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6 août 2016

Maman

Aujourd’hui maman est morte* et je suis soulagée. Maman s’est suicidée en se jetant du troisième étage. Bizarre, parce que maman était parfaite. Papa, lui, dit que maman est tombée en faisant les carreaux. Papa a toujours vu la vie comme ça l’arrangeait. Comment peut-il croire que maman faisait les carreaux ? Elle  détestait les faire ! Inutile de discuter avec papa, papa préfère voir maman comme elle n’était pas.

J’ai toujours cru que maman avait droit de vie ou de mort sur moi, mais ce n’est pas moi qui suis morte, c’est elle. Quand j’étais petite, les bras de maman me faisaient peur. Quand ils m’entouraient, je croyais qu’ils allaient m’étouffer. Tout le monde disait que nous nous entendions tellement bien ! Moi aussi je l’ai longtemps cru. Pourtant je peux dire aujourd’hui que maman était mon bourreau.

Depuis un an, maman commençait à avoir des doutes. Ils sont arrivés sur la pointe des pieds et avec les mois, ils ont tissé leur cocon de deuil. Il y a une semaine, maman m’a dit avec force : « Tu dois vivre ta vie ! ». Je l’ai regardée à deux fois, mais elle ne m’a rien dit d’autre.

Aujourd’hui je descends les escaliers, ma valise à la main, je passe le seuil de la porte et je ne regarde pas derrière moi. Papa doit m’observer derrière le rideau de la fenêtre de sa chambre, peut-être qu’il pleure, qui sait ?

Aujourd’hui maman est morte et c’est mon anniversaire : j’ai vingt ans.

 

*première phrase de l’Etranger de Camus.

4 août 2016

Duo d'août

Voici mon texte pour ce duo :

 

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Le magicien

 

On lui avait parlé du magasin de mots dans le  rêve qu'elle avait fait la veille : elle discutait avec un ami sur un canapé «  toi et moi » rose et, quand  minuit avait sonné, il lui avait dit.

-          C’est un endroit pour toi. tu verras. Je t’assure que dans ce magasin, ils ont des trucs incroyables : des boîtes à transformer les chagrins, des sacs à soucis, des mots pour avoir la foi, pour rêver… Cours-y vite

Elle se souvint d’avoir souri à la naïveté de ses propos ; comme si les mots pouvaient transformer la grisaille de la dépression en prairies noyées de soleil !

Au réveil, elle avait tout de même cherché sur internet et elle l’avait trouvé. Le magasin existait bel et bien, à Nancy, non loin de la rue « mon désert », là où elle habitait. Comment pouvait-elle ne l’avoir jamais vu ? Sans doute regardait-elle les choses et les êtres aussi distraitement que les objets qu’elle époussetait une fois par mois.

Quand elle poussa la porte du magasin, un son joyeux se fit entendre. Personne à l’intérieur. Elle observa la décoration : des tiroirs aux minuscules inscriptions, des sachets dorés et argentés, des lumières tendres, et des cartes postales aux dessins  naïfs. Elle inspecta tous les tiroirs, les uns après les autres et c’est à ce moment que le «  Magicien des mots » apparut dans son habit rouge et or. A la main, il tenait un miroir ovale qu’il plaça devant elle.

-          Miroir mon beau miroir à mots… lui dit-il en guise d’introduction.

-          Je n’aime pas les miroirs.

-          Vous avez bien tort, gentille madame, les miroirs à mots reflètent notre âme.

-          Mon âme est noire comme le charbon.

-          Détrompez-vous, et en matière d’âmes, je m’y connais. Vous avez juste l'âme un peu grise, comme tous ceux que l’on a abandonnés. Voulez-vous une pépite de rêve directement importée de votre enfance ou un mot magique qui vous fera obtenir tout ce que vous voulez ?

-          Un mot magique.

Il lui tendit la boîte et lui demanda de prendre un mot  au hasard.

-          Alors ?

-           « Les beaux mots cœur »

-          Soufflez sur le mot et donnez-le-moi.

Il prit le mot que son souffle avait bercé,  il le plaça sur son cœur puis sur celui de la jeune femme. Elle sentit une onde de chaleur sur sa peau glacée. Ensuite,  il mit le miroir à mots devant elle mais cette fois,  elle ne protesta pas.

-          Alors ?

-          Je ne me reconnais pas.

-          C’est bien ce que je pensais. Qui croit se connaître ne se connait pas. Saviez-vous que  les mots  tissent des étoffes pour guérir nos blessures ?

Elle resta silencieuse.

Avant son départ, il lui donna une petite boîte entourée d'un ruban bleu.

-          Un cadeau à n’ouvrir qu’en arrivant chez vous. Au revoir petite madame.

Une fois chez elle, la précieuse boîte fut ouverte et ce qu’elle lut au cœur du tissu de soie rouge la fit pleurer : « graine d’estime de toi : pour te permettre de faire grandir ce qu’il y a de beau en toi. »

 

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2 août 2016

Duo d'août

Nouveau Duo avec Corinne du blog  les heures de coton.

 

 Les photos suivantes ont été prises à Nancy dans ce magasin des mots où l'accueil est fort chaleureux. L'idée était d' écrire un texte inspiré de cette boutique où je vous conseille d'aller faire quelques emplètes... Vous y trouverez certainement votre bonheur.

Aujourd'hui vous pouvez lire le texte de Corinne, le mien sera publié  jeudi 4 août.

 

 

 

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Gabi et les mots

Elle hésite puis finalement cède. Rester dans l’appartement l’oppresse, attraper le téléphone la paralyse, évoquer à demi-mot ce qu’elle ressent l’angoisse.

La porte se referme sur elle. Gabi marche dans la ville qui lui a été longtemps familière. Aujourd’hui, elle se cogne à tous ses angles, ne reconnaît plus les rues, les maisons, les immeubles. Elle en est étrangère.

Elle se rappelle avoir aimé s’asseoir dans un troquet, y épier quelques visages. Elle finissait par demander un deuxième café, allongé avec un sucre, et sortait un livre de son sac. Elle plongeait dans les pages encrées, réécoutait parfois les sons d’un mot, s’attardant sur la dureté, la drôlerie ou le satin d’un autre.

Gabi savait alors que les lettres accolées les unes aux autres étaient ses amis. Les mots avaient si souvent éloigné ses solitudes et ses peines, apaisé ses interrogations. Ils l’avaient fait rire et réfléchir, ils l’avaient rapprochée des autres, elle la si réservée. Cette Gabi de ce qui est dit et des cafés aimait parler aussi, et écrire, des lettres surtout, des mails, des phrases, des petits billets. Elle n’avait jamais pensé que ce qui était pour elle l’ordre des choses puisse disparaître.

Mais cela a disparu, insidieusement. À coup de soirs, où l’on s’endort sur un livre, à coup de conversations où tout se répète, à coup de colères après lesquelles on se tait, réduisant les paroles en miettes. Les coups, et l’usure, lente, tenace qui s’est collée à elle, comme une vieille maladie.

Gabi n’a plus le goût des mots, elle se sent vide et faible. Aucun docteur ne peut la guérir ; exit les pilules magiques. Pas plus un dictionnaire qu’une poésie n’a d’effet sur elle. Gabi s’est recroquevillée sans que ses filles et son mari ne remarquent quoi que ce soit. À quoi bon leur parler.

Aujourd’hui, elle ne supporte plus ce silence qui la glace. Les sons qui l’entourent sont laids à vomir. Gabi se dirige vers la porte, elle sort. Elle marche. Trouver à nouveau un mot, un mot clair, un mot gris, un mot vivant.

Gabi manque ne pas voir la boutique, occupée à observer un oiseau dont elle ne connaît pas le nom. Elle ne rentre pas tout de suite ; c’est quand elle aperçoit le petit flacon de poudre et qu’elle lit l’étiquette qu’elle comprend. C’est ici, dans ce magasin étrange, qu’elle va pouvoir retrouver le sens des mots, leur présence, un bonheur qui se murmure au coin d’une page.

Elle pousse la porte et pénètre dans la pièce comme on traverse un miroir.

 

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