La serre
C’est dans la vieille serre que le corps mutilé fut découvert, par un petit matin frileux, de ceux qui enserrent la Normandie dans un étau de brume. Il s’agissait d’une élève de première L dont le doux prénom – Ophélie - était sur toutes les lèvres.
L’enquête avait duré de longs mois. Interroger une communauté scolaire présente de nombreux inconvénients et les policiers – peu habitués aux adolescents versatiles - avaient essuyé revers sur revers. Ils n’avaient pas eu plus de chance avec les professeurs qui jugeaient qu’aucun des leurs n’aurait pu commettre ce crime crapuleux. Ils étaient là pour transmettre, non pour ôter la vie.
Les blessures commençaient à peine à se refermer lorsque des lettres anonymes se mirent à circuler ; croustillantes, comme il se doit, et déposées dans les casiers de tous les professeurs ainsi que dans les bureaux du proviseur et du proviseur adjoint. On y parlait d’événements que tout un chacun aurait préféré ignorer. Des noms surgissaient, les rumeurs enflaient et tout le corps enseignant se regardait avec méfiance. Quant aux parents, ils retiraient peu à peu leurs enfants de l’établissement et les classes étaient à moitié désertées, pour le plus grand plaisir de certains professeurs las de leur sacerdoce.
C’est le 2 mai que l’on sut qui était l’assassin et ce fut un nouveau choc. La coupable – un jeune professeur de français - avait tous les attributs de l’innocence. C’était une femme belle et appréciée des élèves que rien, à priori, n'aurait pu disposer au meurtre. Pourquoi avait-elle tué ? Toute la communauté éducative résonnait de ces « pourquoi » et chacun y allait de ses hypothèses, toutes aussi saugrenues les unes que les autres.
La raison que la criminelle donna était si « pragmatique » que personne ne l’avait imaginée : « Je devais absolument me mettre dans la peau de l’assassin pour écrire mon livre : c’était une question de vie ou de mort. » avait-elle avoué lors de l’interrogatoire.
Comment pouvait-on être à ce point dépourvue d’humanité ? fut la question qui agita le lycée les jours qui suivirent…
PS : photo prise dans le parc du lycée où je travaille.