’une amie psychologue clinicienne.

Donc, ce cinq janvier, alors qu’il était sur le seuil de la maison, prêt à partir avec son sac d’écrivain et son baise-en-ville, elle s’est décidée à parler.

-          Je sais tout.

-          Tout quoi ? a-t-il demandé calmement.

-          Je sais que tu n’es pas qui tu dis être.

Il l’a fixé intensément et lui a rétorqué.

-          Et toi ? Tu sais qui tu es ?

-          Oui, a-t-elle affirmé, moi je sais, mais pas toi.

-          Tu es bien présomptueuse, a-t-il asséné, et il est sorti sans plus se soucier d’elle.

Deux heures plus tard, dans la chambre 105 du secteur 16 de l’hôpital Sainte Anne, elle ne fut pas reçue à bras ouverts. Sans doute est-ce compréhensible ; un être humain peut-il facilement admettre qu’il vit dans le mensonge ?

Aujourd’hui encore, son mari se refuse à lui expliquer pourquoi  il a demandé à son frère jumeau – dont il lui avait caché l’existence – de se faire passer pour lui. Quant à son frère jumeau, cette expérience l’a perturbé au point que le psychiatre a dû doubler sa dose de neuroleptiques.

Maintenant, les deux frères sont à Sainte Anne, l’un dans la chambre 105, l’autre dans la chambre 106. Quant à elle, lors de ses visites mensuelles, elle veille à passer autant de temps avec l’un qu'avec l’autre et ce, pour une raison très simple : ils sont à ce point semblables  qu' elle se demande toujours qui est qui.

 

 

Commentaires
K
Si je suis toi et tu es moi, <br /> <br /> je suis donc moi et tu es toi.<br /> <br /> Si tu es toi et moi, tu es nous<br /> <br /> Et si je suis moi et je suis nous <br /> <br /> Si je suis nous, qui es-tu ?<br /> <br /> Qu’en pensons-nous ?<br /> <br /> dit-il (mais …) lequel ? <br /> <br /> Demande-lui à elle.
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E
Pour le moins, troublant ... ils avaient donc aussi le même baise-en-ville ?
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D
Moi je trouve qu'ils auraient au moins pu être dans la même chambre! :-)) Bises alpines. P.S. J'aime bien cette écriture qui laisse planer le suspens jusqu'à la fin! Belle journée!
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P
En moins sordide ça me rappelle ce film https://www.youtube.com/watch?v=E22aP1-mihI Ah la vie de "couple"..... ;)
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D
La gémellité est toujours littéraire (on repense à Michel Tournier), et la chambre 105 si proche de la 106...
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