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25 mai 2011

Caro-carito : le battement d'après

Avec Caro-carito, du blog les heures de coton,  nous avons écrit à partir des consignes suivantes : en début de texte, une phrase de Lovercraft  « J’ai dû vivre des années dans cet endroit mais je ne peux mesurer le temps », puis  nous devions nous inspirer  de la «  Pavane pour une infante défunte de Ravel »,  comme si cette musique rythmait notre histoire...
Ci dessous,  vous pouvez lire le texte de Caro-carito, le mien est sur son blog.

 

 

Le battement d’après

J’ai dû vivre des années dans cet endroit mais je ne peux mesurer le temps depuis hier, depuis que je suis revenue.

J’avais roulé des heures, m’endormant abruptement quand le volant tanguait. Il faisait nuit, je n’ai pas eu le courage de pousser le portail. J’ai préféré le Formule 1. L’avantage, c’est qu’il suffit de tirer les rideaux, de choisir une ville, n’importe quelle ville et là, dans l’obscurité, s’adosser à une rivière charmante, une banlieue habillée de camions qui vont et viennent, une poignée de platanes en devenir. J’ai bien fait, j’y serai allée pour rien, Le lierre a avalé les volutes de fer forgé. J’ai dû aller chercher la clef de la porte du jardin chez le notaire.

J’ai erré. Les pièces étaient pour la plupart vides et sales. Restaient la cuisine, le cabinet de toilette qui avait dû être celui de Viviane, la bonne et le bureau du père. Je lui tourne autour, je ne peux imaginer ce parquet bruni sans qu’il gémisse sous ses pas.

Mes frères ne viendront pas, ils me laissent la maison et le reste. En une heure, notaire et curé ont tout réglé. Ni messe, ni couronnes : une signature. J’y suis retournée, traversé les étages nus. J’ai violé le Saint des Saints, le bureau de mon père : des chronomètres, des pendulettes, des horloges, des taximètres, des clepsydres, des montres à clef, un sablier, monstres sans nom. Et un métronome. Aucun d’entre eux n’avait jamais fonctionné et pourtant j’entendais la voix de mon père qui alignait les cases où il fourrait heures de dessin, d’anglais, de latin, de grec et l’histoire de la musique. Le fil d’un pendule de Foucault accroche ma joue. J’arrache la boule cuivrée qui pend, idiotement, devant les étagères bombées de livres. L’enfance me gifle, le vacarme revient. Les pleurs de ma mère, le tic tac de l’horloge de l’entrée, mes souliers qui butent contre cette marche entre la cuisine et la cour. Je serai en retard. Le carillon et puis plus rien. Au creux des reins, là où le fouet improvisé par mon père m’a corrigée, une cicatrice ronde brûlera longtemps. Je sens les mains tièdes de mes frères et une voiture blanche qui s’en va, ce ridicule gyrophare…

La tombe est restée derrière moi. Mon ipod soupire cette musique lente, une note de jasmin. Je reprends la route, je dormirai dans un Formule 1, un autre, identique, rassurant. Avant, ou après, je ferai une halte à la Boisserie. Sa tête chenue me sourira même si.. je ne suis qu’une visiteuse fêtée et anonyme. Je lui tendrai la photo que j’ai prise de la tombe. Lui mettrai les écouteurs pour cette pavane qu’elle aimait. Redirai en articulant son nom interdit. Et dans nos mains entremêlées, la tienne, la mienne, maman,… glisser, le bijou froid et systématique qui rythmait nos craintes et les colères du père.

Si jamais ton sourire pouvait croiser le souvenir de l’infante que tu fus, maman. Si jamais…. Et voir ce battement dans tes yeux absents.

Commentaires
C
D. Hasselmann<br /> <br /> Merci<br /> <br /> Tristale<br /> <br /> j'aime bien faire frissonner.
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T
*sacrée bien sur
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T
une sécrée histoire , qui fait frisonner....belle et dure et triste.
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D
Vous avez su formuler (à plusieurs reprises) l'indicible.
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C
Bon mea culpa, ce n'est pas la dernière version, manquent qq corrections.<br /> <br /> Lautreje, merci beaucoup, je suis assez fascinée par notre passion de mesurer le temps. Et parfois quand il s'emballe, j'ai cette impression cauchemardesque d'une horloge dévorante...<br /> <br /> Gballand, je suis sans voix. Et quand je vois qu'inconsciemment j'ai lié ces deux phrases qui me rappellent la mutilation de Chronos par son fils ! et bien je me dis que mon inconscient ne connaît pas la crise !!!<br /> <br /> Adrienne, tu vois que tu trouves un comm. ;-) Et oui, le duo n'est pas un cercle fermé mais une valse, un pas de deux....
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