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Presquevoix...
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27 septembre 2013

Duo

Aujourd’hui, avec caro-carito du blog les heures de coton, nos textes se croisent pour un nouveau duo : son texte est sur Presquevoix, quant à mon texte, il  est sur son blog.
La consigne était la suivante : écrire à partir de ce portrait de Quentin de La Tour et de ce titre : les mauvaises raisons

 

Les mauvaises raisons

Quand il m’a embrassée sur la nuque, j’ai compris que j’étais en train de tomber bêtement amoureuse de lui. Je relevai la tête, ce regard vert d’eau, je n’y échapperai pas. Quand mes doigts s’approchèrent de ses lèvres, je sus que j’étais amoureuse. Pour de mauvaises raisons, même si je n’en étais pas consciente.

Le tableau de Quentin de la Tour me revint en mémoire un peu plus tard, un jour où, assise sur un banc place Saint-Sulpice, j’apprenais déjà à l’attendre. Étalée devant moi, une revue que je ne regardais pas : l’Officiel des spectacles ou bien Télérama ou même Métro ou 20 minutes. J’avais rapidement parcouru un encart sur le Louvre et une exposition temporaire des dernières acquisitions du musée. L’article citait quelques œuvres dont un autoportrait au rieur de Quentin de la Tour. Mon père aurait aimé le contempler

J’étais là, en bord de rive gauche quand une part d’une enfance et d’une adolescence confinées me revint en pleine face. Tous ces après-midi étouffants où je suivais mon père dans les couloirs de Guimet, Marmottan, Cluny, tandis que ma mère plongeait dans les délices des Feux de l’amour, paresseusement allongée au milieu de coussins de soie. Ainsi, j’avais droit pendant tout l’été, aux vacances de Toussaint et à Pâques, à une overdose de maquettes de train, de fusils de chasse et d’escopettes, de vierges crucifiées sur le mur d’une chapelle humide et oubliée. Mon père parfois choisissait de visiter quelques châteaux ; il suffisait d’un trop plein de lumière pour que les jardins m’y apparaissent comme un paradis.

Le soir, nous rentrions à temps pour passer à table. Pendant que nous avalions un repas sans saveur, mon père et ma mère soliloquaient. L’un énumérait tous les témoins de l’histoire qui avaient jalonné nos visites L’autre étoffait l’intrigue inexistante de ses programmes préférés de détails froufroutants et de noms de starlettes dont je ne connaissais pas le visage. Mon père m’avait formellement interdit de me farcir la cervelle avec de telles inepties. Non seulement la teneur de ces programmes frisait l’imbécilité, énonçait-il, mais en plus les John et Pamela fleuraient trop le mauvais accent anglais. La télé avait été reléguée dans la chambre conjugale, domaine qui m’était interdit. Je devrais dire, plus réalistement, la chambre de ma mère, mon père dormant depuis longtemps sur un lit d’appoint dans son bureau.

Alors à défaut de héros aux larges sourires made in USA, je rêvais devant les Apollons en marbre, les gentilshommes galants de Fragonard, les regards ténébreux des portraits du Caravage. À 14 ans, bien évidemment, je tombais follement amoureuse d’un de ces Adonis. Le buveur d’eau de Quentin la Tour. Le soir, je laissais mes parents rabâcher leurs obsessions et me délectais de la mienne. Bien évidemment, avec toutes ces visites, je me montrai infidèle au jeune espagnol. Le premier ? Le tricheur de l’autre De la Tour. Je peux bien l’avouer, j’ai un faible pour les bruns peu recommandables.

Javier arriva alors que je venais de me faire accoster par un de ces hommes esseulés qui hantent les grandes villes. Les cloches de l’église sonnaient. None, aurait commenté mon père. Javier me prit par le bras, il nous fallait partir vite. Nous avions rendez-vous à l’autre bout de la capitale et nos amis attendaient, eux aussi.

La nuit était là. Des papillons voletaient autour des bougies claires. Nous riions à ces conversations légères que l’on oublie si facilement. Quand je le vis porter aux lèvres son verre, j’en eus le souffle coupé. J’avais cru voir le vivant portrait du jeune buveur d’eau. Je sortais mon Smartphone pour une photo volée. Préserver l’instant.

Prétextant un rendez-vous professionnel à Rouen le lendemain matin, Javier me déposa en bas de chez moi. Il effleura ma nuque avant de me laisser sortir de la voiture. Immobile au milieu du trottoir, je vis sa voiture disparaître au tournant de la rue Vaillant-Couturier. Je retrouvai alors le gout doux-amer de mes rêveries adolescentes. Et autant de mauvaises raisons.

Commentaires
P
Beau texte avec un décalage éducatif entre le père et la mère. Toutes ces visites de musées, de châteaux ont su aiguiser son sens de l'observation. Une richesse quand dans la vie de tous les jours elle arrive à retrouver une émotion qu'elle a ressenti devant un tableau... C'est beau :-)
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P
Le grand écart dans cette famille ! texte fort agréable comme toujours où tu remets un peu d'unité en prenant le buveur d'eau au Smartphone ;) c'est ça les feux de l'amour !
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G
Le portrait que la narratrice brosse de sa famille m’a fait sourire. Ce grand écart surtout ! L’attente favorise les analepses et ici, tout le plaisir est pour le lecteur…Quant aux papillons, ils semblent aussi légers que Javier, et je peux te dire que lui, je ne l’ai jamais vu à Rouen ; il a menti ! ;)
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