Le banc
Tous les jours il était installé au même endroit, face à la mer. Que faisait-il ? Lisait-il ? Pensait-il ? Peut-être se forçait-il à voir l’éternité ?
Elle attendit un mois avant de lui adresser la parole. Le mieux, s’asseoir à côté de lui.
Ce jeudi après-midi, à 17 heures, elle prit place sur le banc. Il l’ignora superbement. Elle sortit un livre de son sac et se mit à lire ou faire semblant. Rien. Elle ferma son livre et le bruit sec le fit tressaillir, mais point de visage tourné vers elle. Elle allait s’apprêter à parler quand elle entendit une voix gutturale.
- Ne perdez pas votre temps, je n’existe pas.
- Pardon ?
- Oui, je suis là mais je ne suis pas là. Je suis le vent qui passe, l’embrun qui dépose une larme de sel et disparaît aussitôt.
- Vous permettez que je note ce que vous venez de dire.
- Je vous en prie. Rien ne m’appartient.
L’homme ne s’était toujours pas tourné vers elle et elle n’osait regarder son profil. Elle achevait de noter sa phrase quand il continua.
- Aussi surprenant que cela puisse vous paraître, je sais qui vous êtes. Vous êtes celle qui attend au lieu de marcher.
- Et d’où me connaissez-vous ?
- D’ici. Je sens les choses. Ça fait un mois que vous m’observez. Maintenant partez, je dois méditer et vous m’en empêchez. Si j’avais un conseil à vous donner, chose que je fais rarement car cela m’épuise, je vous dirais de rompre.
- Rompre ?
- Oui, avec ce quotidien qui vous engloutit.
Elle se tourna vers lui, mais son profil disparut aussitôt, ne laissant qu’un corps aux contours indécis. La promenade était déserte et le ciel immobile semblait avaler la mer. Soudain, elle prit peur et s’envola pour se retrouver sur le port, là où les touristes, étranges oiseaux de passage, donnent à la vie l’allure d’un paysage inachevé.
PS : photo prise à Dieppe en 2017