D'habitude quand on me bouscule je pars au quart de tour, mais pas cette fois-là. Ce type n’était pas comme les autres. Il est revenu sur ses pas, s’est excusé et m’a glissée :
- Vous ressemblez au petit chaperon rouge avec votre jupe.
Et, sur l'air de " Une petite fille en pleurs ", il a improvisé des paroles à la contrebasse :
Il n'y a pas de bémol avec une jupe rouge
Et moi qui suis séduit
Et moi qui suis séduit au milieu de la nuit
Mais qu’est-ce qu’elle m’a fait
Une petite en rouge à qui j’joue la grande scène
de l’homme fou amoureux
A qui j’veux faire croire que je vais la sauver !
C’est de quel côté ton cœur ?
Le plus étrange c’est que je l’ai cru et que je le crois encore. C’était il y a 2 ans, rue Mouffetard.
Je sens encore sa main pianoter sur ma colonne vertébrale dans la nudité de ma chambre blanche. Il m’aimait toujours en majeur et se moquait de moi en mineur. Quand il s’esclaffait, son rire accompagnait les mouvements de son corps.
- Toi tu es trop sérieuse, se moquait-il souvent, on va changer ça, tu vas voir !
C’est pour moi qu’il a composé « la jupe rouge », en souvenir de notre rencontre. Il avait insisté pour que je la joue à la guitare avec lui, moi qui ne connaissais que sept accords.
- Quand tu auras appris à jouer et à sourire je pourrai partir, disait-il parfois.
Je lui répondais la mine boudeuse que je ne voulais ni jouer ni sourire. Il me fermait la bouche d’un baiser. Il arrivait toujours à me convaincre. Un an après notre rencontre, j’ai retrouvé le sourire et il est parti.
Samedi, j’ai joué dans un petit cabaret non loin du Chatelet. Quand j’ai chanté la « jupe rouge », un grand type s’est avancé vers moi en fredonnant la chanson : c’était lui. Il était accompagné d’une femme blonde qui m’a saluée d’un signe de tête. A la fin du morceau il m’a dit :
- Tu vois, tu n’es plus un petit chaperon rouge, maintenant tu es grande. Tu m’emmènes ?
Je ne lui ai posé aucune question. Lui non plus. On a passé la nuit ensemble mais au petit matin j’étais seule dans mon lit. Il avait juste griffonné un mot :
Je dois partir, ce serait trop long à t’expliquer. « La jupe rouge » te va à merveille, les autres chansons aussi. Un jour je t’écrirai d’autres jupes rouges … je t’aime.
PS : texte écrit dans le cadre des "ateliers des impromptus littéraires"