Duo d'août
Nouveau Duo avec Corinne du blog les heures de coton.
Les photos suivantes ont été prises à Nancy dans ce magasin des mots où l'accueil est fort chaleureux. L'idée était d' écrire un texte inspiré de cette boutique où je vous conseille d'aller faire quelques emplètes... Vous y trouverez certainement votre bonheur.
Aujourd'hui vous pouvez lire le texte de Corinne, le mien sera publié jeudi 4 août.
Gabi et les mots
Elle hésite puis finalement cède. Rester dans l’appartement l’oppresse, attraper le téléphone la paralyse, évoquer à demi-mot ce qu’elle ressent l’angoisse.
La porte se referme sur elle. Gabi marche dans la ville qui lui a été longtemps familière. Aujourd’hui, elle se cogne à tous ses angles, ne reconnaît plus les rues, les maisons, les immeubles. Elle en est étrangère.
Elle se rappelle avoir aimé s’asseoir dans un troquet, y épier quelques visages. Elle finissait par demander un deuxième café, allongé avec un sucre, et sortait un livre de son sac. Elle plongeait dans les pages encrées, réécoutait parfois les sons d’un mot, s’attardant sur la dureté, la drôlerie ou le satin d’un autre.
Gabi savait alors que les lettres accolées les unes aux autres étaient ses amis. Les mots avaient si souvent éloigné ses solitudes et ses peines, apaisé ses interrogations. Ils l’avaient fait rire et réfléchir, ils l’avaient rapprochée des autres, elle la si réservée. Cette Gabi de ce qui est dit et des cafés aimait parler aussi, et écrire, des lettres surtout, des mails, des phrases, des petits billets. Elle n’avait jamais pensé que ce qui était pour elle l’ordre des choses puisse disparaître.
Mais cela a disparu, insidieusement. À coup de soirs, où l’on s’endort sur un livre, à coup de conversations où tout se répète, à coup de colères après lesquelles on se tait, réduisant les paroles en miettes. Les coups, et l’usure, lente, tenace qui s’est collée à elle, comme une vieille maladie.
Gabi n’a plus le goût des mots, elle se sent vide et faible. Aucun docteur ne peut la guérir ; exit les pilules magiques. Pas plus un dictionnaire qu’une poésie n’a d’effet sur elle. Gabi s’est recroquevillée sans que ses filles et son mari ne remarquent quoi que ce soit. À quoi bon leur parler.
Aujourd’hui, elle ne supporte plus ce silence qui la glace. Les sons qui l’entourent sont laids à vomir. Gabi se dirige vers la porte, elle sort. Elle marche. Trouver à nouveau un mot, un mot clair, un mot gris, un mot vivant.
Gabi manque ne pas voir la boutique, occupée à observer un oiseau dont elle ne connaît pas le nom. Elle ne rentre pas tout de suite ; c’est quand elle aperçoit le petit flacon de poudre et qu’elle lit l’étiquette qu’elle comprend. C’est ici, dans ce magasin étrange, qu’elle va pouvoir retrouver le sens des mots, leur présence, un bonheur qui se murmure au coin d’une page.
Elle pousse la porte et pénètre dans la pièce comme on traverse un miroir.