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Presquevoix...
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21 octobre 2011

Comment faire disparaître un homme ?

Chaque jour, elle déposait un mot – ou deux -  dans sa poubelle ; les mots des lettres qu’il lui avait envoyées et qu’elle dépiautait consciencieusement. En désossant ses phrases, elle désossait son souvenir. Comme il ne lui avait écrit que 4  courtes lettres, elle en aurait  assez vite fini avec lui.

Le précédent, par contre, il lui avait fallu  douze longs mois pour le faire mourir, c’était un amoureux des mots. Il l’avait aimée un mois, à raison d’une lettre tous les deux  jours, et pas n’importe quelles lettres, des lettres longues et romantiques qu’elle avait  eu le tort de  croire.

Quant à l’avant avant dernier - un rustre - la seule missive qu’il lui avait écrite, c’était ces trois  phrases griffonnées à la hâte sur une enveloppe : « Marre de ta névrose. Je pars. Tout est fini entre nous. ». Elle l’avait achevé en une semaine.

20 octobre 2011

Le portrait

Il aimait dessiner. Depuis son enfance, ce plaisir ne l’avait jamais quitté et,  à 45 ans passés, il continuait à faire quelques portraits. Le dernier en date, c’était celui de sa mère.  Il en avait été particulièrement satisfait. Hélas, il l’avait lacéré au cutter deux jours plus tôt et il en avait été fort chagriné. Mais ne valait-il pas mieux tuer le portrait  plutôt que sa mère ?

19 octobre 2011

Le Haka du cours de français

Jugeant que la disposition au travail de ses élèves de première était insuffisante, Madame Déliran imagina qu’un  Haka avant chaque cours de français pourrait peut-être changer la donne. Dès que les élèves arrivaient, ils posaient leurs affaires sur les tables, enlevaient leurs manteaux, se mettaient en lignes, jambes écartées, dans la même position que les joueurs de l’équipe des All blacks, et l’exercice commençait. Après quelques réticences, ils s’étaient tous pris au jeu et maintenant, ils hurlaient à pleins poumons. Les  paroles - qui faisaient vibrer la salle de classe pendant 1 minute – avaient été trouvées par un groupe de trois élèves volontaires :

J’aime le français, j’aime la prose, j’aime les poèmes (ouhouhouh) rentrez dans le texte, que votre cœur vibre, que le cerveau percute, ouvrez votre cœur aux mots. Ecoutez-les résonner ! C’est le texte, c’est le texte, c’est la vie, c’est la vie ! Partez chercher la clef du texte ( ouhouh). C’est une rencontre ! Faites face ! Ne baissez pas les bras ; Soyez vifs, perspicaces, faites danser  le texte !

Depuis un mois que la méthode avait démarré, elle avait pu observer des changements notables ; c’est ce qu’elle avait expliqué aux collègues qui s’étaient plaints, auprès du proviseur, de  cris qu’ils jugeaient déplacés…

18 octobre 2011

La loi des deux A

Depuis le début du conflit, son mari se lavait tranquillement dans la salle de bain. Elle, elle regardait son fils qui hurlait dans leur chambre  en se roulant par terre. Elle était prête à lui donner une fessée  quand son mari lui a dit.

-    Tu connais la loi des deux A ?

La main suspendue, elle a répondu, surprise.

-    Quelle loi des deux A ?
-    Amour et Autorité ! Je te conseille de lire les fondamentaux de la psychologie.

Alors que l’enfant braillait toujours, son mari a pris son attaché case et lui a dit « A ce soir ma chérie ». Et il est sorti.  Quant à elle, à bout de nerfs, elle a aplati deux fois sa main sur les fesses de son fils.

-    Tiens, ça  c’est de la part de papa et ça de la part de maman ! Puis elle a tourné les talons pour aller dans la cuisine.

17 octobre 2011

Les effectifs

Pour réduire les effectifs de première année, la consigne suivante courait dans les bureaux des professeurs de cette Université renommée   : « Les décourager ! »

 A un maître- assistant, peu rompu aux pratiques de l’Université et qui demandait un supplément d’informations, il fut répondu :

-   Quand tu arrives en cours, veille à avoir l’air renfrogné, quand les étudiants te demandent de répéter, tu leur dis qu’on n’est plus au lycée  et quand ils souhaitent une explication supplémentaire, tu leur réponds qu’ils devraient déjà  avoir compris. A ce régime, au bout de deux mois, les TD seront moins chargés.

Et de fait, c’est ce qu’il se passa. Deux mois plus tard, chaque TD s’était vidé de moitié et les enseignants avaient retrouvé le sourire, ou presque…

16 octobre 2011

La vendeuse en parfumerie

Elle travaillait dans cette parfumerie depuis deux mois. Un emploi qui ne lui convenait pas mais qu'elle l’avait accepté faute de mieux. Elle qui ne s’était jamais fardée de sa vie, elle passait une heure dans la salle de bain, chaque matin, à la recherche du maquillage idéal pour masquer une peau qu’elle trouvait un peu épaisse et grasse.

Débutante, elle se gardait bien de proposer ses conseils aux clientes, sauf ce jour, où une femme, la quarantaine, hésitant devant le rayon crèmes de beauté depuis au moins dix minutes attira son attention.

-    Je peux vous aider, lui fit-elle, sortant de sa réserve habituelle.

La cliente la regarda un instant  puis, prise d’une inspiration soudaine, elle lui sourit et dit.

-    A vrai dire, je cherche une crème. Vous voyez ma peau est un peu comme la vôtre : terne et grasse.

Si elle eut envie d’insulter la cliente, elle n’en montra rien et lui tendit une crème de chez Décléor.

-    Tenez, c’est ce que je mets depuis deux mois. Comme vous avez pu le constater, il n’y a pas encore eu d’effet miracle, mais je ne désespère pas !

15 octobre 2011

Bleu

MaitéSouvent elle chantonnait « le bleu de tes yeux » et cet air finissait par lui devenir insupportable, surtout qu’il avait les yeux noirs.

Le comble, ce fut quand elle lui offrit un liseron bleu qui, il en était sûr, ne lui était pas destiné. Il allait à merveille avec le type de la chanson. Il lui demanda aussitôt.

-    C’est qui ?

Elle le regarda, surprise, et répondit.

-    Qui, qui ?
-    Ce type blond aux yeux bleus à qui tu voudrais offrir le bleu du ciel.

Elle le laissa dire. Comment aurait-il pu comprendre qu’elle ne faisait que rêver ?

 

PS : texte écrit à partir de cette photo gentiment prêtée par Maîté du blog "Eclats de mots"

14 octobre 2011

La chorale

Ce chœur amateur avait enregistré  dix chansons dans le but de faire un CD, mais l’une des choristes chantait si faux et si fort que l’ingénieur du son avait dû imaginer un subterfuge pour masquer sa voix. Après une demi-journée de réflexion, la solution  avait été trouvée : à chaque fois qu’on l’entendait, il couvrait sa voix avec une cornemuse.

13 octobre 2011

Rose sparadrap

Aujourd’hui, je vous propose sur « presquevoix » un texte de Caro-carito, du blog « les heures de coton ».

La consigne, pour cet échange, était la suivante : Ecrire une histoire en prenant comme support cette question « Avez-vous déjà eu peur de votre ombre ? » et cette photo de Patrick Cassagnes.

Mon texte est sur son blog.

                                                                         Rose sparadrap

mugElle attendait là au coin du trottoir depuis un bon moment déjà. Et sans doute parce qu’elle devait avoir l’air paumée avec son pull trop long et ce pli au milieu du front, cette petite ride verticale qui ne la quittait pas, le gars s’était approché et l’avait apostrophée :

- Vous avez peur de votre ombre ? 

- Je t’emmerde, connard… 

Elle le regarda s’éloigner et sentit ses joues rondes virer au rouge. Heureusement qu’il n’était pas revenu à la charge… Pas sûr qu’un regard noir, furibond et encore adolescent l’eut tenu à distance, ce mec. Entre trente et quarante, beau visage, belles fringues. Un con bien sapé, une technique de drague à réviser. C’est vrai qu’en se coiffant ce matin, elle s’était dit qu’elle était jolie.

Jade traversa la chaussée et fendit la foule qui se massait devant l’entrée. Elle joua des coudes et atteignit difficilement les listings où s’étalaient les lauréats et les recalés du bac, cuvée 20... Elle croisa les doigts au fond de ses deux poches et respira à fond.

Jade Derain. Elle retint rapidement ses notes. Et sourit. Elle se retourna et tomba nez à nez avec Mme Carrel, sa prof de maths. En la regardant, l’enseignante eut cette grimace agacée qu’elle arborait quand elle n’était pas satisfaite. Qu’elle désapprouvait, comme elle disait en classe. La jeune fille murmura un rapide bonjour et se faufila au plus vite à travers la masse des étudiants qui bavardaient, certains visiblement soulagés, d’autres nettement plus en colère. Elle échangea quelques mots avec un ou deux élèves et s’éloigna au plus vite du bahut.

Restait le plus dur. Elle répéta doucement chacun de ses résultats, tous de deux ou trois points en deçà de sa moyenne annuelle. Sauf en philo, sujet « la réussite a-t-elle prix ». Elle n’avait pu y résister et avait récolté un 17, le reste étant nettement moins brillant. De quoi annihiler les espoirs de son père de la voir intégrer une classe prépa ou une autre prestigieuse filière. Mais suffisant pour échapper à d’éventuels reproches. Après tout, elle avait une mention.

Elle repensa à Anne-Sophie, sa sœur, l’engueulade définitive avant qu’elle ne claque la porte et hurle que, plus jamais, elle ne voulait avoir quelque chose à faire avec ce vieux con. Ce tyran. Ensuite ces trois longues années de silence où elle avait dû assumer cette désertion, seule, puisque le poids de la déception paternelle se reporta sur ses fragiles épaules d’adolescente. Jade résista de toute sa timidité, apprit à taire ses envies, l’écoutait rêver pour elle de Polytechnique, Normale, Médecine. Elle ne répondait jamais. Elle serait infirmière.

La maison n’était plus qu’à quelques mètres. Elle se dit qu’il allait d’abord faire la tronche, puis la harceler pour savoir ce qu’elle allait faire avec des résultats aussi minables. Et puis elle lâcherait la bombe : voilà ce qu’elle voulait, dans cette école, les dates d’exams, la place en foyer déjà trouvée. Il gueulerait, la traiterait de salope et autres gentillesses. Sa mère bouderait, la tenant comme seule coupable du drame, lâchant deux ou trois piques pour évoquer la préférée, la si brillante, l’absente.

Jade hésita une seconde, redressa ses épaules et appuya lourdement sur la porte d’entrée. Elle tremblait, mais cela passerait ; il suffisait de se dire en boucle même pas peur. Il pouvait bien se mettre à crier, elle ne plierait pas. En dernier recours, elle ferait grève. Dans sa chambre, elle avait un plein carton de sparadraps et de pansements roses. Elle en collerait partout. Sur la table, le téléphone, la télé, les tasses du petit déjeuner et même sur sa collection de verres de bière. Partout. Elle savait qu’il finirait par plier. Il ne pouvait laisser partir sa deuxième et dernière fille ; le regard des autres, les commérages, le qu’en-dira-t-on…

Elle le tenait. Il n’y avait qu’à résister, la réussite serait à ce prix.

12 octobre 2011

La rencontre

Quand ils avaient sonné chez elle, elle avait encore une larme qui coulait sur la joue, mais elle l’essuya bien vite avant d’ouvrir la porte. Ils étaient deux, en costume sombre, le visage glabre, la chemise blanche, la cravate soigneusement nouée, et ils lui souriaient. Tous deux arboraient un badge avec leur nom et leur prénom ; au moins, elle savait à qui elle s’adressait.  Elles les avaient fait entrer après qu’ils lui eurent avoué qu’une force mystérieuse les avait poussés à frapper à sa porte. Ils étaient restés deux heures chez elle. Ils lui offrirent une bible et l’invitèrent à entrer dans l’église du bonheur. Comment aurait-elle pu refuser ?

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