Aujourd’hui, avec caro-carito, nos textes se croisent en un duo stimulant : son texte est sur Presquevoix, quant à mon texte, il est sur son blog.
La consigne était d'écrire un texte qui reprenait cette phrase de Mia Couto, auteur Mozambicain : "les hommes qui bavent ne mordent pas"
No pasarán
Laura se tenait devant la pancarte d’un blanc immaculé. « Les hommes qui bavent ne mordent pas. »
Elle repensa brusquement à Maëlle, la correspondante française qui avait fait irruption un été dans la maison des Flores. L’insupportable Maëlle et son humour aussi épais que les puddings de Tia Betty.
L’adolescente blonde et effilée était arrivée la veille. Une virée à Miraflores et Larcomar, sa vitrine pour touristes, avait été décidée et la famille au complet s’était entassée dans deux ticos qui passaient par là. Le menu de bienvenue comprenait un cocktail papaye et mangue dans un, des photos d’un Pacifique aux reflets d’acier, un soleil joueur derrière la neblina liménienne et détour pour voir « el beso » . La francesita avait mitraillé la statue avec son téléphone. Oui les Flores avaient le wifi, skype et tout le reste. Non à Lima, les gens ne portaient pas de chuyos et ne parlent pas quechua, même en cachette.
Laura se souvient encore du rire de la jeune fille blonde. Un blond qui tirait sur le roux et qui étincelait dans le soir qui s’attardait au milieu des promeneurs. Un blond vulgaire comme la voix, la façon de s’habiller, les manières de la francesa. Deux yeux verts la fixaient et une bouche dédaigneuse articula lentement pour que Laura comprenne bien : « C’est quoi ce pays de sauvages où l’on doit dire aux gens de ne pas pisser sur les pelouses. » Ce rire qui balaya la phrase, il semblait ne jamais vouloir s’arrêter.
Laura ne comprit que plus tard que la lycéenne avait pensé que pisar voulait dire pisser. Pisser… « Pisar. C’est marcher ! » Avait insisté une Laura désespérée. Mais le mal était fait, Maëlle ayant largement diffusé depuis une semaine via ses nombreux réseaux, forums et amis, ses réflexions sur ce pays tellement « arriéré ».
Six semaines après, quand Laura avait vu la francesa disparaître dans les couloirs de l’aéroport Jorge Chavez, la jeune péruvienne s’était juré de ne jamais mettre les pieds en France.
Et c’est ce qu’elle avait fait, étudiant aux États-Unis, découvrant l’Australie et la Nouvelle-Zélande, ayant fait le tour avec sa cousine Pili ou des copines de l’Amérique latine. Jusqu’à ce master, servi sur un plateau, un stage dans un service de neurologie.
Ainsi, un dimanche matin, elle se trouvait là, en banlieue parisienne, short et débardeur, avec le boomerang qu’elle avait trouvé ce matin dans sa cour. Elle allait sonner, profitant de l’occasion pour faire connaissance avec l’homme qui vivait au 18, rue des Lilas, à la beauté froide et d’un exotisme nordique opposé à ce qu’elle avait connu. Et puis il y avait eu ce panneau stupide, qui avait le goût d’une mauvaise blague, et ce jardin où chaque brin d’herbe était à sa place, tout comme les pas japonais, et le tintement délicat d’un carillon feng shui.
Laura glissa le boomerang à travers la grille et s’éloigna rapidement. Il lui semblait avoir vu le rideau de l’entrée bouger. Et ce n’est que, la porte d’entrée refermée sur elle, qu’elle se sentit tranquille et que le rire de la francesa s’éloigna.
Tico : petit taxi très courant au Pérou
Neblina : brouillard
El beso : le baiser
La francesa : la Française.