Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Presquevoix...
Archives
31 janvier 2014

La librairie

Porto

Chaque jour, après son travail, elle allait à la librairie Lello. Pedro s’en plaignait, il lui disait qu’elle le trompait avec une femme, parce que pour lui la librairie était le ventre – le sexe ? - d’une femme dont les livres tapissaient toutes les largeurs. Ils  riaient ensemble de cette plaisanterie.

C’est en haut de l’escalier rouge de la librairie Lello que son étourdissement l’avait prise. Avant de descendre, comme à son habitude, elle avait regardé les marches qui défilaient dans leur drapé rouge et le vertige l’avait happée dans le ventre de l’escalier. Son livre « o vale da paixão » lui était d’ailleurs tombé des mains  et avait dévalé les marches. Elle avait sans doute essayé de se rattraper à la rampe, mais elle ne souvenait de rien à part des deux mains  qui l’avaient aidée, silencieusement,  à s’asseoir  sur une chaise du premier étage.

Elle essaya de retenir ces mains, mais l’homme devait être pressé, il lui sourit amicalement, rajusta ses lunettes, remit son chapeau sur la tête, puis  elle vit son pardessus disparaître dans l’escalier. Lorsque sa silhouette ne fut plus qu’un souvenir, elle se replia un peu sur elle et remarqua, à ses pieds, une feuille pliée en quatre. Elle hésita à la prendre, mais la curiosité fut plus forte. Ella la déplia et lut les vers suivants :

 

Não basta abrir a janela
Para ver os campos e o rio.
Não é bastante não ser cego
Para ver as árvores e as flores.

Il ne suffit pas d’ouvrir la fenêtre
Pour voir les champs et le fleuve
Il ne suffit pas de ne pas être aveugle
Pour voir les arbres et les fleurs. 

Fernando Pessoa,

Avait-elle vraiment rencontré le poète Fernando Pessoa mort en 1935 ?

 

PS : photo prise par C.V  dans la librairie Lello à Porto.

Voyez ici le site de la librairie pour rêver à 360 degrés.

 

29 janvier 2014

Les deux gélules

Depuis six mois, à chaque fois qu’elle allait chez sa belle-mère, elle prenait deux gélules – aux effets anti-stress -  recommandées par une amie qui prenaient exactement les mêmes avant d’aller chez sa sœur. Cette même amie lui avait d’ailleurs confié avoir été conseillée par une autre amie qui les prenait systématiquement avant d’aller chez sa mère…

 

27 janvier 2014

Ça va ?

A chaque fois qu’il me demandait  de mes nouvelles, il n’attendait jamais ma réponse et  me donnait des siennes. Souvent elles étaient mauvaises, forcément.  Un jour, je n’ai pu m’empêcher de le lui faire remarquer. Il m’a regardée,  étonné.

-   Tu veux dire que depuis deux ans que je te connais je ne sais toujours pas comment tu vas ?

-   Eh oui, ai-je soupiré fataliste.

Il m’a observé longuement, a hoché la tête et m’a dit tristement.

-   Ma foi, tu as l’air d’aller plutôt bien, alors que moi, si tu savais...

 

 

 

25 janvier 2014

La bulle

20130815_185201

 

La bulle

Ses parents lui avaient dit de rentrer dans la bulle, juste le temps d’une course, et la petite fille avait sauté de joie ; il y avait si longtemps qu’elle leur demandait de jouer dans la bulle. Cependant, leur course avait duré plus  que de coutume et la petite fille  avait voulu sortir, mais comment ?

La nuit tomba. Elle finit par s’endormir dans la bulle, comme si celle-ci était devenue sa maison.

Le lendemain, en ouvrant les yeux, la petite fille remarqua qu’autour de la piscine, tout avait disparu : plus d’immeubles, plus de caravanes, juste des terrains vagues à l’infini. Elle voulut crier, mais aucun son ne sortit ; elle voulut pleurer, mais ses yeux étaient secs ; elle voulut se souvenir, mais une brume recouvrait son passé.

Elle comprit que désormais, seule la bulle l’accompagnerait. Pour le meilleur, mais sûrement pour le pire…

 

PS : photo prise par C. V. à Dieppe, en aout 2013

 

23 janvier 2014

Le maillot de bain

-  Putain, t’as vu à quoi tu ressembles ?

J’étais nue dans la cabine d’essayage quand j’ai entendu la voix. On aurait dit ma mère sauf qu’elle n’aurait pas dit « putain ». Je me suis rhabillée illico, j’ai laissé le maillot de bain noir à l’intérieur et je suis sortie en pleurs du magasin. Après, je suis entrée dans la première boulangerie venue. J’ai acheté un pain au chocolat, un pain aux raisins, un chausson aux pommes, et j’ai tout avalé.

Maintenant, je fais du naturisme.

21 janvier 2014

Le traducteur automatique

Il y avait dix ans qu’il exerçait le métier d’interprète de conférence et, depuis quelques semaines, un phénomène étrange se produisait : une quasi-pulsion l’obligeait, en dehors du travail  - mais cela ne se produisait qu’avec sa femme et sa mère -  à traduire systématiquement tout ce qu’il leur disait en anglais et en portugais…

 

 

19 janvier 2014

La question

La veille, son fils de 6 ans lui avait demandé.

-          Dis maman, combien de temps tu vas durer ?

-          Le temps qu’il faudra ! avait-elle répondu en déglutissant difficilement.

Une fois dans sa chambre, cette question lui était revenue  à l’esprit dans toute la nudité de sa vérité : oui, combien de temps allait-elle encore durer ? Mais surtout, avait-elle vraiment envie de durer ?

17 janvier 2014

Le cadeau

Pour Noël, sa mère lui avait demandé de lui acheter le journal de Valéry Larbaud. Elle le lui avait donc acheté. Seulement, le jour J, quand elle l’avait sorti de son emballage cadeau, elle lui avait dit.

-          Ouh là là, il est beaucoup trop gros, je ne pourrai jamais le lire au lit !

Sa fille l’avait regardée, étonnée, mais avant qu’elle n’ait pu répondre quoi que ce soit, sa mère  avait conclu.

-          Tu m’excuseras, hein, mais je préfère que tu le gardes, parce que moi, dans ce format, je sais que ne le lirai pas !

Et voilà qu’elle se retrouvait avec un livre qu’elle ne lirait peut–être jamais - un de plus - mais celui-ci faisait 1547 pages…

 

 

 

15 janvier 2014

L’ami

Quand son ami Jean, après les salutations d’usage, lui avait dit.

-          Tiens, jeudi dernier  j’ai vu ta femme au " café des cerises ", mais je n’ai pas osé aller lui dire bonjour.

Intrigué il rétorqua.

-          Ah bon ? Et pourquoi ?

-          En fait elle était avec un type et… ils avaient l’air tellement pris par leur conversation que j’ai eu peur de les déranger.

Il ne répondit rien. Qu’aurait-il pu  dire à Jean ? Qu’il le  remerciait, au nom de leur amitié, de lui signaler que sa femme avait des conversations « passionnées » avec un autre homme ?

C'était sans doute absurde mais, depuis ce jour-là, un soupçon empoisonnait sa vie…

13 janvier 2014

Duo

Aujourd’hui, avec caro-carito, nos textes se croisent en un  duo stimulant : son texte est sur Presquevoix, quant à mon texte, il  est sur son blog.

La consigne était la suivante : écrire  à partir de cet article.

 

Un dieu familier

 

Une menotte dodue tente d’arracher la photographie qu’elle tient entre ses mains. Vanessa gronde doucement « Ma photo de classe ! Pas touche, Minouchette... » Heureusement, un oiseau fait une plongée non loin de la petite, elle tourne la tête. Minouchette aperçoit alors ses camions rouges et bleus. Oubliée la photo !

Trente et un élèves. Vanessa se tient au deuxième rang sur la droite. On est toujours mal fringué sur les photos de classe, tendance qui s’accentue avec le temps. Des bouches crispés et les yeux fixés sur le photographe. Vanessa ne sourit pas. On disait d’elle qu’elle était étrange. Sans doute murmurait-on bien d’autres choses car Vanessa surprenait parfois des regards en dessous. Elle n’avait jamais voulu savoir.

Bizarre et un peu effrayante depuis ce jour où une des grandes 3ème 5, une Patricia, l’avait cherchée. Vanessa s’était défendue, mordant, griffant. À la fin, elle lui avait jeté des mots comme une malédiction, comme dans les sagas familiales qu’elle dévorait en cachette. Genre : « Tu me touches, quelque chose te le fera regretter !» Bien sûr, elle n’avait ni troisième œil, ni fluide particulier mais le lendemain la Patricia était tombée. Bilan : une vilaine fracture, opération lourde, absence. On laissa Vanessa en paix, elle était bizarre cette fille.

Elle passe son index sur les visages dont les noms lui reviennent lentement en mémoire, le papier est froissé par endroits, les ridules des années, même sur les photos. Elle n’a jamais su ce qu’ils étaient devenus.

Elle se souvient d’un cours où le prof avait parlé des divinités du panthéon romain. Elle n’avait retenu que ces étranges dieux gardiens, les pénates qui se transmettaient de génération en génération. Elle avait aussitôt transposé la présence de ces petits dieux héréditaires dans la réalité. Elle imaginait sans peine celui de Constantin, une statue  tirée à quatre épingles lui soufflant à l’oreille de devenir comme son père et sa mère médecin. Celui de Frédéric au corps sans doute identiquement noueux. Celui-là ne devait causer que de tracteurs. Celui de la jolie Lucie devait avoir l’accent de cette mère qui joignait difficilement les deux bouts et  qui encourageait sa fille à être instit : elle savait y faire avec ses deux petits frères. Instit ou, si c’était trop dur, garder des enfants, même si sa fille était la plus brillante de leur classe. À moins d’un coup de pouce du destin, tous suivraient ce qui avait été tracé par ces dieux discrets et efficaces.

Vanessa scrute certains visages, elle les a peut-être croisés en retournant chez ses parents pour un week-end sans les reconnaître. Pour certains, elle devine sans peine ce qu’ils sont devenus : pas grand-chose. Si elle n’a jamais possédé de don ou d’aucun talent relevant de l’étrange, Vanessa sait décrypter ce que cachent les replis des autres : entre attitudes, mots, vêtements choisis avec soin ou avec provocation, négligence aussi, déceler l‘expression trop contrôlée ou cette posture quand l’on se croit inobservé.

Vanessa repose la photo. Trente et un visages et, comme toutes les photos, pas un pli. Même la présence de la fille étrange se fond avec celle des autres. À la surface.

1 2 > >>
Presquevoix...
Newsletter
9 abonnés