A chaque enterrement, il transpirait à grosses gouttes, non à cause du poids des cercueils mais à cause de l’angoisse qui le tenaillait. Tous ces corps qui défilaient lui donnaient le bourdon. Il essayait bien de penser à autre chose mais impossible. En désespoir de cause, il avait fini par prendre une fiole de calva, glissée discrètement à l’intérieur de sa veste, pour se remonter le moral. Le calva faisait des miracles en Normandie, et pas seulement.
Le dernier enterrement lui avait été fatal. Il avait trébuché sur une dalle à l’entrée du cimetière et il s’était lamentablement étalé ; ses collègues avaient dû lâcher prise et le cercueil avait basculé.
Dès le lendemain, le patron lui avait donné son congé : « Faute professionnelle », avait-il dit d’une voix implacable en ajoutant.
- Avez-vous pensé à la douleur de la famille ?
Il avait répondu sans réfléchir.
- Et la mienne, vous y avez pensé ?
Le patron avait rétorqué qu’il se fichait de ses états d’âme et avait claqué la porte derrière lui. Avant de rentrer chez lui et d’annoncer à sa femme son renvoi, il avait offert une tournée au café des sports, son quartier général.
- A la santé des pompes funèbres ! avait-il gueulé à la cantonade, déjà passablement éméché.
Il ne croyait pas si bien dire. En sortant du café, il fut renversé par un corbillard et mis en bière la semaine suivante.