La corde

Le quincailler avait une blouse blanche impeccable et sa boutique était rangée au cordeau. Une odeur de peinture et de térébenthine flottait dans l’air et elle ressentit un vague étourdissement. Il s’adressa à elle d’une voix légèrement flûtée, on eut dit une voix de femme.

-  Vous désirez ?

-  Une corde solide de deux mètres cinquante de long s’il vous plaît.

L’homme la regarda longuement et lui dit que non, qu’il avait bien une corde de cette longueur mais qu’il la trouvait bien trop triste pour la lui vendre. Et il conclut.

-  Je ne veux pas qu’on m’accuse de non-assistance à personne en danger !

Comments

[D. Hasselmann]

Et Hitchcock eut soudain une idée de mise en scène...

[telophase]

Amusant de constater l'ampleur de la connotation négative que possède la pauvre corde. Ne peut-elle servir la malheureuse qu'à se pendre :)

Le réglementation de sa vente s'impose ! ;)

[Cristophe]

C'était le début de leur jeu. Puis le quincaillier dit : "Je vais vous attacher pour vous éviter de faire des bêtises"... Son mari qui faisait très bien le quincaillier était en réalité professeur d'Anglais.

[personne]

- ... mais... mais non, vous vous méprenez Monsieur, c'est pour un ami ! C'est lui qui est suicidaire, pas moi : je ne suis qu'en simple dépression légère.



- Ah, si c'est pour rendre service, c'est différent. Tenez, je vous la prête. Le lien de l'amitié ne se monnaye pas.



- Vous êtes bien aimable, merci à vous au nom de mon ami.



- Tout le plaisir est pour moi. Le sens de l'amitié est si rare de nos jours... Souhaitez-lui bon voyage. Et n'oubliez pas de me la ramener.



Elle ne tint pas parole, bien à son détriment. Tandis qu'elle attendait patiemment pour récupérer le bien du quincailler, son ami sauta dans le vide, la corde attachée à une branche d'arbre au-dessus d'un ravin. La branche noueuse et sèche cassa. Une de ses extrémités entraîna la femme. De son autre main, elle tenait son chien en laisse. Qui s'agrippa à pleines dents aux pantalons du gamin qui le caressait, pour tenter d'arrêter sa glissade. La maman voulut retenir son enfant par son bras gauche. Le mari se jeta pour tenir la jambe droite de sa femme. Le curé, au loin, courut pour tenter d'attraper l'homme par n'importe quelle extrémité possible, puis s'arrêta alors qu'il s'approchait du ravin, considérant qu'il serait plus utile de son vivant pour guider ses brebis du dimanche. Il se signa puis pria, mains jointes, et yeux implorants levés vers le ciel. Dieu, accepte-les en ta demeure, pensa-t-il, pénétré de foi fervente, tandis que les cris de secours et de panique fusaient à quelques pas de lui.

Tout ce beau petit monde fut entraîné dans le ravin, pas un seul en revint.



Ce jour-là, le quincailler regretta amèrement son geste, tout en sirotant son demi à la terrasse d'un café, en présence du curé.

- La prochaine fois, amitié ou pas, je ferai payer la corde. Rendez-donc service aux autres.



- Le monde est cruel, mon fils, mais cela vous sera restitué lorsque vous vous présenterez devant Saint-Pierre, conclut le curé.



"Un placement pour ma place au paradis... pas bête", pensa le quincailler. Depuis ce jour, il prêta le maximum d'objets piquants, tranchants, contondants, empoisonnants, de produits chimiques dangereux, et de matières explosives à ses clients tristes.

[Walrus]

Deux mètres cinquante ! C'est pas bas de plafond chez elle !

Est-ce qu'elle sait seulement faire un nœud de pendu ? C'est vrai qu'avec g°°gle aujourd'hui...