Ses amis lui avaient dit qu’il ne restait plus que la chambre bleue et qu’il valait peut-être mieux que… mais Eléonore avait répondu que ça lui était complètement égal et elle s’était installée, sans arrières pensées, dans la fameuse chambre.
Après un repas arrosé d’un vin délicieux, elle était montée se coucher la première. La tablée lui avait souhaité bonne nuit et Raphaël - un peintre fantasque dont elle était amoureuse - lui avait murmuré.
- Je ne te comprendrai jamais, pourquoi dormir dans cette chambre ?
Eléonore avait répondu en souriant.
- Je n’ai pas le droit de dormir dans la chambre de celle que tu as aimée ?
Raphael n’avait rien dit et il l’avait regardée partir, mélancolique.
Une fois la porte de la chambre refermée, un premier coup avait résonné dans la penderie, un coup bref, dont l’écho s’était répercuté dans toute la chambre. Elle n’avait pu s’empêcher de trembler. Un deuxième coup avait alors retenti, plus long, suivi d’un troisième et d’un quatrième. Elle s’était ruée sur la porte de la penderie qu’elle avait ouverte d’un geste brusque.
Une odeur de naphtaline l’avait prise à la gorge et elle avait eu un mouvement de recul. Les vêtements de Mélaine étaient encore dans l’armoire. Etrange que personne ne les ait enlevés. Pourquoi garder des traces d’un passé douloureux ? Elle avait passé en revue les robes colorées, les ponchos, les sweats et elle avait souri en se souvenant d’elle. Elle était si gaie. Pourquoi avait-elle commis ce geste qui avait mis fin à ses jours ?
Soudain une idée absurde lui avait traversé l’esprit, elle avait pris la robe rouge et noire et elle l’avait enfilée. Elle s’était aussitôt sentie enveloppée d’une douce chaleur, comme si un autre corps se superposait au sien. Elle avait apprécié sa silhouette dans la glace et avait virevolté gracieusement mais, quand elle avait voulu enlever la robe, impossible. Celle-ci s’était collée à son corps au point de former une deuxième peau qui semblait vouloir l’aspirer.
C’est à ce moment-là qu’elle avait entendu un sanglot, puis un autre, suivi de pleurs réguliers qu’elle-même avait accompagnés sans pouvoir les réfréner. Ensuite, quelqu’un avait chanté, une voix de femme, grave et envoûtante. On aurait dit l’une de ces mélopées délicates qui appellent les vivants à accoster sur les rives de la mort.
Le lendemain, c’est Raphael qui trouva le corps d’Eléonore inanimé, allongé sur le couvre-lit blanc, dans la robe rouge et noire de Mélaine. C’est aussi lui qui lui ferma les yeux en murmurant.
- Voilà ce qui arrive quand on veut prendre la place des morts.
Les conclusions du médecin furent formelles : Eléonore était morte d’un arrêt cardiaque.
Depuis cette date, la chambre bleue fut condamnée.
PS : texte écrit dans le cadre des " impromptus littéraires"