Duo d'avril
En cette fin d'avril, Caro et moi-même vous proposons un nouveau duo à partir de la photo de Starkey Hannah ( March 1997 ). Avant-hier, vous avez pu lire le texte de Caro. Aujourd'hui, voici le mien.
Eve et Juliette
Quand je me suis installée dans le métro, j’ai eu un choc : les mêmes clientes que celles du magasin où j’avais acheté ce chemisier que je regrettais déjà d’avoir payé si cher.
La scène à laquelle j’avais assisté dans la boutique valait son pesant d’or. Une scène typique entre mère et fille. D’ailleurs, avec la tête qu’elles tiraient, il était évident que rien n’était oublié, et que rien, peut-être, ne serait jamais oublié.
La jeune fille – appelons-la Juliette – était devant la glace dans une robe moulante, rouge et blanche et se regardait sous toutes les coutures. La mère – appelons-la Eve – s’est retenue de parler pendant trente secondes, mais à la trente et unième tout est sorti, sans emballage.
- C’est moche !
- Ah bon, tu trouves ? répondit Juliette.
- C’est même très moche. Tu es trop enveloppée pour mettre ça !
- Tu voudrais que je sois maigre, comme toi ?
- Il ne s’agit pas de moi mais de toi. Tu es ridicule là-dedans ! Enlève-moi ça tout de suite et essaie l’autre !
Juliette s’est exécutée, silencieuse. Elle est ressortie de la cabine d’essayage dans une robe bleue, classique, qui cachait soigneusement ses formes.
- J’aime pas !
- Je m’y attendais, a enchaîné sa mère, il suffit que j’aime pour que tu n’aimes pas.
- Forcément ça m’enlaidit ! On dirait que tu aimes les trucs qui me rendent moche.
- Tu dis n’importe quoi ! Cette robe bleue, c’est quand même mieux pour un mariage que cette robe rouge et blanche qui te donne l’air d’une...
- D’une pute ? C’est ça ? a renchéri Juliette de façon agressive.
- On prend la bleue, c’est décidé, ça ira très bien avec ta veste noire.
Juliette a hésité un instant puis elle a ajouté sèchement.
- Ça m’étonne pas que papa t’ait quittée et soit jamais revenu !
Eve lui a tourné le dos et s’est dirigée vers la caisse. Quant à moi, je suis partie de mon poste d’observation et j’ai réglé mon chemisier à une autre caisse.
Maintenant elles sont là, en face de moi, et je repense à ma mère et à nos disputes qui n’ont cessé qu’avec sa mort.