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Presquevoix...
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31 octobre 2013

La boîte

Quand il allait dans le cabanon au fond du jardin, c’était toujours avec le masque de plongée et le tuba, il faut dire qu’il y avait les odeurs … Aller « aux cabinets », comme sa grand-mère disait, c’était toute une expédition, surtout pour lui qui venait de la ville.

Ce matin-là, dans la cuisine, il avait astiqué le masque de plongée avec le produit à vitre afin de mieux voir les ailes des petites mouches bleues qui voletaient près des « cabinets ». Une fois le masque et le tuba installés, il était parti en courant. Juste avant d’arriver au cabanon, il avait remarqué un monticule de terre qui n’était pas là la veille. L’explorateur s’était baissé, avait fouillé le sol de ses doigts impatients et il avait découvert la boîte de bonbons : une petite boîte en fer avec des violettes dessus. Il l’avait ouverte et son visage était devenu d’une pâleur mortelle. Il lui avait fallu s’asseoir pour reprendre ses esprits. Autour de lui, le paysage semblait s’être figé. Le soleil avait disparu et les nuages couvraient le ciel d’un voile menaçant. La boîte, elle, était toujours sur l’herbe, ouverte, et il y avait encore dedans ce doigt, tout petit et si blanc.

Lentement il s’était levé, les yeux mi-clos, il avait fermé la boîte, l’avait glissée dans sa poche et avait placé son mouchoir dessus. Toute la journée, il avait eu l’étrange sensation que le petit doigt bougeait et cherchait dans l’intimité de sa poche des indices sur le petit garçon qu’il était ; sans doute voulait-il savoir s’il pouvait se confier à lui ?

Il partagea son intimité pendant une semaine. Parfois l’enfant sortait la boite du tiroir de la table de nuit – il avait décidé que ce serait sa « maison » - et la déposait sur son lit, mais jamais il ne l’ouvrait.

Puis un jour, des policiers arrivèrent. Ils étaient deux. L’un avait une moustache, l’autre non. On interrogea sa grand-mère, on l’interrogea. Un corps d’enfant avait été trouvé non loin de chez eux, près de la rivière et le petit doigt de sa main droite avait disparu. On leur montra une photo de la petite fille. Elle devait avoir le même âge que lui, 10 ans peut-être, et elle s’appelait Marine. Rien de ce que dirent les policiers n’étonna l’enfant, son petit doigt lui avait déjà tout raconté. Devait-il pour autant leur confier qu’il lui avait aussi révélé qui était l’assassin ?

29 octobre 2013

L’attente

Elle faisait toutes les files d’attente, même les plus improbables, juste pour rompre sa solitude. Que n’aurait-elle donné pour quelques mots échangés sur tout et rien ? Le soir quand elle rentrait, fourbue par ces heures passées debout, elle se disait pourtant que sa journée n’avait pas été inutile ; elle s’était même fait des amis, le temps d’une queue…

 

27 octobre 2013

Duo

Nouveau duo avec caro-carito du blog les heures de coton, nos textes se croisent sur le thème du voyage : son texte est sur Presquevoix, quant à mon texte, il  est sur son blog.

La consigne était la suivante : écrire à partir de la première sculpture de Bruno Catalano vue sur ce site.

 

                                                              _______________________________

 

Les voyageurs

-  Tu les vois ?

Non, je ne les voyais pas, je ne discernais même pas son visage. Loïc était ailleurs, le regard perdu dans une mer qui s’écrasait en gémissant contre les soubassements de granit. La ville, elle, se taisait.

Je ne les voyais pas, je ne les avais jamais vus, je ne les verrais jamais, les voyageurs comme il disait.

Il avait commencé à m’en parler le jour de ses 17 ans. Des silhouettes glissantes et silencieuses qui se faufilaient sur les remparts et disparaissaient aussitôt, avalées par la brume saline. La bande avait passé la soirée devant quelques pintes de bière jusqu’à ce que le patron nous pousse dehors. Nous n’avions pas l’esprit clair, tous, lui, moi, alors que nous faisions durer notre dernière canette, exposés à la nuit acide et froide qui soufflait. Il me montra une masse indistincte au loin : « Les voyageurs », n’arrêtait-il pas de répéter. La trace ombreuse de ses mots glissait sur moi. Sans doute, je m’étais persuadée que ce rêve éveillé disparaîtrait avec l’aube. Je ne sais plus. A dix-sept ans, nous rêvions encore de départs en solitaire et de demain qui tiennent debout ; nous partagions la folie de vouloir partir ou fuir, deux mots qui, à dix-sept ans, ont la même saveur.

Le dernier soir, il se tenait debout à quelques centimètres de ma peau. Je sentais encore notre dernière nuit vibrer entre nous. Enfin je parle pour moi parce que lui ne pensait qu’à eux, ses foutus voyageurs. Nous aurions pu nous aimer, je crois. Dans la bande, nous étions sortis avec d’autres, Marc ou Baptiste, Angèle… Et puis, parce que c’était l’évidence, lui et moi, alors que le bahut était déjà loin, que nos espoirs s’émoussaient. Ici, l’avenir n’existe pas, même le présent a du mal.

Cette nuit-là, je l’ai laissé là et je suis rentrée, à bout de froid. Le lendemain, il avait disparu. Plus tard, Baptiste m’a montré l’entrefilet dans le journal. Le corps c’était le sien, glacé d’avoir été traîné par la mer, bleu comme elle, une sale teinte givreuse. Ce n’était plus lui.

Quand le chagrin ne m’a plus mordu le corps, je suis retournée au chemin de ronde qui domine la mer. Ce n’était même pas les grandes marées, quand le sel et les larmes giclent jusqu’aux premières ardoises des toits. J’étais debout, le vent me bousculait à m’en faire perdre le nord. Croire à quelque chose, ça fait toujours du mal. Ma mère s’était abimée à coups de prières et de cierges dont les flammes s’éteignaient trop vite. Mon père lui, croyait à la chance, le prochain canasson, le prochain numéro, la prochaine radasse qui lui ouvrirait son cœur. Ou ses cuisses. Loïc croyait aux voyageurs dévorés par le vide. Chacun sa came.

Je ne croyais pas en rien, le rien demande trop. Je croyais en un pas grand-chose mouvant. Tiens, par exemple, la vie pouvait bien se nicher dans le va-et-vient des vagues. Mais ce qui avait eu le plus de poids dans cette jeunesse que je trimballais encore, c’était sa respiration légère dans mon cou, ses mains qui jouaient une partition savamment apprise sur mon ventre, mes seins, mes hanches, chaque pouce de mon corps, cette faim de moi qu’il avait eue, au début. Ensuite, il était parti à leur recherche, les voyageurs.

Je regarde maintenant l’eau qui tourbillonne à mes pieds ; le froid s’agrippe à moi avec son souffle rêche. C’est ici qu’il les a rejoints et m’a laissée seule avec cette évidence que je n’avais jamais voulu accepter puisqu’il était là : lui pas plus que les voyageurs ne pouvaient rien pour moi. Aller ailleurs, croire ou pas, aimer ou oublier. Trouver autre chose ; mais pas lui que je ne reverrai que dévoré par la mémoire, ni eux que je n’avais jamais croisés.

Je me retourne sans plus un regard ; la mer ne m’est rien. Demain matin, je partirai vite et rejoindrai la salle de gare, le train, le wagon qui m’emmènera, une valise à la main.

 

25 octobre 2013

Reconversion

Après avoir été professeur de français - 25 ans de loyaux et fastidieux services dans un lycée public de la banlieue parisienne – elle était devenue « Maîtresse ».
 Sur le blog qu’elle avait créé, elle se décrivait ainsi : «  Maîtresse-femme -  mûre -  vous reçoit en son Donjon du lundi au vendredi, de 14 h à 17 h. Soyez le bienvenu au jardin des supplices !  ». S’en suivaient un mail, quelques photos, ainsi qu’une liste impressionnante d’instruments qu’elle avait placés dans son ancien bureau transformé pour l’occasion en scène sado-maso.
Sa petite affaire commençait à prendre tournure à raison de deux clients par jour, elle n’en souhaitait pas plus.
Tout en les fessant et fouettant – avec un sens de la mesure qu’elle calait sur une musique de Bach ou de Scarlatti -  elle repensait aux heures abominables passées à faire absorber aux élèves, rétifs pour la plupart, des notions qu’ils régurgitaient aussitôt.
Par contre, avec ses clients, rien de tel. Ils lui obéissaient au doigt et à l’œil et elle en ressentait un plaisir qui n’avait jamais été égalé sur la scène pédagogique…

 

 

23 octobre 2013

Le gentil

Il était gentil, c’est ce qu’on disait de lui parce qu’on ne savait pas quoi dire d’autre. Souvent, il répétait en écho ce que les autres énonçaient, comme s’il avait peur d’exprimer une opinion quelconque. Et parfois, il se donnait même la peine d’achever leurs phrases avant qu'ils ne le fassent eux-mêmes.
Oui, il était vraiment gentil, sauf le jour où il tua le chat de sa voisine en lui tordant le cou. Nul ne comprit pourquoi…


21 octobre 2013

Trazos sueltos

raph21Une fois n'est pas coutume, un petit coup de pub pour un projet cirque/danse/théâtre - trazos sueltos - de la compagnie Wild Lines". Il s'agit d'un parcours itinérant en Equateur, au Pérou et en Bolivie. Voici ce qu'en disent les membres de la compagnie  :

" Si la ligne droite se définit comme « la façon la plus courte d’aller d’un point à un autre », cela n’implique pas nécessairement qu’elle soit la plus intéressante ! Tel est le parti pris du projet de spectacle vivant TRAZOS SUELTOS, parcours itinérant entre l’Equateur, le Pérou et la Bolivie - de novembre 2013 à juin 2014 - qui mêle les disciplines du cirque, du théâtre et de la danse. Successivement dans les villes de Portovelo (Equateur), d’Iquitos (Pérou) et de La Paz (Bolivie), la compagnie élit un lieu de résidence pour une durée de deux mois, afin d’y transformer des espaces publics en lieux de création totale à l’air libre."

Pour lire la suite du projet, le soutenir ou en parler autour de vous : cliquez ici !

PS : photo de Raphaelle Balland, membre de la compagnie Wild Lines


19 octobre 2013

Le mât

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- Chiche, si tu montes, je monte !

Il n’était pas monté, elle non plus, et tous deux contemplaient le mât sur le quai que la foule avait déserté. Terminés les défis, pensa-t-elle déçue. Elle le laissa seul  et ne lui dit pas même au revoir. Comment  avait-elle pu l’aimer ?

PS : Photo de C. V. prise durant l'Armada, à Rouen.

17 octobre 2013

Le retour

Rentré plus tôt de son déplacement à l’étranger, il eut la désagréable surprise de trouver – scénario ô combien classique – sa femme dans les bras d’un inconnu. Décidé à ne pas se départir de son calme, il ferma la porte de la chambre – la sienne, en l’occurrence -  il mit ses boules quiès et il vaqua à ses occupations comme si de rien n’était…

15 octobre 2013

Le tricot

Elle tricotait devant la télévision, une bonne façon de diminuer ses angoisses, surtout lorsque la nuit tombait. Elle distribuait ensuite généreusement le fruit de son travail. Elle avait déjà donné 20 pulls et s’étonnait de n’avoir jamais vu quiconque en porter un seul. Il faut dire que, trop étroits ou trop larges, avec leurs mailles trop lâches et leurs manches trop longues ou trop courtes, ils n’allaient jamais à personne. Mais qui aurait pu le lui dire ?

13 octobre 2013

Le virage

Quand je lui ai dit « J’ai viré de bord ! », Christophe a cru que je votais FN ! L’imbécile ! Comme si on pouvait passer de l’extrême gauche au FN ! Comme il me connaît mal ! Rien que ça, ça m’a découragé d’aller plus loin. Ma confidence, je la ferais à quelqu’un d’autre.

L’après midi, j’ai téléphoné à Juliette, peut-être qu’avec elle, j’aurais une chance... J’ai commencé de la même façon « J’ai viré de bord ! ». Et elle s’est exclamée d’un ton désinvolte.

- Oh, ça arrive à tout le monde !

Comment ça ? Ça arrive à tout le monde ! Ça m’étonnerait bien que ça arrive à tout le monde ! J’ai préféré ne pas insister et je suis  passé à autre chose.

Le soir même, j’ai téléphoné à Jean, un copain que j’ai connu chez Manpower, une agence d’intérim. Quand je lui ai dit « J’ai viré de bord », il m’a demandé atterré.

- T’es devenu pédé ?

- Tout juste, lui ai-je répondu, content d’être compris.

Et il m’a raccroché au nez.

 

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