Aujourd’hui, Caro-carito du blog « Les heures de coton » est l’invitée de Presquevoix avec son texte " Skyfall ". Quant à mon texte, il se trouve sur son blog.
La consigne était la suivante : écrire à partir de cette photo de ciel de Patrick Cassagnes
Skyfall
« Et les nuages ? » murmure-t-elle «ça flotte… » Surprise, Camille se tourne vers la droite. « Tardieu, n’est-ce pas ? » « Oui, Tardieu. » Elle dévisage l’homme ou plutôt le jeune homme. Julien, Julien Ferney. Tout juste embauché au service juridique. Pas mal. Elle se demande pourquoi elle se retrouve près de lui. Elle s’était assise à côté de Stéphanie, la nana du marketing parce qu’elle savait qu’elle tiendrait le crachoir toute la soirée, épatant la galerie… Elle n’aurait plus eu alors qu’à regarder le temps tourner en rond le nez dans les nuages. Le jeune Julien avait dû s’asseoir là par mégarde : en bout de table, à côté d’une fille muette. Et ça alors que tout un univers de femelles jacassantes, célibataires ou esseulées, se seraient volontiers jetées à son cou ? Off, la pensée favorite de Camille refait surface «Toutes des pétasses ! » avec le sous-titrage ad hoc « prêtes à tout pour harponner le premier BCBG (beau cul belle gueule, on s’entend) venu ».
Passée la surprise que le mystérieux Julien puisse conserver un souvenir des poèmes de Tardieu, Camille retourne aux nuages qui embouteillent le coin droit du ciel et au silence. Silence de ces retrouvailles entre services bisannuelles sur fond de discussions ineptes et alcoolisées. « Les nuages vous les photographiez ? Ou vous les peignez ? Pourquoi les observez-vous ? » Camille se tourne à nouveau vers l’importun. « Non, je les regarde c’est tout. » Elle hésite « Il y a toujours une surprise chez eux » et ajoute un peu plus bas « ils savent se taire ». Il se contente en retour d’un sourire. Elle le fixe. « Et vous, vous êtes plutôt photo ? » Il secoue la tête, son regard file vers le bleu qu’une armada blanche envahit lentement. « Non, voyeur, c’est tout. » « Moi, des fois le midi, je vais à la galerie Carex, rue de Seine. Je m’assois devant un pan de mur couvert d’une série d’un artiste dont j’apprécie le travail, Patrick Cassan, non Cassagnes. » Elle s’interrompt, les autres convives se sont tus et les observent.
« Et là, les zamoureux, on veut savoir, vous parler de quoi ? » Pas la moindre hésitation, pas même un soupçon d’embarras. « Skyfall. Le dernier James Bond. J’ai littéralement adoré. Et vous ? » Ô temps suspend ton vol, la seconde où il se tait et où toutes s’engouffrent. Chapeau l’artiste, s’amuse Camille en voyant le poulailler glousser et froufrouter. En quelques paroles, ce Julien tient son auditoire en haleine. Un bref instant, elle l’imagine en smoking et se surprend à avoir envie de le connaître, et un peu plus encore. Elle détourne les yeux, le laissant à son public et revient aux merveilleux nuages.
Il est tard, Camille a aidé une Natacha légèrement éméchée à trouver un taxi. Elle se hâte jusqu’au parking et, alors qu’elle cherche ses clefs, aperçoit une carte de visite sous l’essuie-glace. Julien Ferney, département juridique. Un numéro de portable griffonné avec ces quelques mots
Rue de Seine, midi et demi
Mardi
Au coin d’une autre rue [un autre jour…]
Décidément s’en amuse Camille en glissant le bristol dans son agenda, ce diable de Julien maîtrise l’art de la dissimulation et ses classiques… avec, ce qui ne gâche rien, une pointe d’humour.