Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Presquevoix...
Archives
30 avril 2013

Duo

Aujourd’hui, avec caro-carito, nos textes se croisent en un  duo stimulant : son texte est sur Presquevoix, quant à mon texte, il  est sur son blog.

La consigne était la suivante : écrire  à partir de la photo ci-dessous, de Dominique Hasselmann.


Hé toi ! L’ancêtre !

D« Non, mais regarde sa tête… » Il suffirait que No s’approche d’un demi-millimètre pour que son visage s’écrase contre la vitre. « Tu ne trouves pas qu’il ressemble à ce connard d’orientateur, celui qui m’a presque traitée de gourde. » Chloé hoche la tête ; elle se souvient très bien du gars, chauve et barbu, avec un costume très laid. Elle s’était sentie transparente quand il avait lu sa fiche de renseignements avec ses vœux d’orientation. Et ça, jusqu’à ce que la mini-jupe de No et ses leggings fluo, ses lèvres brillantes de gloss entrent en scène. Il avait décortiqué de haut en bas l’adolescente, avec un arrêt sur chaque tatouage et chaque piercing. « Vous, je suppose que c’est CAP quelque chose dans le meilleur des cas. De toute manière, avec votre physique et votre look, vous ne pourrez pas espérer grand-chose de plus de la vie. » No avait continué à mâcher son chewing-gum sans broncher. La boxe ne lui avait pas simplement appris à foutre une branlée à qui elle voulait, le combat semblait lui avoir aussi enseigné une certaine retenue.

« Vise l’ancêtre, on dirait le vieux schnock ». Les yeux violines se fixent brusquement sur le dessin du barbu et s’obscurcissent : « La même tronche que… » Chloé voit battre à toute vitesse les cils épaissis par trois couches de mascara en même temps qu’ils s’approchent dangereusement de la vitre poussiéreuse. Elle est sur le point d’ajouter quelque chose, mais s’abstient, en voyant son amie s’engouffrer dans la boutique.

La vendeuse empaquette le fragile bibelot dans un papier parsemé de points d’interrogation colorés et, à l’aide d’une immense paire de ciseaux, fait naître une cascade de frisottis dorés. No s’empare du trophée scintillant avec un grand sourire et le fourre dans son sac. Chloé ne lui demande même pas si le cadeau plaira à son père. Un moule à gâteau où l’on peut lire asshole*… Tendue l’ambiance.

Les deux copines errent dans la ville et, au début de la nuit, se dirigent vers le House of Dreams**, ce QG miteux et sans lumière où l’on peut boire et fumer sans distinction. Quelques heures plus tard, quand le soleil poindra au zénith, la mob de Chloé déposera une No vaseuse devant l’hôtel particulier des Durand pour l’anniversaire du paternel. Une No qui ne fera pas d’esclandre insensé comme à son habitude. À quoi bon, sa famille envisage depuis sa naissance ou presque une longue descente aux enfers.

No offrira donc son cadeau à M. Père en provocation assumée. Ensuite, elle esquivera le repas officiel du soir. Au bout du compte, elle a compris. Sa seule arme, sa seule voie de sortie et d’une certaine manière sa seule vengeance possible se résument à partir et frayer avec les hauts et les bas de la vie. En omettant de se retourner.

Quant à Chloé, elle a flashé sur le portrait du vieillard. Un sacré mec nommé Freud d’après ce qu’en a dit la vendeuse, intarissable sur la vie dudit vieux. Alors l’année prochaine, psycho… ça peut le faire.

 

*    asshole : trou du cul

**  House of Dreams : la Maison des Rêves

Commentaires
B
Sympa, ce fragment d'histoire. J'ai bien accroché aux personnages.
Répondre
P
Dur de grandir avec des étiquettes que des adultes vous collent sur le dos! Etre en rébellion avec le modèle familial, elle est très connue cette histoire....<br /> <br /> Et en même temps dans ton texte on sent une vraie détresse et c'est cela qui nous touche.
Répondre
D
Bravo pour l'... interprétation !<br /> <br /> <br /> <br /> J'ai repensé à un film de Zabou Breitman, "No et moi", dans lequel mon fils fait une courte apparition...<br /> <br /> <br /> <br /> Belle réflexion sur le recrutement et ses a priori et l'avenir des jeunes.
Répondre
G
Un texte vif et pétillant, à l’image de No, qui entraîne une Chloé plutôt réservée dans son sillage « brillant ». Un univers que tu distilles subtilement, entre parcours scolaire, beuveries, et hôtel particulier. Chloé pourrait être le garde-fou de No. Et tant qu’à avoir une relation avec un vieux, autant que ce soit avec Freud ;)
Répondre
P
Freud dans les antiquités, c'est Onfray qui doit être content... dommage pour No : pas de CAP psycho... no future ! (et encore un super texte !)
Répondre
Presquevoix...
Newsletter
9 abonnés