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Presquevoix...
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20 juillet 2013

La statue

Le collage est de Patrick Cassagnes, le texte a été écrit à partir de son collage et posté sur notre blog " je double ", il y a bien longtemps...

                                                                        La statue

statue-1Très tôt, bien avant la scène fatale, le bruit avait  couru que M. de Kerandec était devenu fou. Pourquoi s’était-il perdu d’amour pour la statue près du bassin aux nymphéas ? Sa femme ne se l’était jamais expliquée.

 La statue était un héritage du père de Madame de Kerandec qui en avait lui-même hérité de son propre père. Le sculpteur, Giulio Marfaglio, était un homme qui avait mené une existence d’ermite après la noyade de la jeune femme qu’il aimait. Suicide ou accident ? Personne ne l’avait jamais su. Madame de Kerandec se souvenait du trouble de son mari lorsqu’elle lui avait raconté cet épisode de la vie du sculpteur il y a un an. Depuis, tous les après-midi, il rendait visite à la statue.

 Au début, elle n’avait rien trouvé à redire. Quoi de plus normal pour un amoureux des arts que d’admirer une statue ? La première chose qui l'alarma fut quand son mari revint la main en sang,  lui expliquant qu’un animal  s’était jeté sur lui et l’avait mordu. Elle appela Ernestine pour le soigner, mais elle ne put s’empêcher de noter une série de détails troublants dans sa tenue : son pantalon était maculé de terre, ses cheveux étaient en désordre et son regard avait changé.

 Le lendemain, Madame de Kerandec n’y pensa plus et vaqua à ses occupations habituelles : la distribution des tâches au personnel, la lecture du courrier et le tour de la roseraie. Lors de sa promenade, elle passa près de la statue et remarqua des traces de doigts sur son corps blanc. Elle jeta un regard vers le visage si pur et trouva les yeux de la femme en marbre étrangement vivants, était-ce une impression ?

 Le deuxième incident qui l’inquiéta, une semaine plus tard, ce fut ce filet de sang qui coulait de la bouche de son mari lorsqu’il revint de sa promenade dans le parc. Il n’expliqua rien et elle préféra oublier l’épisode.

 Les jours succédèrent aux jours sans que rien d’autre ne vînt troubler l’harmonie du château à part la distraction permanente de M. de Kerandec, sa distance marquée vis à vis de sa femme - voilà deux mois qu’il ne la touchait plus - et cette terre qu’il ramenait parfois de ses promenades dans le parc. Madame de Kerandec n’était pas particulièrement encline à ce qu’elle appelait pudiquement « la gymnastique des corps », mais elle  souffrait de sa disgrâce.

Elle parcourait souvent le parc, sécateur à la main, redressant une tige par-ci, coupant une fleur par-là. Elle n’était pas sans apercevoir son mari errant dans les allées mais, jusque-là, elle n’avait jamais eu l’idée de le suivre jusqu’à la statue. Ce mardi, pourtant, elle se cacha dans un bosquet  près du bassin. Elle observa la statue à travers les branchages, comme une voleuse, et attendit fébrilement que son mari apparût.  Elle  regretta amèrement sa curiosité.

 Quand M. de Kerandec arriva, elle l’entendit prononcer des phrases à voix haute, comme des incantations, puis il retira ses chaussures et s’agenouilla devant la statue, les mains jointes. Il était de dos et elle ne pouvait voir son visage par contre, elle remarqua que la statue n’était plus tout à fait la même, comme si à force d’être regardée, elle acquérait une humanité. Devenait-elle folle, elle aussi ? Son mari se leva, s’approcha de la femme en marbre et caressa son buste nu, non comme un artiste aurait pu le faire devant un buste qu’il aurait créé, mais comme un homme soucieux d’éveiller le désir chez la femme qu’il aime. Madame de kerandec dut baisser les yeux. Au bout de quelques minutes elle les releva  et constata que son mari était nu. Effarée, elle voulut partir, mais le froissement de sa robe et le  bruissement des feuilles attirèrent le regard de son mari. Il la vit. Elle se souviendrait toujours de son visage bouleversé et de ses mains qui semblaient l’implorer, mais elle s’enfuit précipitamment.

 Il ne rentra  pas au château ; la nuit tomba et il était toujours dehors. Le lendemain, le jardinier arriva très tôt  et demanda Madame ;  M. de Kerandec s’était pendu près du bassin aux nymphéas.

 

PS : ce texte sera le dernier de ce mois, puisque je fais une pause estivale. Retour le 2 aout, mais avec des publications plus espacées.

19 juillet 2013

Le corps d’athlète

Hier, son mari s’est allongé sur le palier du premier étage et il a commencé à faire de vagues mouvements avec ses jambes. Elle s’est inquiétée.

-   Qu’est-ce que tu fais ?

-   Je me sculpte un corps d’athlète ! a-t-il répondu

-   Tu crois que tu vas y arriver ?

-    Occupe-toi de tes fesses ! a-t-il conclu.

Une fois dans la salle de bain, elle  a regardé ses fesses, dans toute la crudité de la lumière blanche. Oui, effectivement, ses fesses ramollissaient…

18 juillet 2013

L’ange

Ils sont dans une salle de concert. Le pianiste joue Satie. Elle est assise rang C, lui rang D. Ils sont  l’un derrière l’autre. Je les observe depuis longtemps, c’est moi qui les ai rapprochés. Lui, c’est sa première sortie depuis sa rupture. Elle, elle ne sort avec personne et, ce soir-là, son humeur est mélancolique.
J’ai préféré que ce soit elle qui fasse le premier pas, je me doutais que lui n’en aurait pas le courage. Elle lui tape légèrement l’épaule, il se retourne et voit une jeune inconnue qui lui sourit. Elle semble lui plaire, je le vois à ses yeux : quand il aime, ses yeux ont une couleur particulière. Elle lui demande s’il peut ramasser son programme tombé sous son siège. Il le fait et le lui tend. Après le concert, ils sortent ensemble et bavardent dans le hall. Joli couple, vraiment, une intuition extraordinaire : ils ont déjà l’air complice.
Je me demande, maintenant, quelle partition ils vont jouer… mais ça, même un ange ne le sait jamais d’avance.


17 juillet 2013

Les pellicules

Le coiffeur lui avait dit que c’était un produit miracle. Avec ça, les pellicules disparaitraient en un mois. Et effectivement, elles disparurent : il devint chauve !

16 juillet 2013

Duo

Aujourd'hui, duo de juillet avec Caro-carito du blog les heures de coton. Les consignes étaient les suivantes : utiliser cette phrase de Christian Bobin - Les jambes de vingt ans sont faites  pour aller au bout du monde.  Tout au moins je le croyais - et nous inspirer de cette image.

Ci-dessous, vous pouvez lire son texte ; quant au mien, il  est sur son blog.

 

Paris, juillet 2013

Un pas devant moi

Je l’ai toujours connu et, en même temps, je ne le connais pas vraiment. Nous avons grandi côte à côte. Un seul mur partagé par nos maisons mitoyennes, un grillage vert entre deux rectangles de pelouse traçait une limite fragile entre nous. Une frontière que brisait l’ombre du vieux prunier.

Je le suivais partout dans sa course jamais interrompue : le long de notre rue, de la maternelle au lycée, sur les bancs du stade où il lançait un javelot, toujours plus loin. Un pas derrière lui quand il me traîna dans ma première boum. Et aussi plus tard quand je faillis le planter là, au milieu du trottoir, avant de le suivre dans cette soirée embuée de fumée de cigarettes. Ce soir-là et d’autres par la suite, au cours desquels son visage émergeait, souriant, rieur. Deux yeux sombres, sans une once de concession. Faits pour foncer. Avertissant tous ces gens qui se révoltaient tranquillement avant de se fondre dans une vie sans relief de ne pas s’y frotter. Je restai. A ses côtés, moi l’indécise, je me découvrais étrangement vivante, en relief.

Il est parti, déroulant sa vie sans hésiter. On the road*. Je m’inscrivis à la fac la plus proche, Valenciennes. Nous ne croisions plus, ni à Noël que j’évitais, ni pendant l’été, il baroudait toujours ailleurs. Je reçus juste une carte d’anniversaire avec sa signature, un bisou chiche et cette phrase « Les jambes de vingt ans sont faites pour aller au bout du monde.  » Je décidais de l’oublier puisque tout s’efface, mais je gardais la phrase, prenant un billet pour l’Inde, puis la Hongrie… la Nouvelle-Zélande. Le bout du monde, ça fait toujours un but. Un jour, ses parents ont déménagé, les miens se sont séparés. Il est devenu un de ses visages qui apparaissent sans raison au milieu de nos pensées et sur lequel on n’arrive pas à remettre un nom, un lieu, une anecdote. Le passé nous échappe si aisément.

Je sais que sans lui, je n’aurais pas mis un pied devant l’autre, je n’aurais jamais osé avancer, décider, croire. Je serais restée là, le nez en l’air, les mains dans les poches. Les traces que les autres laissent en nous, on ne sait pas les reconnaître ou on ne veut pas vraiment. Dans cette ville d’enfance, grande comme un mouchoir de poche, nous nous sommes retrouvés, nos enfants déjà adolescents, nouveaux conjoints ou relation sur le fil de nos quarantaines. Sur nos smartphones, nos parents avaient des cheveux blancs et semblaient avoir rétréci.

Nous nous sommes retrouvés. Lui marchait toujours un pas devant moi, même si les routes deviennent plus incertaines au fil des ans. Il fut facile de fixer une heure pour se retrouver au Gibus. De s’y rendre à chaque fois que l’un de nous débarquait. Quand nous sommes entrés dans ce bar au décor identique, il a commandé une queue de singe ; le patron a rigolé : « Tiens, v’là les anciens. » « La première fois que j’en ai goûté un, j’ai détesté, mais bon ça faisait classe, non. » Je murmurai un vague assentiment, j’avais été une abonnée fidèle du lait fraise. Après était venu le moment des bières ou des cafés bien serrés en journée. Je posais ma tête contre son épaule. Comment faisions-nous pour ne pas voir que nous avions vieilli ? Nous parlions à demi-mot d’eux, famille, travail, ennuis ; nous évoquions aussi nos envies, nos rêves, nos erreurs.

Lors d’une fête chez des potes ou un cousin, ce fut l’occasion de découvrir nos conjoints, revoir nos parents. Ma tante se pencha vers moi alors que Marc allait me chercher un verre. J’eus un léger mouvement de recul, allait-on encore me demander pourquoi nous n’étions jamais sortis ensemble, me ressasser le « Vous êtes si mignons ensemble. » À 48 ans, on ne tombe pas amoureuse d’un gars qui aura toujours 16 ans.

Il y eut simplement ces mots : « Vous ne vous êtes pas vu pendant un bon moment. » J’ai hoché la tête. Comment expliquer qu’il avait toujours été là, un pas devant moi.  En me quittant et me donnant cette phrase, il avait fait que la gamine paresseuse que j’aurais pu être, nez en l’air et prête à ne rien faire, soit autre. Qu’il soit présent ou que son absence ne se tisse que de quelques mots, je lui avais toujours emboîté le pas.

 

* sur la route

15 juillet 2013

Voler

Moi, je voulais être hôtesse de l’air mais je n’ai pas pu. J’avais les langues mais pas les mensurations, aucune compagnie ne m’a acceptée. Du coup j’ai fait une dépression et je suis allée voir un psychiatre. Au troisième rendez-vous il m’a dit : quand un projet  bat de l’aile, il vaut mieux en faire son deuil ! Vous, ce qu’il vous faut, c’est voler de vos propres ailes.  

14 juillet 2013

Le filet à prévisions

Dans son filet à prévisions, elle avait toujours deux ou trois prophéties  à raconter, au cas où…  Les  gens veulent souvent  savoir de quoi demain sera fait, cependant, n’est-il pas dangereux de bousculer l’avenir ?

13 juillet 2013

Vacances

La petite fille pleure et pousse un mini-chariot en suivant sa mère dans l’allée centrale de l’hypermarché. Son visage est congestionné, on la menace.
- Si tu continues à pleurer comme ça, je le dis à papa quand on rentre !
Aucun effet. Agacée, la mère reprend en crescendo.
- Je vais quand même pas t'acheter des trucs pour la plage alors qu'on part pas en vacances ! T'as pas encore compris qu'on part plus en vacances ? C’est fini les vacances !
Et, l'une derrière l'autre, elles s'éloignent dans l'allée, la mère vociférant, la petite fille redoublant de pleurs.

12 juillet 2013

La porte du Moi

Quand le psychiatre est passé à l’atelier d’art-thérapie, il a regardé la photo que j’avais choisie et il m’a dit.


- Alors ?


Et je lui ai répondu.


- Alors voilà, c’est Moi !
- Intéressant, a-t-il rétorqué en se frottant le menton.


Il  m’a souhaité bon courage pour la suite et il a continué son tour d’atelier. Le psychiatre ne s’embarrasse jamais de mots. Je me demande s’il ne file pas un mauvais coton, seulement maintenant,  je m’en fous, je ne suis plus Dieu. Il faut dire que j’ai été Dieu pendant trente ans, c’est long trente ans. Maintenant j’essaie d’être Moi. C’est pour ça que j’ai choisi la photo de cette porte rouillée avec le barbelé. Le barbelé c’est pour me protéger des intrusions.


Quand j’étais Dieu, ce qui me fatiguait, c’est que j’étais toujours au-dessus de tout le monde, je n’avais pas un moment pour penser à moi. A l’hôpital, on m’avait bien dit qu’un jour je me fatiguerais d’être Dieu et que je devrais trouver quelque chose de moins stressant pour ma retraite. Ils avaient raison. Maintenant j’ai décidé d’être Moi. C’est aussi mal rémunéré qu’être Dieu – j’ai 776,59 € par mois  -  mais j’ai du temps pour Moi. Il faudra que je demande au psychiatre si ça fait mal d’être soi.


En tout cas, avec les barbelés, il y a moins de risque de se faire marcher sur les pieds. Parce que de vous à Moi,   passer de Dieu à soi, c’est pas gagné.

PS : texte écrit, il y a longtemps, dans le cadre de l’atelier des «  impromptus littéraires ».


11 juillet 2013

Le Noir

Quand il draguait une blanche et qu’elle le repoussait, il hurlait furieux : " Tu ne veux pas me parler parce que je suis noir ? Pourtant tous les sangs sont rouges ! ". Cette entrée en matière lui apportait parfois d’agréables surprises…

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