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Presquevoix...
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27 février 2015

Déménager

DElle voulait déménager, mais  passer de son cerveau 1 à son cerveau 2 était loin d’être simple car aucun déménageur ne voulait lui faire un devis.  Puis, par le hasard le plus complet, elle avait rencontré « Seigneur déménagements ». Comme ils faisaient aussi garde-meubles, elle en avait profité pour leur demander de garder le mobilier qu’elle savait ne plus lui être utile mais  dont elle hésitait à se débarrasser définitivement, d’autant plus qu’il s’agissait d’héritages.

Malgré le coût du devis, elle avait signé. Le déménagement eut lieu le jour de la Pentecôte. Quand on sonna, elle descendit et ne vit qu’un jeune homme frêle à la barbe bien taillée et aux yeux clairs.

- Vous êtes seul ? Dit-elle étonnée.

Il lui répondit,  de façon énigmatique, qu’avec l’aide de Dieu tout était possible. Et  tout fut possible. En deux temps trois mouvements, le transfert fut fait  Elle se sentit plus légère.

Avant de lui tendre  la facture rédigée sur papier bible, le jeune homme lui dit.

- Voyez, et gardez-vous de toute avarice ; car encore que quelqu’un soit riche, sa vie n’est pas dans ses biens.

- Je vous demande pardon ?

- Évangile selon Luc, chap. 12, p. 58, vers 15.

- Je ne connais pas les Evangiles.

Il fouilla dans l’une de ses poches et lui tendit le nouveau testament.

- Cadeau ! Ça peut toujours servir. Habiter un nouveau cerveau  n’est jamais simple et je sais de quoi je parle.

Elle prit le nouveau testament, le remercia et le jeune homme partit immédiatement.

Elle constata qu’il avait  raison, habiter son nouveau cerveau fut loin d’être une sinécure et chaque jour – pour pallier la nostalgie qui était la sienne  -  elle ouvrait  le nouveau testament au hasard afin d’y trouver une citation à méditer. Le premier jour, elle tomba sur celle-ci : Ne jugez pas sur l’apparence, mais portez un jugement juste.

 

PS : photo prêtée par D. Hasselmann

25 février 2015

Les hommes

Il pleut. Impossible d’aller à mon rendez-vous : je suis phobique. Une seule goutte d’eau me met dans un état indescriptible. Ma première crise date de l’époque où j’étais mariée. Nous étions au mois de juillet et nous venions de fêter notre première semaine de mariage. Nous avions décidé de célébrer les semaines et non les années car nous étions convaincus que cela fortifierait notre amour.

Lorsque nous sommes sortis du restaurant - moi dans la robe rouge qui lui avait plu lorsqu’il m’avait vue pour la première fois, et lui en jeans - nous avons marché jusqu’au fleuve. A l’endroit exact de notre première rencontre, il m’a embrassée. C’est à ce moment-là que j’ai senti la première goutte de pluie. J’ai frissonné. Allez savoir pourquoi,  le lendemain de cette pluie d’été, il partait. Notre mariage a totalisé huit jours de vie commune.

Depuis son départ, je ne cesse de rencontrer des hommes : les petites annonces du journal local font merveille ; Meetic aussi.

Je me suis fixée une règle à laquelle je ne déroge jamais : un homme par mois. Jusqu’à présent je n’ai pas été déçue mais ai-je vraiment le temps de l’être ? Je les reçois souvent chez moi et je les fais parler d’eux. Contrairement à ce que l’on pense, les hommes adorent parler, il suffit de savoir s’y prendre. Moi, j’aime les écouter, surtout quand ils parlent de leur femme. C’est étrange de les entendre parler de celle que j’aurais pu être.

Après chaque rencontre, je prends des notes. Un jour j’écrirai sans doute un roman…

23 février 2015

La lettre

Monsieur,

 Je prends la liberté de vous écrire cette missive pour vous signaler que vous avez tout bonnement oublié de me téléphoner afin de me donner un nouveau rendez-vous et ce, depuis le mois de février 2008.

 Je vous rappelle brièvement les faits : avant les vacances de février, vous m’aviez donné un rendez-vous sur la même plage horaire qu’un autre de vos « patients », et j’ai donc attendu trois quarts d’heure dans votre salle d’attente – terriblement déprimante à vrai dire et je vous conseille d’en changer les couleurs -  pour  finalement repartir sans avoir pu être écoutée. Vous m’aviez alors assuré – et je vous avais bien sûr fait pleinement confiance -  que vous me rappelleriez  sous peu.

 Le problème, voyez-vous – serait-ce un  manque d’éthique  de votre part ?- c’est que deux mois ont passé et  que je n’ai toujours pas eu de coup de téléphone de votre secrétariat.

 Puis-je me permettre de vous dire que vous avez une chance inouïe : je ne suis ni paranoïaque, ni de tempérament  suicidaire, juste un peu névrosée, comme vous sans doute. Imaginez qu’en deux mois, j’aurais eu largement le temps de vous harceler téléphoniquement ou de faire preuve d’imagination et d’opiniâtreté afin de réussir mon suicide ! Mais il est vrai que vous êtes bien placé pour savoir que la vie est faite de « drames » – petits et grands – et que, finalement, nous sommes tous appelés à disparaître un jour ou l’autre : alors, un peu plus tôt, est-ce si grave surtout lorsqu’il ne s’agit pas de soi ?

 J’espère que vous excuserez cet  humour noir  - j’affectionne particulièrement ce genre - qui n’a pour but que de mettre l’accent sur ce « petit » oubli qui aurait pu avoir de graves conséquences pour vous, et surtout pour moi.

 En espérant que vous ne m’en voudrez pas de ce rappel, veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de ma considération distinguée.

 Elisa Mayer

 PS : je mets bien sûr fin à mes rendez-vous hebdomadaires.

 

21 février 2015

Le corps

20150102_145429Quand il avait vu le corps allongé sur les feuilles, son œil de peintre avait tout d’abord remarqué l’harmonie des couleurs ; l’instant d’ après il avait paniqué. Que faisait-elle là ? Etait-elle morte ? Certainement. Ce n’était nullement l’époque pour une sieste en pleine nature ; la température extérieure atteignait à peine quatre degrés.

Il décida de passer son chemin. Ne pas s’impliquer et prendre ses distances, comme à l’accoutumé.

Le lendemain matin, en prenant son café au bar des fleurs, ses yeux tombèrent sur le gros titre et la photo de Paris Normandie : « le corps d’une femme retrouvée dans la forêt du Rouvray ». Il avala sa gorgée de travers. Etait-elle encore vivante quand il l’avait vue ? Il se persuada que non.

En rentrant chez lui, il installa son chevalet, sa toile, ses pinceaux et il se mit au travail. Des teintes roses et marrons surgirent, deux troncs d’arbres émergèrent et sur le lit de feuilles mortes, le corps, allongé de tout son long…

19 février 2015

Ambition « En saigner »

Qui-veut-apprendre-a-apprendre_236642Avachissement des corps sur les tables, blousons bouclés jusqu’au cou malgré les 22 degrés de température intérieure – macération assurée - ;  fredonnements épisodiques – la nouvelle star c’est aussi en cours - ;  reniflements ponctuels – ils n’ont jamais de mouchoirs et en demandent toujours un au prof - ;  ricanements intempestifs – il y a toujours quelqu’un pour faire une bonne blague bien nulle - ; vibreurs ici ou là – le portable est une excroissance corporelle - ; chewing-gums consciencieusement mâchés – « c’est pour la concentration, c’est prouvé ! » (sic) - ; ennui délibéré – ça fait « style » -   mauvaise foi permanente – « J’ai rien fait, pourquoi c’est toujours moi qui prend ? » - ;  fainéantise chevillée au corps – on n’étudie plus, c’est ringard, on y va « au talent » ( sic)…  voici un aperçu, non exhaustif, de ce que la pub ne dira jamais, ça nuirait au recrutement.

 

 

PS : bien évidemment, c’est une caricature ;)

17 février 2015

La robe de mariée

Elle allait fêter ses noces d’or ; 50 ans de bonheur mitigé avec un mari qu’elle avait pour habitude d’appeler « ma cellule de dégrisement ».

En regardant sa robe de mariée sagement remisée sous une housse avec un soupçon d’antimite, elle n’avait pu que se rendre à l’évidence : loin était le temps où elle pouvait se targuer d' une taille de guêpe. Depuis 30 ans elle mangeait trop. Sa taille enflait et elle arborait trois bourrelets que le bonhomme Michelin n’aurait pas reniés.

Lors de la fête organisée par sa fille pour fêter une union dont chacun connaissait les hauts, mais surtout les bas, elle prit sa famille à témoin pour dire le plus sérieusement du monde : « Quand je mourrai, enterrez-moi dans ma robe de mariée. Pas grave si on peut pas la fermer, de toutes façons, personne verra rien, je serai sur le dos, comme une baleine échouée, et je bougerai plus pour des siècles et des siècles ! »

 

 

15 février 2015

Le billet de train

Elle a pris une assurance – 4 % du montant du billet – et elle est au guichet  pour savoir si elle peut être remboursée. Le guichetier, avec une pointe de cynisme, lui fait remarquer que les clauses de l’assurance sont tellement restrictives qu’elle ne pourrait être remboursée qu’en cas de décès, et encore, le sien.  Et dans ce cas, souligne-t-il, vous n’en auriez plus besoin !

13 février 2015

Duo de février

Et voici le texte de Caro, avec comme support la même photo :

 

madame recoit

 

Par le trou de la serrure


03 janvier – 8 h 34

Je pose les affiches sur le coin de la table. Trois. Une à punaiser sur le tableau d'affichage de la paroisse, la deuxième pour la boulangerie. Mon frère en affichera une autre au collège privé où il enseigne. S’il a une réunion de son club service, en prendra-t-il une autre ?

Je mets en évidence sur la nappe grège les cartons d'invitation. J'ai inscrit les noms de chaque membre de la famille, sans oublier les belles-sœurs, le grand-oncle. Et Anne-Amélie. Mme la Grande-Duchesse douairière comme l'ont surnommée mes frères. Anne-Amélie, notre abhorrée grand-mère.

La pièce sera donnée le 15 février au Batiscaf. Un lieu sans le prestige d’une Maison de la Culture et de sa scène nationale mais sans rien de commun avec les entrepôts où j’ai longtemps joué des pièces inintelligibles et déshabillées. Pour cette occasion, acceptable dans les cercles choisis, la famille royale au complet viendra assister au spectacle et a passé commande d’invitations VIP. Il semblerait que Queen Mum fasse partie de la sortie familiale. Osera-t-elle un chapeau ? Sa canne de vieille arthritique au pommeau en argent ? Osera-t-elle tout court ?

Je grimpe in extremis dans le direct de 9 h 07 pour Paris, aucune âme charitable n'ayant pensé à nous déposer à la gare, mon paquetage et moi. Chez nous, la charité sommeille dans les missels.

15 février – 18 h 12

L'air est toujours électrique entre le filage et la représentation. À chaque fois, l'expérience est différente. Salle des fêtes, grande machinerie. Banlieue ou campagne. Billetterie prometteuse ou pas. Sans sous-estimer le metteur en scène, si perméable aux flottements de sa relation avec Johnny, l’insaisissable compagnon au long cours. Je craignais depuis quelques jours le retour dans ma ville natale, les pronostics médiocres quant au public attendu, les loges récentes, et déjà miteuses. Sans parler de l'hôtel. Une représentation hypothéquée sans que j’aie besoin d’y ajouter la venue de la famille au grand complet.

Pourtant, la fièvre est moindre, comme apprivoisée. Après tout, dans ce creuset d’enfance, j’ai affronté mes pires démons. Ce soir, je n’ai droit qu’à une pièce rodée et d’anciens proches devenus une armée de souvenirs mouvants. Une attente fiévreuse tout au plus. L’ordinaire.

15 février – 20 h 25

Dans cinq minutes, les trois coups. Je suis concentrée sur ma respiration ; apaisée, elle éloigne le tam-tam de mes battements cardiaques, jingle qui me secoue systématiquement avant chaque entrée en scène. Car j'y suis seule pendant une poignée de trop longues tirades. Exposée dans une robe décalée des sixties avec des points roses et orange, une paire de babies vernies et des cheveux longs lissés. Le contraire de ma tête folle habituelle. « Crinière de méduse » persiflait la Grande-Duchesse en faisant la moue. Une entame avec un plumeau ridicule et en avant pour une heure et demie de saynètes de Feydeau remises au goût du jour ! « Par le trou de la serrure »

15 février – 23 h

Ils sont tous là et ont tenu à m’offrir le champagne dans la brasserie qui trône à l’angle de la place de l’Hôtel de ville. Queen Mum est présente, décharnée. Les bouteilles arrivent avec le caviar et les toasts de rigueur. Je n’ai pas réintégré le cercle familial mais, pour la meute, je n’en suis plus si éloignée.

La Grande-Duchesse m’a placée d’office à ses côtés. Elle sort de son sac Chanel l’affichette, un tableau en complet déphasage par rapport à notre mise en scène kitsch et minimaliste. « C’est la reproduction du tableau de la salle à manger. »  Je hoche la tête. J’ai toujours détesté ce tableau. Mère et Queen Mum adoraient nous éduquer à coup de pensums et de proverbes : Argent mal acquis ne profite jamais, l’habit ne fait pas le moineLa curiosité est un vilain défaut revenait en boucle. Et grand-mère ou mère de m’assener une tape en me montrant ce petit tableau.

« Je suis contente que cette œuvre ait été choisie pour votre affiche. » La confidence me prend de court. « Vois-tu, avant de devenir cette femme riche et honorable, j’ai aussi été cette employée de maison, une sans vergogne qui écoute aux portes. Et la curiosité, ma curiosité envers les nombreux secrets de mes employeurs, a été payée d’argent, d’un riche mariage qui m’a éloignée d’eux et les a protégés de ce que j’ai promis de taire et du vernis d’une respectabilité dont je n’avais jamais pu rêver et que je vous ai légué. » Un toast l’interrompt. Quelques minutes plus tard, elle m’embrasse ; son chauffeur attend.

28 février – 10 h

Les obsèques de Mme Anne-Amélie, notre Grande-Duchesse douairière, surnom étouffé par le noir et le deuil, ont eu lieu hier. A nouveau, nous sommes tous réunis, Queen Mum en moins. Parts d’héritage et propriétés. Je signe sans comprendre. Parmi eux tous, je suis la seule à n’avoir pour seule adresse fixe qu’un garde-meuble et deux sacs. Me Pierre-Adhémar, l’ami de famille, me tend un paquet emballé dans du papier kraft. Un mot l’accompagne. L’écriture en est mal assurée, un tremblement dû à l’âge ou aux passés enfouis. Tout en bas, le clair paraphe m’offre un témoignage, un secret, un tableau.



11 février 2015

Duo de février

Nous poursuivons, avec Caro, nos duos d'écriture. Mon texte ouvre le bal, celui de Caro paraîtra vendredi prochain.

Au programme, la photo ci-dessous proposée par Caro.

 

madame recoit

 

Le trou de la serrure

 

Elle lui avait ordonné.

-          Regarde, mais regarde bêta, ça mord pas !

Il avait collé son œil au trou de la serrure pour lui faire plaisir. Jamais auparavant il n’avait épié Madame. Que non ! Il avait des principes, lui.

-          Alors ? lui dit-elle

Quand il se releva, le feu aux joues, elle continua.

-          Voilà, c’est ça que je veux !

-          Que moi, je fasse ça ?  

-          Je veux que tu me fasses exactement la même chose au même endroit. Visiblement, ça lui réussit à Madame. Tu as entendu les cris qu’elle poussait ? Quand elle le fait avec Monsieur, je peux te dire qu’on n’entend rien de rien !

Il observa la nouvelle femme de chambre l'air incrédule. Certes, il éprouvait du plaisir à le faire avec elle, mais pas comme ça ! Ça,  jamais ! Pour qui le prenait-elle ?

Elle insista.

-          Alors ?

-          Alors on verra, bouda-t-il.

-          Mais c’est tout vu. C’est ça ou plus rien !

Il se remit à épousseter les meubles sans rien dire, mais  son plumeau s'agitait avec une vivacité peu coutumière…

9 février 2015

Mais goûte, chéri !

Tu as passé mon enfance à me dire « Goûte chéri » et je suis devenu monstrueux. J’étais  la risée de l’école et toi tu me disais toujours « Goûte chéri » !

A cinq heures, quand je rentrais de l’école, tu étais toujours dans la cuisine.  Tu m’appelais de ta voix douce et tu me disais « Goûte chéri !». J’aurais voulu vomir tous tes gâteaux, mais je n’y arrivais pas. C’est dur de vomir sa mère.

Tu me disais que je devais manger pour te faire plaisir, mais plus je te faisais plaisir, plus je grossissais et plus je grossissais, plus on se moquait de moi. J’ai toujours été le « gros lard » de service, mais toi, tu ne voyais rien, tu pétrissais ta pâte à gâteaux, tu la mettais au four et tu me disais : « Goûte chéri, ils sont tout chauds ! »

J’étais tellement gros et seul que j’ai voulu me suicider. Le jour où tu es entrée dans ma chambre, tes gâteaux à la main et  que tu m’as vu la corde autour du cou, tu n’as rien compris. Seulement cette fois-là, tu ne m’as pas dit « Goûte chéri » ; non pas que tu aies compris, non, mais sous l’effet de la stupéfaction tu avais perdu la parole.

Cette nuit encore  tu m’as dit « Goûte chéri » ! Je me suis réveillé en sueur et j’ai hurlé :  NON ! Je n’ai pas pu me rendormir.

Demain, c’est ton enterrement. Je laisserai cette lettre dans le petit pot de pensées que je placerai sur ta tombe.  Maintenant que tu n’es plus là, je vais essayer de goûter la vie, parce que la vie, à 45 ans passé,  je ne sais même pas quel goût elle a !

 Ton fils

 

 

 

 

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