Duo de septembre
Pour notre duo de septembre avec Caro, nous devions utiliser cette phrase - « Il y a des choses qui sont trop grandes pour nous, êtres humains » - tirée du livre de Pascal Mercier, " train de nuit pour Lisbonne ".
Après le texte de Caro, voici le mien :
Le père
Dans sa vie, tout allait bien. Elle avait 30 ans, elle était agréable à regarder, elle possédait un certain sens de l’humour, ne se laissait jamais totalement gagner par la morosité, et elle avait quelques amis sur qui elle pouvait compter.
Pourquoi était-elle donc allée voir ce voyant qui, soit disant, faisait des miracles ? En patientant dans la salle d’attente éclairée par une fenêtre ovale, elle se rongeait consciencieusement les ongles.
La porte s’ouvrit et elle cacha ses doigts dans ses poches, comme lorsqu’elle était enfant. L’homme était grand, maigre et sa tête s’ornait d’un chignon savamment torsadé. Il dit simplement : Madame Varisi ?
Elle resta une heure dans son cabinet et en sortit le visage défait. Ses pas de somnambule la conduisirent à une terrasse de café ensoleillée. Il n’était que 17 h mais elle commanda un kir cassis.
Dans sa tête, résonnait encore la voix funèbre : je vois la mort et la vie, mais l’obscurité - et l’homme avait insisté sur ce mot - cache la Lumière. Après cette déclaration surprenante, le voyant avait saisi ses cauris qu’il avait jetés à plusieurs reprises. Puis il l'avait presque effrayée en criant : " père, pourquoi m’as-tu abandonnée ? Vous devez retrouver votre père, il est vivant et il vous attend. "
Elle faisait tourner machinalement le liquide violet dans son verre. L’homme assis à la table à côté de la sienne – il la dévisageait depuis son arrivée - lui proposa un kleenex pour essuyer le vin qui menaçait de glisser sur sa robe. Elle l’ignora.
80 euros pour apprendre que son père était vivant alors qu’il avait été enterré au cimetière Montparnasse vingt ans plus tôt ! Crétin, pensa-t-elle.
Elle avala ce qui lui restait de kir d’un coup sec et laissa l’argent dans la coupelle. Elle allait partir quand le voisin au kleenex lui dit d’un ton sentencieux : « Il y a des choses qui sont trop grandes pour nous, êtres humains ! ».
Elle ne put que hocher la tête, résignée. Puis elle se leva, héla le premier taxi venu, s’affala sur la banquette arrière et dit au chauffeur : " Au cimetière Montparnasse, s’il vous plaît, mon père m’attend."
Le type ne broncha pas. Il avait l’habitude des parisiens, rien ne l’étonnait plus. Il se permit juste de renchérir.
- Il vous attend ?
- Qui sait ? - dit-elle la voix étranglée – parfois les morts se réveillent et vous parlent…