Pour le duo suivant, le collage de Patrick a inspiré mon texte. Ces duos sont tous sur le blog jedouble.
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Il lui avait demandé.
- Tu connais l’histoire du petit chaperon rouge qui se promenait dans la forêt argentée que Dieu a brûlée ?
C’était la deuxième fois qu’elle le rencontrait et elle le trouvait étrange, toujours traînant ses sacs en plastique accrochés au guidon d’un vélo rouillé. Elle aurait voulu ne pas s’arrêter, ne pas lui parler, mais la curiosité était plus forte. Il lui fit signe de s’asseoir sur le banc, posa son vélo contre le mur et prit place à côté d’elle.
- Tu n’as pas peur de moi, hein ?
Elle ne répondit rien et attendit.
- Tu n’es pas bavarde toi, se contenta-t-il de dire.
Et il commença l’histoire de la forêt argentée, une histoire où il fit intervenir le chaperon rouge et même le Petit Poucet. Elle n’en demandait pas tant, elle qui n’avait jamais connu les histoires que l’on raconte à l’heure où la nuit dépose ses voiles de soie sur les yeux des enfants. Depuis qu’elle était née, elle avait seulement entendu des voix impatientes qui lui disaient « Au lit, dépêche-toi ! » ou « Allez, on éteint ! » Mais pouvait-elle en vouloir à ses parents ?
Cette forêt que l’homme lui racontait, n’était-ce pas la sienne, celle dans laquelle elle se promenait quand elle accompagnait le troupeau de ses rêves au cœur des vallées nocturnes ? Et le long flot des phrases qui racontaient l’incendie n’était-ce pas la brûlure de sa famille ?
Elle ne lui posa qu’une question.
- Et Dieu, est-ce qu’il la fera réapparaître la forêt argentée ?
- Tout dépend du petit chaperon rouge.
Elle le regarda surprise ; son visage émacié, mangé par une barbe grise, lui parut soudain très sévère et ses yeux avaient pris la couleur froide des lacs de montagne.
- Je ne comprends pas, articula-t-elle.
Il continuait à la fixer comme un dieu exigeant. Soudain il s’empara de l’un de ses sacs en plastique, y plongea la main et en ressortit quelque chose qu’il dissimula immédiatement derrière son dos.
- Je vais te montrer quelque chose mais tu n’en parleras à personne, tu me le promets
- Promis.
Il lui tendit l’objet qu’il tenait caché : c’était une perruque dont les cheveux brillaient au soleil.
- Voilà ce que doit mettre le petit chaperon rouge pour que la forêt ne disparaisse pas.
- C’est pour moi ?
- Oui. Mets-là.
Elle hésita un instant, puis enfonça la perruque sur ses cheveux bruns. Elle sentit que toute force l’abandonnait et elle devint comme ces algues marines que la mer ballotte dans ses eaux troubles.
On ne revit jamais l’enfant, mais les parents firent-ils état de sa disparition ? L’homme, lui, est toujours là. Hier encore je l’ai vu devant le cinéma. Il avait déposé son vélo contre les grilles et il tenait fermement ses sacs en plastique à la main. Je me suis demandée ce qu’ils contenaient…