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Presquevoix...
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8 janvier 2015

Duo de janvier

Avant tout, un hommage aux journalistes et policiers assassinés avec ce dessin prémonitoire de Charb.

                                                                     __________________________________

 

Pour notre nouveau duo avec Caro, il s’agissait d’utiliser à notre gré « Nostalgico swing », une musique de Nino Rota, extraite du film Huit et demi de Fellini.

Après le texte de Caro, voici le mien :

 

 

Le dernier swing

 

Dès son arrivée, il avait pressenti quelque chose, sans doute à cause des lumières  qui clignotaient, hystériques. Après avoir sonné, un visage inconnu apparut dans l’encadrement de la porte. Un homme le salua et l’invita à entrer, mais lui oscilla, comme sur un plongeoir dont il aurait sous-estimé la hauteur. Une fois le pas de porte franchi, tous les invités, d’un même mouvement, se tournèrent vers lui et des sourires se dessinèrent sur leurs visages grimés. Un homme cria : « Frederico ! ».  Oui, c’était bien lui qu’on annonçait, et la même voix continua «  Tu dois danser, Frederico, Tout ceux qui entrent ici doivent danser ! ».

Désespéré, il dit : « Mais je ne sais pas danser ! »

On lui mit dans les bras une femme qui l’entraîna sur la piste improvisée. « Danse Frederico, danse! » crièrent les invités, et Frederico s’exécuta à la façon d’un clown triste.

Quand la musique s’arrêta, on l’applaudit. Ces bravos claquèrent à ses oreilles comme des coups de fouets. Comment avait-on pu le faire tourner comme un animal de foire ? Sa partenaire était déjà partie vers le buffet. Elle dégustait tranquillement un toast quand il lui dit.

-          Je crois que vous m’avez sauvé la mise, sans vous...

Elle répondit d’une voix neutre.

-          Oh, c’est mon rôle, je suis la danseuse de service, celle qui vous emmène à la porte de l’enfer. Le prochain qui sonnera, on me le collera dans les bras, comme on me l’a fait avec vous. Vous verrez !

Et ce qu’elle avait prédit se réalisa. A chaque invité, elle était de corvée. A quoi cela rimait-il ? L’enfer avait-elle dit ?

Il voulut s’esquiver mais un inconnu l’en empêcha.

-          Impossible ! Quand on entre ici, on reste jusqu’au bout.

Il s’assit sur un pouf, l’air accablé. Quand une main se posa sur son épaule, il sursauta.

-          Alors, c’est la perspective de l’enfer qui vous met dans cet état ?

C’était la danseuse. La peinture de son masque blanc s’était presque effacée et laissait apparaître une peau luisante.

-          J’en peux plus. Je veux partir, gémit-il.

-          Je crois que vous n’avez pas encore compris que vous étiez sur la liste.

-          Quelle liste ?

-          La liste de ceux qui vont en enfer.

En enfer ? Lui ?  Lui qui n’avait jamais traîné les bars ? Lui qui avait supporté le même chef de bureau lunatique pendant vingt ans sans rien dire ? Lui qui n’avait pas divorcé pour ne pas faire de peine à sa famille ? Lui qui avait accepté de garder sa mère jusqu’à sa mort sans rechigner ?

La danseuse le ramena à la réalité.

-          Vous faites la liste de vos bonnes actions ?

-          Comment vous le savez ?

-          Ils la font tous. Vous vous demandez sans doute pourquoi on vous a choisi ? Eh bien parce que vous n’avez jamais été VOUS, justement ! Trop occupé des convenances, trop occupé de ce que les autres pensaient de VOUS, c’est bien ce qu’on vous reproche. Allez, venez, on vous attend ! Levez-vous !

Il s’exécuta, atterré, et la suivit sagement jusqu’à la porte peinte en rouge…

 

 

Commentaires
C
Pour la caricature de charb une triste prémonition mais toujours avec malice.<br /> <br /> Et un grand merci au policiers qui ont fait un travail incroyable avec courage et technicité après ces dures journées. C'est rassurant.<br /> <br /> Et j'ose imaginer la tronche en bouillie des terroristes (pour rester polie sur cette page) cherchant Allah !! et se trouvant reçus par 12 Charlis dessinant... euh..un léger sourire au coin des lèvres ;>)
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C
Hé bé... je bois plus, je fume plus, plus de poker... je souris a mon connard de voisin qui pourris mes plantes, j'aide les vieilles dames a traverser la rue et je suporte ma fille sans rechigner (juste un peu) Tout çà pour l'enfer ... Heureusement que j'aime danser!! OUPS je sors :>)
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C
Oh, quel beau texte qui tangue et nous surprend. Oui vraiment un bel effet de surprise qui accentue le propos de ton texte. L'importance du rythme et du dialogue entre la danseuse et lui. Notre comptabilité des bonnes actions, belle trouvaille que ce prévisible.<br /> <br /> <br /> <br /> Il y a un peu de Fellini et aussi un murmure de Sartre où l'enfer c'est les autres avant et après d'une certaine manière.<br /> <br /> <br /> <br /> et le "sauver la mise", quelle ironie. Un texte ô combien riche.
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K
Elle ouvrit. <br /> <br /> Ce fut soudain plus lumineux. <br /> <br /> <br /> <br /> Alors qu’elle se retournait pour le laisser passer, il s’aperçut que la peinture de son masque blanc avait complètement disparu. <br /> <br /> Et il vit son propre visage.
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P
Il y a des invitations où l'on devrait réfléchir à deux fois avant d'accepter...<br /> <br /> En s'y rendant il signe son arrêt de mort.<br /> <br /> Il aura appris à danser au moins avant de franchir la fameuse porte. <br /> <br /> Enfin le message est clair, les convenances à la benne :-)
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