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Presquevoix...
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25 juillet 2012

Duo

Nouveau duo avec caro-carito, du blog les heures de coton. Le texte que vous allez lire est de caro-carito, quant à mon texte, il  est sur son blog. Cette fois-ci, il s'agissait d'écrire un texte libre inspiré de cette photo de Patrick Cassagnes



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maisonAu bout de la rue des agapanthes

La côte est longue, raide. Le soleil est haut. Tante Léonie attend toujours pour me tendre ciré jaune, seau et le sac en papier contenant mon goûter. Je suis alors sa mince silhouette. Sa tête penche comme si son chapeau de paille pesait des tonnes et que, d’un moment à un autre, il l’entraînerait vers une chute irréversible. Trois cent cinquante mètres de villas chics, puis la jetée et le sable. Je pourrai alors défaire mes sandalettes.

Au bout de la rue des agapanthes, une maison, haute, avec trois, dix, cent étages au moins et un œil-de-bœuf qui scrute les passants. Tante Léonie ralentit le pas et j’entends entre ses lèvres serrées des mots qui s’égarent, un chapelet d’imprécations qu’elle récite, dents serrées, le temps que dure le grillage bleu et rouille : « sale engeance, mauvaise vie, lignée de rien. ». Un lent crescendo qui s’égrène avec des pizzicati furibonds. Juste avant de quitter la rue ombragée, scandés haut et fort, ces six mots : « la chute de la maison Usher ! »

Pendant ce chemin de croix, j’ose un coup d’œil vers le chien paresseux qui gémit dans son sommeil. Je surprends parfois deux enfants blonds jouant dans la longue cour pavée où s’égarent des mauvaises herbes : un garçon et une fillette auréolés d’or pâle qui ne frémissent pas quand la voix hérissée de ma tante se fait entendre. Je marche les yeux rivés vers son chapeau qui hoquète de fureur. Si j’avais osé tourner la tête, j’aurais aperçu les lézardes au pied de la façade et la rouille grinçante, familière sur cette côte battue par les vents, les averses et la mer froide.

La voix de ma tante se tait enfin. Bientôt, je n’aurais plus qu’à me saisir de ma pelle et infliger de toutes mes forces une entaille violente, à flanc de plage.

Un jour, la voiture de papa ne m’amena plus au bord de la mer. Tante Léonie, les niniches à l’anis et les rochers à découvert à marée basse, la villa Usher - telle je l’avais surnommée - les deux enfants blonds, le chien sur le perron et les châteaux de sable que seule la nuit efface, tout disparut.

Et ce jusqu’à ce que je reçoive le courrier de Me Desmarets, notaire au 16 avenue Chateaubriand. Léonie Ponce de Bel-air venait de décéder à 99 ans dans son lit, chambre des pervenches, dans la résidence pour personnes âgées du Clos du lac. J’étais tout aussi incapable de me rappeler ma tante, certes un peu âgée, mais bien vivante, celle qui m’entraînait vers la plage chaque après-midi de juillet, que de l’imaginer en vieille dame recluse dans une maison de retraite.

Léonie Ponce de Bel-air, sœur unique de mon père, son aînée de onze ans, lui avait donc survécu deux décennies. Léonie dont il avait nié l’existence pour une raison inconnue et dont je n’avais plus jamais rien su. Dont je n’appris rien de plus car Me Desmarets me tendit le testament - la somme d’argent qui m’était léguée restait, même après le passage du fisc, conséquente - des titres de propriété et la clef d’une maison que je reconnus immédiatement sur les photos : la maison Usher. Il n’en savait pas plus.

Je m’y rendis le lendemain. La montée fut plus aisée. L’œil-de-bœuf avait conservé sa vigilance de gardien. Je crus apercevoir un chien allongé sur le perron, je crus déceler les pas joyeux de deux enfants blonds et l’écho pétri d’imprécations de Tante Léonie.

La maison Usher appartenait à ma tante depuis bien avant ma naissance ; les papiers fournis par le notaire me l’avaient indiqué. La maison Usher de son vrai nom la villa Sainte Othilie. Je poussais la grille. Je fis quelque pas et je  compris qu’il n’était pas nécessaire de savoir, que la maison pouvait conserver ses secrets. Elle était désormais mienne.

 

Commentaires
C
merci Jk mais je décline...
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J
Un vrai debut de roman!
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C
ça c'est une bonne entame pour la suite merci SklabeZ, je prends.
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S
Merci Caro, captivé par l'ambiance !<br /> <br /> La photo a un petit côté mystérieux, qui colle parfaitement à l'histoire...<br /> <br /> Comment s'est passée la première nuit ? Pas trop de craquements sinistres ?
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C
Obni, tu es comme Adrienne ! A tous deux j'y ai pensé en l'écrivant et moi-même j'avais envie de savoir. :P<br /> <br /> <br /> <br /> Monique, je ne suis pas sure que cela soit lourd, un peu foutraque je pencherai mais je verrai, je verrai.<br /> <br /> <br /> <br /> Et puis j'ai une version longue, je la remanie et je la mettrai en ligne dimanche ou samedi.
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