Duo de janvier
Pour notre nouveau duo avec Caro, il s’agissait d’utiliser à notre gré « Nostalgico swing », une musique de Nino Rota, extraite du film Huit et demi de Fellini.
Place au texte de Caro, quant au mien, il paraîtra jeudi prochain.
Otto e mezzo – una storia di Natale
‘ Milan – 28 novembre 2004
Train en retard, départ prévu à 20 h. Si tout va bien.
Ai gardé trois-quatre euros au cas où, fini le pain qui me restait avec un peu de fromage et ce qui restait d’eau dans ma bouteille.
J’ai marché dans la ville un peu au hasard. J’ai hésité : pousser la porte, m’asseoir et prendre un café. Finalement, me suis faufilée en douce dans une salle de ciné. J’ai d’abord entendu cette musique. Les dialogues. Me concentrer pour ne pas laisser filer l’histoire. J’ai senti une présence à mes côtés. Sa respiration. En sortant, nous sommes allés prendre un verre.
“Giulio, je m’appelle Giulio, n’oublie pas Carlotta”, m’a-t-il dit en me laissant grimper dans mon train pour Paris. Ou était-ce “Ne m’oublie pas Carlotta” ? ‘
Charlotte repose son ancien carnet de voyage. L’écriture d’avant, les mots d’une autre, éloignée et étrangement familière. De Giulio et elle, il reste quelques photos, des babioles qu’ils se sont échangées lorsqu’ils se sont revus, des baisers collés à des heures douces. Ce vinyle qu’elle écoute parfois sur la platine laissée par ses parents. Un jour, il, elle, ont voulu laisser un peu de temps à leurs absences, de trop longues études pour l’étudiant milanais, elle, amarrée à Paris, à ce travail qu’il avait été difficile de décrocher. Une séparation sans aucun adjectif, ni temporaire ni définitive, pour avoir peut-être un peu moins mal.
Ensuite ? Elle a connu son mari alors que lui se laissait prendre au jeu d’une fille de là-bas. Ou est-ce elle qui s’est prise au jeu de Nicolas qu’elle voyait tous les jours ?
L’année passée à Noël, elle avait reçu une carte de Giulio. Elle a retrouvé les lettres amples, le goût délicat de la langue de Dante, cette légèreté qu’elle n’a connue qu’avec lui. Cette lettre était un éclat de rire. Elle l’a rangée avec le cahier. Elle a envoyé un courriel, accompagnée d’un lien vers leur musique. Ils se sont parlé une fois au téléphone. Le 28 novembre.
Elle s’était soudainement décidée. Elle ne passerait pas un Noël à nouveau seule dans son deux-pièces, les jumeaux partis avec l’ex et sa compagne toute neuve vers une destination de carte postale, cocotiers et sable fin inclus. Giulo, prossimo martedi 19 h 33 Milano Centrale. Elle a réservé une chambre pour son arrivée, en face du duomo. A retrouvé sa vieille méthode assimil.
Le train a passé Côme. Charlotte se penche et aperçoit à travers la vitre l’ombre des montagnes. L’attendrait-il ? L’aura-t-il oubliée ? Elle n’en sait rien. Elle est sûre d’une seule chose : quoiqu’il arrive, elle passera Noël en Italie. Elle entrera seule dans un cinéma, prendra un café, accoudée au comptoir, poussera jusqu’à Venise et peut-être Vérone.
Charlotte vient de descendre sa valise du porte-bagages, elle ajuste son manteau parme. Elle remonte le quai en écoutant une fois encore cette musique que les années n’ont pas abîmée. Et sourit en descendant sur le quai
La mélodie ne leur a jamais menti.