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Presquevoix...
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25 octobre 2010

Duo

Mademoiselle et « son automobile », c’est sur cette chanson que caro-carito du blog « les heures de coton »   et moi-même avons décidé d’écrire chacune un texte. Nous nous sommes imposées d’autres contraintes, pour le plaisir : 4 paragraphes, l'héroïne s'appelle Mélodie, elle a une robe rouge, on doit connaître le nom des cigarettes qu'elle fume, la scène est statique et   des  "larmes de crocodile" coulent…

Voici le texte de caro-carito :

Bar de jour

Il fait encore sombre. Assise sur la banquette en skaï éraflé, elle aperçoit sa clio blanche à côté d’un pin et d’une poubelle. Le parking de l’aire d’autoroute est désert. Mélodie baisse la tête pour ne trouver que les deux tasses vides devant elle. Avec leur reflet dans la vitre sale, ça fait quatre tasses blanches inutiles. C’est un bol rempli à ras bord de café brûlant qu’il lui aurait fallu. Elle se serait jetée dans cette lune ronde et noire comme un soir italien. Et en même temps, elle aurait noyé les kilomètres avalés et sans doute plus que ça. L’envie de griller une cigarette, une Pall Mall. Des larmes de crocodiles entre Puteaux et le péage de la Folie-Bessin et même jusqu’après la Touraine, elle n’a jamais aimé la Touraine. Ce poids qui lui broie le cœur. Lui. Et surtout Elle. Elle, lui et elle, pauvre pomme sentimentale.

Il y a une carte routière près des toilettes. Quand elle était petite, elle restait plantée là pendant que ses frères suppliaient pour qu’on leur achète un paquet de menthos ou un mars. Elle répétait inlassablement le nom des villes, des départements et des numéros, 50, 03… qu’elle n’avait jamais pu retenir. Elle était nulle en géo, pas bien meilleure ailleurs. Elle avait vite délaissé l’école pour une panoplie de fille à la bouche rose pimpant, au mascara épais et bas de gamme. Elle était une de celles qui ne tiraient pas sur sa jupe et qui croisaient les jambes, de celles aux robes trop courtes, trop rouge, comme aujourd'hui, ou trop près du corps ou... Qui s’arrachaient la gorge avec la fumée des Marlboro et de la vodka ou d’un gin sans saveur. C’est le ceinturon de son père qui l’avait rattrapée in extrémis. Et son orgueil qui l’avait fait s’engouffrer dans un BTS obtenu contre toute attente et une carrière, une vie qu’elle avait voulue, à bonne distance des siens.

Elle meurt d’envie d’en griller une. Elle meurt d’envie de beaucoup trop de choses en fait, de beaucoup trop d’hommes, de leurs rires désordonnés et de passages dans le repli d’une fin d’un été qui s’éterniseraient. Là, elle rêve de lui en pliant cette lettre qu’il lui a écrite, aussi légère que ses sentiments, aussi silencieuse que son départ. Combien en a-t-elle gardé, cinq, dix, vingt de lui et d’autres ? Elle ne sait plus. Elle se souvient de leurs souffles sur sa nuque et des inflexions de tendresse dans leurs voix. Ou les a-t-elle imaginées ? Des mots, trop de mots, suaves, violents, solennels. Des mots qui mentent, trompent, exilent, des mots qui sculptent une solitude. Elle se lève et achète une carte de l’Europe. Ce matin, en partant, elle voulait pousser jusqu’à Biarritz. Il y a la mer là-bas. Mais elle a envie d’une ville où une langue colorée l’accueillera. Pas l’Italie, mais l’Espagne, Barcelone. Pourquoi pas Madrid. Elle poussera ses quelques jours qu’ils devaient passer ensemble sur le tapis contre une errance au parfum de soleil.

Elle a pris ses clefs sur la table du bar et laissé la feuille pliée en huit près des sucres qu’elle n’utilise jamais. Les autres lettres, elle les a jetées dans le vide-ordures du palier. Juste avant de partir. Mercredi vers six heures, le camion-benne les fera disparaître. Elle ferme la porte et, au lieu d'enclencher la clef de contact, allume une cigarette. Elle se penche pour regarder la montre qu’il a laissée dans la boîte à gants. Elle va la garder, la porter peut-être. Ne pas oublier, ce serait bien. L'autoradio s'est mise en marche. La station-service s’éloigne. Devant elle, la plaque d'une BMW affiche 39. Jamais elle ne saura le département qui s’y rattache. Elle cherche une autre cigarette. Elle sourit. Est-ce bien grave de ne pas savoir ? De ne jamais savoir…

Voici le mien :

Mélodie en rouge et noire

Elle n’avait jamais aimé le rouge mais elle avait mis cette robe pour lui. Une rouge, Mélodie, lui avait-il précisé avant qu’elle ne raccroche. Elle lui avait obéi, machinalement, comme on prend un verre au comptoir ou comme on dit « comment ça va ? ».
La voiture était arrêtée sur le bas-côté de la route et elle attendait, pour rien, alors que la pluie tombait à verse et lavait les vitres de ses pensées. Elle sortit un paquet de cigarettes de la boîte à gants. Les siennes, des gauloises, elle avait toujours détesté ses gauloises, même sa peau en était imprégnée. Elle, elle n’avait jamais fumé ou si peu. Elle prit pourtant une cigarette, l’alluma et toussa à la première bouffée. Cette gauloise avait le goût de la vie, amer et sombre.
Si elle s’était forcée un peu elle aurait pu faire pleuvoir sur son visage les larmes de crocodile de l’automne, mais ce n’était pas le moment, pas encore, il lui faudrait attendre encore un peu. Elle démarra et reprit le chemin de Brest, ils s’étaient donnés rendez-vous dans leur restaurant. Elle se souvenait qu’un jour il lui avait dit « Pourquoi tu m’aimes ? », et elle lui avait répondu par une question, comme à son habitude :
-    Et toi, pourquoi tu crois que je t’aime ?
Jamais plus il ne lui avait posé de questions, sauf la veille, cette question absurde qui lui trottait  dans la tête à la même cadence que les essuie-glaces balayant le pare-brise des scories de l’automne :
-    Qu’est-ce que tu dirais si je disparaissais ?






Commentaires
D
@ gballand : Le film "Les Gauloises bleues" (1968) se voulait dans la veine de ceux de Godard, cinéaste qu'il défendit et portait aux nues avec raison. <br /> <br /> Michel Cournot fut aussi un grand critique de théâtre.<br /> <br /> @ caro-carito : les routes du Jura (demander à Dominique Voynet) tournent dans tous les sens, que ce soit du côté de Dole ou de Saint-Claude, donc cette pub était fort judicieuse !<br /> <br /> @
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C
C'était un autre temps, où tout ne devait pas justement rouler si droit !<br /> <br /> Du coup je me dis j'aimerais bien un pèlerinage vinicoles le long du Rhône juste prendre le temps de s'arrêter plus longtemps pour goûter.
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G
Caro : Merci pour votre commentaire. De Japrisot, j'ai adoré "l'été meurtrier", "la dame dans l'auto avec des lunettes et un fusil" et " Piège pour cendrillon".<br /> <br /> mara : et boivent-elles de la cervoise ?<br /> <br /> D.Hasselmann : Non, je ne connaissais pas ce film. J'ai fait une petite recherche, mais pas d'images du film, juste son mauvais accueil à sa sortie...
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D
Je me souviens de la route des vins (Jura) avec ces publicités 4 X 3 : "Henri Maire, plus on en boit, plus on va droit !"<br /> <br /> Est-ce seulement imaginable aujourd'hui ? Cela fait rire !
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C
oh je suis fatiguée ce matin, vous me pardonnerez les coquilles mais j'ai une tribu de brigands éveillés et en pleine forme (eux!).
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